Littérature

Le fil de la conversation – sur Officier radio de Marie Richeux

Essayiste

La mort en mer de l’oncle Charlot, officier radio de l’Emmanuel Delmas, est le point de départ du nouveau roman de Marie Richeux, femme de radio elle-même qui tisse des voix mêlées autour des souvenirs et de la disparition. Le livre choisit de pactiser avec l’ignorance, en maintenant le lecteur comme la narratrice dans un désir de savoir.

Nos vies sont tramées de rumeurs et d’échos : récits entendus, légendes colportées, phrases à peine perçues mais qui cheminent en sourdine comme sous la peau. Marie Richeux est bien celle qui tisse, relie et ravaude ces bribes de récits dont l’enfance est le réceptacle, bien souvent. De telles phrases sont l’impulsion de son roman Officier radio, aux allures autobiographiques, dans lequel la narratrice plonge dans cet océan de récits, qu’elle agrippe et met bout à bout, dans une enquête familiale mais qui élargit les frontières de la collectivité familiale à d’autres drames.

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L’oncle Charlot a disparu en mer, dans un naufrage, en 1979 au large des côtes italiennes, cinq ans avant la naissance de la narratrice : de la brume, une collision avec un navire italien, un incendie. Et depuis, la ritournelle « On ne saura jamais » et celle du père de Marie « Comment ne pas oublier ? »

Ces deux phrases sont les sésames d’une enquête familiale menée avec délicatesse par la narratrice, discutant avec les membres de la famille, creusant l’histoire maritime bretonne, s’aventurant à son tour dans les archives, comme bien des récits d’écrivain.es-historien.nes d’aujourd’hui : même si elle prend plaisamment le costume du détective – « c’est une enquête pour l’inspecteur Marie » –, c’est moins une énigme policière à résoudre qu’une conversation à mener avec la communauté élargie de la famille.

Ces rumeurs familiales viennent au lieu d’un récit qui ne s’est pas transmis, pas tout à fait un secret de famille comme on l’analyse depuis Serge Tisseron, mais du moins des phrases-écrans, qui font obstacle au récit du drame ou qui en tiennent lieu. Car nos vies sont aussi bien marquées par les récits colportés que par ceux qui nous sont dérobés, et qui en tapinois se nichent dans le tréfonds de notre intimité et structurent nos fantasmes ou nos manières d’être. Faute de raconter les récits, les fantômes prennent possession de nos corps, et se transmet à nos dépens l’angoisse de vivr


Laurent Demanze

Essayiste, Professeur de littérature à l'Université de Grenoble