Littérature

Une grâce féroce – sur L’Appel de Leila Guerriero

critique

Lorsqu’elle découvre le portrait de Silvia Labayru dans un journal, Leila Guerriero est happée par sa beauté insolente, à l’image de sa résistance à la dictature argentine des années 1970. En découle un témoignage de femme tranchant, qui parle de la politique des corps et de la violence.

L’Appel est une enquête fournie, très fournie, qui se déroule dans l’Argentine des années 1970, un lieu et un temps présentés comme un concentré de violence. Son autrice, Leila Guerriero, est une femme dont le nom s’est imposé dans le domaine du journalisme narratif, et sa figure centrale est Silvia Labayru, qui fut séquestrée le 29 décembre 1976 à Buenos Aires, sur ordre de la jeune dictature militaire en place.

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Le livre est à la fois un portrait de cette femme et une série d’entretiens démultipliés. C’est un reportage saisissant parce qu’il suit le parcours saisissant d’une personnalité saisissante, mais surtout parce qu’il plonge au cœur du mal nommé viol sans hésiter à en évoquer les facettes ambiguës et les plus inavouables, les ressorts les plus noirs.

De façon très classique, Leila Guerriero commence en situant son récit aujourd’hui, en 2022, à Buenos Aires, un soir où sont rassemblés des survivants de la dictature militaire, tous âgés de soixante-cinq ans environ. Ils avaient vingt ans le 24 mars 1976, le jour du coup d’État qui tordit le cou à l’Argentine pour mettre le pays au pas. Entre-temps, la plupart se sont exilés en Espagne et sont revenus en Argentine quand celle-ci fut libérée de l’emprise des militaires. D’emblée, une chose est frappante : l’effet génération, les amitiés qui lient les protagonistes, leur énergie, leur élan vital, autant de qualités que l’on retrouvera chez tous, chez toutes, y compris au plus fort de la répression et de l’horreur.

S’il y un trait qui caractérise Silvia Labayru, c’est en effet son envie de vivre. La voilà donc qui entre en scène à la troisième page, sous la forme d’un article de journal accompagné d’une photo, car Leila Guerriero a découvert son existence dans un article du quotidien Pagina/12 daté du 21 mars 2021. La journaliste a été frappée par la photogénie de cette femme de 64 ans, par sa beauté, par sa frange insolente, ses mains, l’atmosphère « fertile et menaçante » qui émanait d’elle. C’est un t


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

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