Arts visuels

Habermas, la femme de Loth et Gaza – sur « Hamishi Farah. Devant la douleur des autres »

Critique

Au Frac Lorraine, l’Australien Hamishi Farah interroge notre rapport aux images de la souffrance. Entre portraits censurés et paysages minéraux de la mer Morte, l’artiste déploie un dispositif pictural conceptuel qui fait dialoguer la symbolique du martyre chrétien avec les impasses politiques de nos démocraties face à Gaza.

Trois expositions se partagent le 49 Nord 6 Est Frac Lorraine jusqu’en février 2026. L’une fait partie d’un programme lié au Grand Est. Cette saison, c’est Elise Grenois, née en 1992 et diplômée de la Haute École d’Art du Rhin, qui installe une sculpture de paraffine minimaliste, étincelante : le matériau fond, elle le réutilise pour d’autres œuvres. L’impermanence devient cycle.

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Deux autres salles sont dédiées à Takako Saito, artiste japonaise Fluxus née en 1929 et malheureusement décédée deux semaines avant l’ouverture de « Tout se joue », exposition où l’on peut voir ses variations sur le jeu d’échecs et le diorama. Saito avait été monographiée en 2019 au CAPC de Bordeaux. On retrouve ici entre autres les instructions de Silent Music (2012), inscrites sur des châsses enfermant des aigrettes de pissenlit : « Faites-les voler dans les airs et attrapez-les ». La·e visiteur·se a le (non) choix entre activer l’œuvre et la détruire : double injonction contradictoire, art conceptuel à unique tranchant duplice.

Quand on passe au troisième artiste, Hamishi Farah, Australien né en 1991 et installé à Berlin, on se dit que voilà un autre genre de conceptualité, présentant également quelques artefacts (deux huiles sur toile dans la première salle, six grands dessins en technique mixte dans la seconde) mais dont l’œuvre (le travail) repose sur un iceberg immergé : le discours et les intentions de l’artiste, sans lesquels les artefacts ne peuvent fonctionner et qui se concentre sur ce point : Israël est perçu par l’Allemagne comme une sorte de « happy ending » obligatoire aux atrocités perpétrées contre les Juifs. Par conséquent, le sort du peuple palestinien ou tout ce qui menace ce récit de rédemption est perçu comme une « menace existentielle à la compréhension que l’Allemagne a d’elle-même ».

« Devant la douleur des autres », un titre emprunté à Susan Sontag, s’ouvre comme un piège calme : deux portraits en couleurs isolés sur un mur immense et, sur celui d’à côté


[1] Lire entre autres Mathieu Berger, « Vers une théorie du pâtir communicationnel. Sensibiliser Habermas », Cahiers de recherche sociologique, 2017.

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

[1] Lire entre autres Mathieu Berger, « Vers une théorie du pâtir communicationnel. Sensibiliser Habermas », Cahiers de recherche sociologique, 2017.