Littérature

Habiter les failles – sur Lézardes de Hélène Frédérick

Écrivain

Avec Lézardes, Hélène Frédérick plonge dans l’ombre des correcteurs de presse, ces artisans de l’invisible, pour raconter comment une vie peut se tisser dans les failles du langage. Entre cassetin parisien et mémoire québécoise, son récit déploie une poétique de la discrétion qui permet, au fil des pages, de rendre compte du désordre des âmes derrière l’ordre du discours.

Serait-il possible de toucher le fond des lézardes pour s’y lover, rêver, écrire, peut-être, et autant dire, de disparaître dans les failles du langage afin de mieux les ressentir plutôt que de lézarder au soleil médiatique comme tant d’auteurs à succès ? Alors, dans une grande rédaction parisienne, et aussi paradoxal cela pourrait-il paraître, on dira du « cassetin » qu’il aura été un haut lieu de la lézarde en butte aux diktats sociaux — « cassetin » étant par métonymie le nom donné autrefois à la pièce le plus souvent exiguë et toujours saturée de dictionnaires qui était dévolue aux correcteurs de presse, clairement séparés de la caste des journalistes.

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Au sein d’une grande rédaction, cette ruche médiatique, les correcteurs auront été à l’ère de la presse industrielle, des travailleurs très particuliers qui relèvent d’une noblesse ouvrière, et doivent disposer d’une assurance considérable dans le maniement d’un savoir étendu, actuel et documenté, mais dont, in fine, on attend précisément une forme de perfection dans l’invisibilité, en ces royaumes de « signatures » qui se rêvent grandes et que rien ne doit entacher : le travail du correcteur n’est jamais remarqué autrement que par ses défaillances, et en somme c’est toujours la sienne quand paraît une faute.

En bonne logique, c’est discrètement d’abord que cette question de l’invisibilité et d’une forme de disparition ou d’effacement, dont seule la page garderait trace, file son chemin tout au long du quatrième récit que donne aux éditions Verticales Hélène Frédérick, dont plusieurs volumes de poésie sont parus au Québec où elle est née et a grandi avant d’y devenir libraire — et pour ceux de ses livres qu’on a pu lire au long des années (le premier, La Poupée de Kokoschka, est paru en 2010), Lézardes est assurément le plus réussi, et le plus abouti.

Traçant une ligne si claire qu’elle permet de digresser en zigzagues d’un bord à l’autre de l’Atlantique sans jamais égarer le lecteur, le récit se révèle


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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