Littérature

L’écriture à l’envers – sur des livres de Chimamanda Ngozi Adichie et Percival Everett

Critique

Parallèle entre deux nouveaux romans des lettres afro-américaines, L’inventaire des rêves de Chimamanda Ngozi Adichie et James de Percival Everett, qui opèrent le même geste d’écriture à l’envers en plaçant au centre de leurs récits des personnages jusqu’alors tenus dans l’ombre des narratifs blanc et masculin.

Quelles nouvelles sur le front des lettres afro-américaines ? Outre Colson Whitehead qui, depuis 25 ans, consolide son statut d’écrivain majeur, deux romanciers-stars sont revenus en majesté cette année : Chimamanda Ngozi Adichie et Percival Everett.

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Bien que séparés l’un de l’autre d’une génération voire d’un continent, dans la mesure où Adichie n’est installée aux États-Unis que depuis trente ans, chacun brode du proche avec du lointain, et s’inscrit dans la longue tradition de ceux qui, depuis Ralph Ellison (Invisible Man, 1952) et même les premiers récits d’esclaves au XIXe siècle, veulent rendre visibles les êtres de l’ombre et faire entendre les sans-voix.

À une différence près toutefois : Everett s’empare d’un personnage de fiction, confortant son goût pour la parodie postmoderne et les jeux métafictionnels, tandis qu’Adichie, résolument féministe depuis son manifeste du même nom (We Should All Be Feminists, 2014) traite d’un fait divers récent, « l’affaire Dominique Strauss-Kahn » ou le viol en 2011 de Nafissatou Diallo, femme de chambre au Sofitel de New York, par l’homme politique français, alors directeur général du FMI.

Le procès n’occupe pas une place essentielle dans ce nouveau récit d’Adichie, L’inventaire des rêves qui paraît dix ans après Americanah, mais une « note de l’autrice » en fin d’ouvrage suggère qu’il en constitue pourtant le cœur, entendu comme centre et organe, destiné à ranimer sa mère, récemment morte, autant qu’à rendre justice, redresser des torts ou fictionnaliser l’histoire. « Je crois que ma mère aurait aimé le personnage de Kadiatou » (alias Nafissatou). « Je l’imagine lisant ce roman, puis soupirant et disant, avec une sorte de résignation et d’empathie : ‘Nwanyi ibe m.’ Ma semblable. » Ma sœur, aurait-elle pu ajouter, dans une forme de renversement baudelairien, car au-delà de la perte, du deuil et de l’empreinte élégiaque, l’enjeu principal du livre réside surtout dans la relation en miroir de quatre femmes, différen


Béatrice Pire

Critique, Maîtresse de conférences-HDR en littérature américaine