Cinéma

Des ronds dans des carrés – sur L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier

Critique

L’Inconnu de la Grande Arche narre le destin tragique d’un architecte absolutiste en même temps qu’il dresse une comédie humaine teintée d’ironie sur le pouvoir et ses symboles. Ce retour sur la première époque du mitterrandisme montre aussi, avec une légèreté bienvenue, la rencontre, pas toujours si conflictuelle, entre deux mégalomanies, celle du prince et celle de l’artiste, deux figures en quête de transcendance.

«L’architecture ne serait pas un art ? Oui, c’est ainsi. Il n’y a qu’une faible partie du travail de l’architecte qui soit du domaine des Beaux-Arts : le tombeau et le monument commémoratif. Tout le reste, tout ce qui est utile, tout ce qui répond à un besoin, doit être retranché de l’art. » Dans son essai Architecture écrit en 1910, le célèbre architecte et théoricien viennois Adolf Loos n’y va pas par quatre chemins. Aucun bâtiment ne peut prétendre au statut d’œuvre d’art, hormis donc quelques rares symboles construits liés à la mort et à la mémoire. Lui, l’auteur d’Ornement et crime et chantre du dénuement architectural le plus absolu, qu’aurait-il pensé de l’Arche de la Défense ? Cet immense cube évidé lui serait-il apparu suffisamment austère, ou déjà coupable de coquetteries décoratives à cause de ses parements de marbre ?

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Qu’aurait-il pensé, encore plus spécifiquement, de L’Inconnu de la Grande Arche qui montre les affres d’un architecte choisi pour construire un monument, et qui édifie… son propre tombeau ? Cette singulière histoire fait peut-être de la Grande Arche, une belle preuve d’architecture. Et le film alors ? Est-il une belle preuve de cinéma ?

En l’occurrence, il narre avec précision et une vraie force d’incarnation, le destin du concepteur danois de la Grande Arche, Johan Otto von Spreckelsen. Voilà un pur théoricien, ayant peu construit (sa maison et quatre églises, dont trois d’entre elles sont déjà des variations sur le cube fracturé), un mystique de l’architecture devenu lauréat du concours pour l’aménagement de la « Tête Défense », l’un des plus grands chantiers d’Europe qu’il devra piloter sans agence, pure folie pour un projet d’une telle ampleur.

La force de son « cube » – qui se transformera assez mystérieusement en « grande arche » – est de se comprendre instantanément : quelques coups de crayon et une maquette au bon parfum épuré de design scandinave pour cette fenêtre géante qui laisse passer l’axe historique Louvre-Concorde


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