Littérature

Frère du passé – sur Klaus. Une vie antifasciste de Gilles Collard

Écrivain

Sous les apparences d’une biographie intellectuelle de Klaus Mann (1906-1949), figure un peu méconnue d’écrivain « pré-queer », Gilles Collard propose une véritable aventure de lecture : faisant du fils de Thomas Mann un frère, il livre une sorte d’enquête intime, philosophique et littéraire, sur notre présent commun autant que sur une histoire passée. Son livre est alors une alerte, comme le roman profus d’un XXe siècle pas fini.

On ne sait pas s’il y a des façons faciles d’être un fils. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas dû être aisé d’avoir pour père Thomas Mann, et qu’on ne saurait éluder ce fait en abordant la « vie antifasciste » de Klaus, comme l’appelle celui qui lui consacre aujourd’hui un livre, Gilles Collard. C’est une expression assez commune : « se faire un prénom », et on ne résistera pas à la tentation de l’utiliser ici, en remarquant d’abord que l’auteur a choisi de dédier ce livre sur un fils… à son propre fils, Hugo.

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En réalité, Klaus, une vie antifasciste, n’est pas exactement, ou pas seulement, la biographie du fils de Thomas Mann, dont l’existence relativement brève (il se suicide à Cannes en 1949, à l’âge de 42 ans) et l’œuvre plutôt abondante (elle compte de très nombreux titres, aussi bien nouvelles ou romans qu’essais et pièces de théâtre, seul ou en collaboration avec sa sœur Erika) méritent assurément d’être redécouvertes par le lectorat français. C’est plutôt un travail très personnel de compagnonnage, qui dissimule sous les apparences de l’essai l’intimité d’une aventure intellectuelle toute contemporaine.

Il y a en effet deux façons, au moins, de lire le beau livre de Gilles Collard, en suivant l’adresse implicite de son titre : un simple prénom, donc, Klaus. La première, assez naturelle, est d’y voir un livre attentif à l’histoire des idées, soucieux de restituer, avec une grande rigueur et un travail de documentation remarquable, l’itinéraire d’un homme incarnant la difficile succession d’un monde ancien qui bascule, tel que pouvait encore l’incarner son père, Thomas Mann – sans doute l’écrivain allemand le plus célèbre de son temps (Les Buddenbrock datent de 1901, La Montagne magique de 1924).

C’est le passage d’un siècle à l’autre, d’un monde au suivant, où l’Allemagne de la République de Weimar fait office en effet de « tournant », pour reprendre le titre de l’œuvre – autobiographique – peut-être la plus connue de Klaus Mann, avec son roman M


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire