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Alice Savoie : « Chaque jour nous croisons des centaines de formes typographiques différentes »

Journaliste

Créatrice de caractère, Alice Savoie a conçu « Faune », une nouvelle famille typographique à la demande du Centre national des arts plastiques et l’Imprimerie Nationale. Elle éclaire pour AOC sa démarche, depuis les ouvrages d’histoire naturelle du XVIIIe siècle jusqu’à nos écrans d’ordinateurs, et évoque ses recherches en histoire de la typographie, notamment la révolution pré-numérique que fut la photocomposition.

Si l’édition numérique offrait autant de souplesse que l’édition imprimée, il eût été possible de composer cet article avec ce qui en fait l’objet même : un nouveau caractère typographique nommé Faune et crée par Alice Savoie en réponse à une commande du Centre national des arts plastiques (CNAP). Juridiquement, c’était possible puisque ce caractère est d’usage libre, sous licence creative commons ; techniquement, c’est une tout autre affaire de modifier, pour un article seulement, le texte courant d’un article de notre quotidien numérique. Un jour viendra certainement  et cela contribuera à rapprocher davantage encore l’objet journal numérique de son ancêtre papier – ce qui ne peut manquer de nous rassurer, nous qui tenons tant à cet objet éditorial multiséculaire qu’il s’agit de préserver de la dilution dans la forme incertaine nommée site web.

Alice Savoie est donc une créatrice de caractères mais aussi une historienne de la typographie. Elle enseigne le dessin de caractère à l’Atelier national de recherche typographique (Nancy) ainsi qu’au sein du post-diplôme Typographie et Langage à l’Ésad Amiens.

Ce ne doit pas être très fréquent la commande publique d’un nouveau caractère typographique…
C’est la deuxième fois seulement que le Centre national des arts plastiques passait une commande. La première, c’était il y a trois ans : Sandrine Nugue avait créé un caractère nommé Infini. L’idée était, par cette commande, de promouvoir la création typographique, avec une visée pédagogique, il s’agissait de rendre, auprès d’un large public, plus visible et plus compréhensible la profession de créateur de caractère. Pour cette deuxième commande, l’idée était aussi de faire découvrir et de mettre en valeur une partie du patrimoine de l’Imprimerie nationale. Le caractère créé devait puiser son inspiration dans les collections de l’atelier du livre d’art et de l’estampe.

Cette commande a-t-elle pris la forme d’un concours ?
Un appel à projet a été lancé à la fin de 2016 à destination de tous les créateurs de caractères français ou exerçant leur profession en France. Pour participer, il suffisait d’envoyer une note d’intention et un portfolio de son travail. À l’issue de cette première phase, trois d’entre nous avons été sélectionnés et invités à passer une journée à Douai dans les collections de l’Imprimerie Nationale afin d’y trouver le point de départ d’un projet pour lequel nous étions invités à produire une étude – travail pour lequel chacun des candidats était rémunéré. Hormis le fait de puiser notre inspiration dans ces collections, la commande était assez ouverte, sans véritable cahier des charges. Le caractère créé devait néanmoins pouvoir être utilisé largement, ce ne devait donc pas être seulement un caractère de titrage mais aussi ce qu’on appelle un caractère de texte. Il est assez facile de dessiner un caractère de titrage, on peut imaginer des choses un peu fantaisistes et pas forcément très lisibles. Mais là le caractère devait être facilement utilisable pour composer une diversité de choses. Nous étions invités à créer un caractère très lisible et fonctionnel.

Un caractère qu’on pourrait qualifier de généraliste ?
Oui, c’est ce que Sandrine Nugue avait parfaitement réalisé avec l’Infini. Et c’est ce que j’espère avoir réussi avec le Faune : dessiner un caractère facilement reconnaissable, avec de la personnalité et une véritable singularité. Imaginer un caractère que les gens aient envie d’utiliser plutôt qu’un autre. Pour cela, il faut rendre le travail de création typographique visible et assez évident tout en parvenant à dessiner quelque chose de suffisamment fonctionnel pour être être utilisé dans une grande variété d’applications. Utilisé par des professionnels du design graphique bien sûr mais aussi par des particuliers sans compétences ou connaissances spécifiques en typographie.

Qu’avez-vous trouvé dans les collections de l’Imprimerie Nationale qui vous a mise sur la piste de Faune ?
D’abord vu certain nombre de caractères typographiques qui ont été gravés à l’Imprimerie Nationale et, au départ, je pensais que c’est de là que viendrait mon inspiration puisque je ne suis pas seulement créatrice de caractère mais aussi historienne de la typographie et, du coup, assez familière des caractères dessinés à l’Imprimerie Nationale. Je pensais logiquement trouver là les éléments qui allaient servir d’amorce à mon projet. Mais la deuxième partie de notre journée à Douai a été passée à fouiller dans les collections d’ouvrages imprimés par l’Imprimerie Nationale et j’y ai découvert deux séries d’ouvrages : la Description de l’Égypte publiée après les campagnes napoléoniennes et la série d’ouvrages d’histoire naturelle de Buffon. Face à ces pages, ces magnifiques gravures animales, ces mises en couleur somptueuses, le fait de découvrir toutes ces espèces passées au crible, les relations entre l’enveloppe d’un animal et son squelette ou, sur certaines planches de la Description d’Égypte, différentes variations de la chauve-souris, par exemple, j’ai commencé à voir surgir des questions qui se posent aussi en typographie. Des questions sur les notions de filiations, de variations, sur l’idée de famille de caractères, par exemple… Ce sont des questions d’une grande actualité dans la communauté typographique alors qu’apparaissent de nouveaux formats, comme les fontes variables, par exemple, nées quelques mois avant la commande du CNAP, ces nouveaux formats dynamiques, adaptés au web, qui donnent accès à de très nombreuses variantes. C’est la question même de la définition de la famille typographique qui se trouve ainsi posée. Je me suis dit qu’il pourrait être intéressant de puiser dans ces planches d’histoire naturelle pour voir comment trouver dans la diversité des espèces animales de quoi inspirer la naissance d’une famille typographique. C’est une démarche qui avait prévalu au moment de l’Art Nouveau, dans un rapport à la nature et plus spécialement à la flore. La question qui se posait alors à moi c’était de savoir comment initier une démarche de ce type aujourd’hui, puisque le CNAP exigeait, j’ai oublié de le préciser, la prise en compte d’une dimension très contemporaine dans cette création, même si le caractère devait puiser son inspiration dans des collections patrimoniales. Il s’agissait donc de passer des plans d’histoire naturelle de la deuxième partie du XVIIIe et du XIXe siècles à une famille de caractères dessinée en 2017.

Comment passe-t-on de la morphologie animale à la forme des lettres ?
De manière très subjective. J’ai passé beaucoup de temps à observer des planches. J’ai sélectionné des animaux en essayant d’être un peu méthodique. Je suis partie des catégories d’animaux qu’on trouve dans la Description d’Égypte, des catégories qui ne sont plus pertinentes aujourd’hui, trois catégories d’animaux vertébrés : les reptiles, les mammifères et les oiseaux. Et, dans chaque catégorie, j’ai choisi un animal et tenté de voir comment les attributs physiques de chacun de ces animaux pouvait m’inspirer des attributs typographiques. J’ai ainsi sélectionné une vipère, un bélier et un ibis. Pour l’ibis, par exemple, j’ai cherché à voir comment la répartition des poids entre des pattes très fines, un corps un peu plus lourd et un cou sinueux pouvait inspirer une italique avec une répartition de pleins et de déliés un peu inhabituelle ; à l’inverse, la vipère, monolinéaire, m’a inspiré un caractère très fin qui est devenu la version extrafine du Faune. Et le bélier avec son corps touffu, foisonnant et ses cornes très reconnaissables m’a inspiré certaines lettres. Il ne s’agissait pas à chaque fois de retranscrire tous les attributs dans toutes les lettres mais de dégager de manière très subjective une sorte d’esprit à partir de chacun des animaux.

Avant cette expérience vous était-il arrivé déjà de voir dans les lettres parfois de drôles d’animaux ?
Des animaux non. Mais il m’arrive, en revanche, assez souvent d’y voir des expressions du visage. Certaines peuvent avoir l’air très triste et d’autres, au contraire, rieur ou énervé. Certaines lettres sont assez expressives et peuvent retranscrire des émotions ou des traits de caractère. Cette démarche m’est assez naturelle.

Comment avez-vous formé ces lettres, cela passe d’abord par le dessin ?
J’ai d’abord beaucoup griffonné à la main dans mon carnet. J’avais imprimé des reproductions des gravures qui me servaient de base et, dans mon carnet, j’essayais d’imaginer comment ces animaux pouvaient donner naissance à des lettres. Certains animaux m’ont inspiré certaines lettres plus particulièrement. Pour le bélier, j’avais commencé par un e, un s, un n, alors que pour l’ibis, c’était un i, un a et un n aussi. Certaines lettres se prêtaient plus facilement que d’autres à cette analogie formelle avec les animaux et, une fois que j’avais ces quelques lettres qui me permettaient de déduire une sorte d’ADN de mon alphabet, je suis passée à l’ordinateur, sur un logiciel de création de caractère pour redessiner au propre ces premières lettres et ensuite essayer de les décliner. Ensuite, c’est toujours un aller et retour entre l’ordinateur et le dessin à la main. Certaines opérations vont beaucoup plus vite sur ordinateur puisqu’on peut copier-coller, modifier plus rapidement et, à l’inverse, certaines choses sont plus intuitives avec le dessin manuel. Quand il s’agit de trouver certaines courbes ou de faire des essais très rapides, le dessin manuel offre une liberté que ne permet pas l’ordinateur, qui est plus contraint.

Avant Faune, aviez-vous déjà eu l’occasion de créer des familles typographiques ?
Oui, cela fait une dizaine d’année que je fais professionnellement de la typographie. Je crée, d’une part, des caractères de commandes, des caractères d’identité pour des agences de communication, par exemple, et, je mène, d’autre part, un travail de création plus personnel et libre. J’ai ainsi créé un caractère qui s’appelle Capucine, qui est distribué par une fonderie américaine. Les fonderies, virtuelles désormais, c’est un peu comme les labels en musique, elles distribuent les caractères. Et puis j’ai plusieurs caractères en cours de création, pour lesquels il me faut encore trouver du temps pour terminer l’ensemble. C’est souvent un travail de longue haleine. L’aspect créatif, trouver l’idée, former une famille typographique peut se faire assez rapidement mais après il y a tout un travail de finalisation, il faut créer tous les signes dont on peut avoir besoin pour composer, les chiffres, les signes de ponctuation, les caractères accentués… Et il y a aussi toutes les choses un peu plus techniques comme déterminer l’approche entre les lettres, le crénage, le rendu écran…

Que change, justement, le fait de lire sur écran au processus de création de nouveaux caractères ?
Les standards ont tendance à évoluer très vite : les résolutions d’écran, les technologies, les formats de fontes… Il faut toujours être à l’affût. Mais tout dépend du contexte de création du caractère. Il peut être très ambitieux de vouloir dessiner un caractère capable de remplir toutes les fonctions, un caractère qui puisse être performant à l’écran comme imprimé, en grand corps comme en petit corps… C’est beaucoup demander à un caractère que d’être capable de remplir toutes ces fonctions. Et la difficulté pour un créateur de caractère c’est qu’il ne contrôle pas la manière dont ce caractère sera utilisé, chacun pouvant en faire ce qui lui plaît. Cela dit on essaye toujours de prendre en compte les limites et les caractères sont souvent dessinés dans des buts très précis. Certains caractères sont ainsi créés spécialement pour être utilisés en tout petits corps de composition, comme les annuaires, quand d’autres, à l’inverse, sont conçus pour être utilisés en signalétiques, visibles de très loin, comme pour les panneaux routiers. Quand on dessine un caractère dans un but très spécifique cela nous aide à faire un certain nombre de choix dans la conception, et nous disposons aussi d’études théoriques sur la lisibilité qui nous permettent d’aller vers des types de formes plus spécifiques. Pour le Faune, j’ai essayé de trouver le meilleur compromis possible afin qu’il puisse être utilisé dans un certain nombre de corps en lecture continue mais aussi parfois comme caractère de titrage. Dans Faune, on trouve donc des versions pour le texte et d’autres, comme la version très fine, plus appropriées pour le titrage. Certains caractères ont pu être dessinés spécifiquement pour l’écran, comme le Verdana ou le Georgia, mais désormais les résolutions d’écran étant devenues très précises, il y a de moins en moins de différence de lisibilité entre l’écran et le papier. Le créateur de caractère retrouve donc une marge de manœuvre de plus en plus large.

Vous vous considérez typographe, créatrice de caractère ou graphiste ?
Je suis créatrice de caractère. Historiquement, les typographes étaient ceux qui composaient les caractères en plomb. En anglais, typographer signifie toujours cela, c’est quelqu’un qui compose du texte, alors que celui qui dessine des caractères est un type designer. Je ne me revendique pas graphiste car cela fait dix ans que je travaille comme créatrice de caractère et comme historienne de la typographie.

Comment concevez-vous alors la relation au graphisme ?
En design graphique, on est bien entendu amenés à composer des caractères, donc à les choisir, et parfois, à un moment, on se rend compte que devoir choisir les caractères devient la partie la plus excitante d’un projet, on a envie de creuser ou on se rend compte qu’on ne trouve pas exactement le caractère qu’on voudrait, du coup arrive l’envie d’en dessiner soi-même. Cela m’est arrivé assez tôt, je me suis vite spécialisée en création typographique. J’ai d’abord suivi un cursus en design graphique puis, à l’école Estienne, j’ai préparé un diplôme en création typographique, une formation qui mêlait graphisme, calligraphie et création typographique. C’est ce qui m’a conduit à me spécialiser ans le dessin de caractère.

Comment en êtes-vous venue à faire des recherches en histoire de la typographie ?
Je suis partie terminer mes études en Angleterre, à l’Université de Reading et j’ai commencé à travailler pour une compagnie qui s’appelle Monotype, qui existe depuis plus de 100 ans. J’ai ainsi été amenée à travailler sur des caractères assez anciens, qui avaient été, à l’origine, dessinés pour le plomb avant d’être numérisés. Je me suis demandé comment ces caractères avaient pu survivre tout au long du XXe siècle, traverser toutes ces révolutions technologiques et ce sont ces interrogations sur l’histoire de ces caractères qui m’ont amenée à me lancer dans une thèse de doctorat sur ces changements technologiques successifs survenus au XXe siècle.

Quel en était le sujet ?
L’évolution de la création typographique à l’ère de la photocomposition, toute la période qui va de la fin des années 50 et la fin des années 70. La période où le plomb a été remplacé par les procédés photographiques puis par les procédés numériques. La question, par exemple, de l’adaptation de caractères en plomb à ces nouvelles technologies et comment les créateurs de caractères ont dû adapter leurs manières de travailler et de concevoir des caractères typographiques. J’ai travaillé à partir de fonds d’archives spécifiques, notamment des archives conservées au Musée de l’imprimerie de Lyon et qui se rapportent à une machine produite en France, mais aussi les archives, en Angleterre, de la société Monotype. Ma recherche s’est construite à partir de ces archives, il s’agissait de comprendre, au croisement de l’histoire de l’art, du design et de l’histoire des sciences et techniques, comment certains acteurs clés ont travaillé à cette époque.

La photocomposition aura finalement été une période assez courte dans l’histoire…
Oui et il est intéressant d’observer qu’on parle aujourd’hui très souvent à propos du numérique de nouvelles technologies alors qu’en typographie les formats et les technologies qu’on utilise aujourd’hui sont grosso modo les mêmes que ceux qu’on utilisaient dans les années 80… En revanche, les 30 années qui ont précédé ont vu se produire des changements assez fulgurants, avec le passage du plomb à la photocomposition analogique puis numérique. À cette époque-là, les technologies changeaient quasiment tous les ans. Cette intensité du changement en fait une période très intéressante à étudier. Il est passionnant de parler avec les créateurs qui ont travaillé à cette époque-là. Nous regardons tout cela rétrospectivement mais eux n’avaient aucune espèce  d’idée de ce qui allait bien pouvoir suivre… C’est très instructif et fascinant. Les toutes premières machines de photocomposition ont été conçues avant la Seconde Guerre mondiale mais jamais commercialisées. La première machine à véritablement percer, la Lumitype, a été inventée par deux Français (Moyroud et Higonnet) à la fin des années 40 et fut d’abord construite aux États-Unis parce qu’ils ne trouvaient pas de financements en France. Très onéreuse, cette machine a commencé à être utilisée dans les années 60 mais par quelques rares sociétés – comme Berger-Levreault à Paris, par exemple –, des imprimeries ou des salles de composition qui travaillaient essentiellement sur du magazine ou des produits assez spécifiques. Il a fallu attendre la fin des années 60 pour que, leur prix baissant et leur qualité augmentant, ces machines soient largement utilisées, notamment celles de Compugraphic qui ont permis leur diffusion dans l’industrie de la composition.

C’est une véritable révolution technique. Aussi importante que celle du numérique ?
C’est difficile à dire. La photocomposition c’est une technologie de transition. Nous sommes encore dans la mutation numérique, il est donc difficile de dire s’il s’agit simplement d’un prolongement, d’une transition vers encore autre chose. Depuis trente ans, nous utilisons des technologies relativement stables, nous avons atteint une période de maturité. Mais il faut surtout bien comprendre comment l’histoire de la photocomposition se décompose en étapes successives qui ont peu à peu mené au numérique.

Dans quel mesure existe-t-il encore des caractères nationaux, des traditions locales de typographie ? Ou assiste-t-on à une mondialisation typographique généralisée ?
C’est une question qui fait encore grand débat. L’aspect collaboratif du travail typographique le rend assez international. Il y a peu de créateurs de caractères dans le monde et c’est une communauté très dynamique, il y a beaucoup d’échanges, de circulation. Les spécificités locales s’atténuent de plus en plus. Mais il y a une longue histoire beaucoup plus nationale ou locale. Il y a, par exemple, une tradition anglaise de la typographie, avec des gens comme Edward Johnston ou Eric Gill qui ont influencé toute la typographie au XXe siècle. L’histoire de la typographie française est également très forte. Cela dit, je ne pense pas que les créateurs contemporains de caractères s’inscrivent désormais dans une tradition. La pratique est devenue très internationale. Même si dans une discipline comme le lettrage, on peut encore trouver des tendances nationales ou locales fortes. À l’école d’art d’Amiens, nous menons actuellement un travail de recherche sur Ladislas Mandel, un créateur qui a dessiné beaucoup de caractères pour annuaires dans plusieurs pays, en Italie, en Belgique, au Portugal… Il croyait très fortement que les formes typographiques étaient lues à travers un filtre psychologique culturel, qu’on n’avait pas la même interprétation et la même aisance selon les pays, notamment entre cultures latines et cultures plus anglo-saxonnes. Je ne sais pas si c’est vrai, je n’ai pas trouvé d’études qui le confirment. Mais je pense qu’aujourd’hui, c’est de toute façon nettement moins le cas.

Pourtant, on trouve, au sein du grand public, d’immense différences de culture graphique selon les pays. Le niveau moyen de culture graphique semble bien plus élevé en Grande-Bretagne ou en Suisse qu’en France…
De manière générale, les pays de culture anglo-saxonne ont une forte culture graphique, et un degré de compréhension plus affirmé. Et c’était précisément l’un des objectifs du CNAP avec cette commande de faire découvrir la profession de créateur de caractère en France. En Hollande, à l’inverse, c’est une profession relativement bien comprise, moins obscure. Souvent, lorsqu’on explique, en France, ce qu’est un créateur de caractère les gens marquent un temps d’arrêt, ils pensaient que les caractères n’étaient pas créés par des humains mais par des ordinateurs… D’autres nous demandent pourquoi il y aurait besoin de créer de nouveaux caractères alors qu’il en existe déjà tellement… Mais si l’on commence à expliquer que chaque jour nous croisons tous des dizaines, et même des centaines de formes typographiques différentes, ces gens commencent à comprendre qu’ils s’agit de formes très présentes dans nos vies. Et qu’au même titre que les formes qui relèvent du design d’objet ou de l’architecture, elles méritent d’être en permanence renouvelées.


Sylvain Bourmeau

Journaliste, directeur d'AOC