Littérature

Prolepse contemporaine – sur Paranoïa de Lise Charles

Écrivain

Parmi les nombreuses parutions qui proposent à peu près toutes les gammes possibles de l’autofiction généalogique, on distingue un livre très singulier d’une jeune écrivaine brillante : Paranoïa, de Lise Charles. S’il y est bien question d’une famille contemporaine, à travers le regard acéré d’une adolescente ex-enfant star de la télévision, c’est surtout dans une drôle d’expédition, érudite et lynchienne, que nous emmène ce roman un peu hors-norme.

Paranoïa, le quatrième roman de Lise Charles, est un livre dont on n’est pas sûr de savoir exactement que penser, mais dont on peut dire, sans conteste, et sans doute pour cela même, qu’il est spécialement troublant. Troublant par sa structure, en deux parties clairement distinctes, et par l’atmosphère que renforce cet effet assez mystérieux de composition duelle, un peu brusque, laquelle n’est pas sans rappeler les films de David Lynch auxquels se réfère volontiers l’écrivaine.

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Troublant, aussi, parce que cet effet de duplication s’applique à la narratrice elle-même, se dit-on, dès les premières pages : une adolescente prénommée Louise – à deux voyelles donc de l’autrice – que l’on a déjà aperçue ailleurs chez Lise Charles, puisque c’est la fille de Marianne Renoir, héroïne de La Cattiva (2013) apparue dans La Demoiselle à cœur ouvert (2020)… Marianne Renoir est aussi le pseudonyme de l’autrice quand elle écrit pour la jeunesse, et le nom, bien sûr, du personnage d’Anna Karina dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard.

Louise raconte ce que fut sa vie d’adolescente à seize ans, en commençant par la répétition d’une scène des Précieuses ridicules de Molière avec trois camarades de sa classe de première dans un (bon) lycée parisien… Elle le fait avec une souplesse assez virtuose, distillant les informations pour nous faire comprendre progressivement qu’elle n’était pas tout à fait une jeune fille comme les autres. Le début du roman nous apprend en effet qu’elle retrouve un parcours scolaire « normal » (quoique privilégié : nous sommes à Henri IV, temple de la bourgeoisie intellectuelle parisienne), après avoir été la vedette d’un feuilleton télévisé à succès, « Lou y es-tu ». Louise est à part, ainsi, pas seulement du fait de son statut d’ex-enfant star, mais par une sorte de science de toute chose qui fait d’elle une manière de génie caché, timide et sûre d’elle tout à la fois, prisonnière surtout de sa lucidité hors-norme : une intelligence suraiguë, matinée


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire