Œdipe aux yeux ouverts – sur Notes à John de Joan Didion
Dans L’Année de la pensée magique (The Year of Magical Thinking, 2005), le récit qu’elle a consacré au deuil impossible de son mari, John Dunne, mort d’une crise cardiaque alors qu’ils s’apprêtaient à dîner, Joan Didion évoque une nouvelle de la romancière américaine Roxana Robinson, intitulée « L’Homme aveugle ».

Didion tombe dessus par hasard, alors que la mort de son mari l’a laissée si « fragile » qu’elle se trouve dans « l’incapacité de présenter un visage cohérent au monde ». Dans cette nouvelle, il est aussi question du deuil, mais du deuil d’un homme pour sa fille. Celle-ci, « le premier soir qu’elle passait seule après son renvoi de l’université, une cure de désintox et quelques semaines de repos […], avait pris tellement de cocaïne qu’une artère avait éclaté dans son cerveau et qu’elle était morte ».
Au moment où Didion lit ces lignes, Quintana Roo, l’enfant que John Dunne et Joan Didion avaient adoptée à sa naissance, est hospitalisée en soins intensifs à Los Angeles suite à une hémorragie cérébrale massive. Quintana mourra le 26 août 2005, un an après la scène de la nouvelle, dix-huit mois après la mort de son père. En 2011, Didion lui dédiera un autre mémoire, Le Bleu de la nuit (Blue Nights, 2011). Elle survivra seize ans à sa fille et mourra en décembre 2021 à l’âge de quatre-vingt-sept ans. À propos de la nouvelle, Didion écrit : « Le père, c’est moi. »
Le diptyque formé par L’Année de la pensée magique (Grasset, 2007) et Le Bleu de la nuit (Grasset, 2013) a marqué son entrée dans le cercle fermé des autrices consacrées aussi bien par l’establishment intellectuel que par les lecteurs du monde entier. Mais, alors qu’ils sont perçus comme les écrits où elle se dévoile le plus, l’histoire de l’homme aveugle et de sa fille toxicomane est la seule allusion consentie par Didion à l’alcoolisme profond dont avait souffert Quintana dans les dernières années de sa vie.
Les Notes à John, qui ont paru en octobre dernier chez Grasset, quelques mois apr
