Anna Tsing : « Je pars d’un constat : nous vivons dans les ruines du capitalisme. »
Anna Lowenhaupt Tsing est une anthropologue américaine, et l’autrice d’un des livres récents les plus remarqués et commentés en sciences sociales, Le champignon de la fin du monde, qui nous entraîne sur la piste du matsutake, un champignon aromatique prisé par les Japonais, qui a la particularité de croître dans les « ruines du capitalisme ». Sur ses traces, dans l’État de l’Oregon, au Japon, en Finlande, en Chine, au Canada, elle réfléchit aux transformations du capitalisme et à nos perspectives contemporaines, alors que la précarité tend à être la condition de notre temps.
Le champignon de la fin du monde est à l’image de son objet : foisonnant, multiple, prêt à se répandre et à déployer ses spores dans différentes directions. Il s’inscrit dans ce que d’aucuns considèrent comme un tournant, où les pratiques en anthropologie seraient réorientées, chaque époque générant certainement des théories qui reflètent ses préoccupations. Ces nouvelles pratiques remettraient en cause la connaissance objective de l’« homme » et l’autonomie d’une « nature humaine », en replaçant son étude dans la série de relations avec les non-humains. Ce « tournant » est incarné aux États-Unis par Donna Haraway ou Eduardo Kohn, avec son ouvrage Comment pensent les forêts, et en Europe par les figures de Bruno Latour et Isabelle Stengers, pour n’en citer que quelques-unes. Nous avons pu la rencontrer lors de sa venue à Paris, où elle fut déçue d’apprendre que la chasse aux champignons était une activité peu prisée, contrairement à ce qu’elle avait entendu dire… Mais nous nous sommes promenées en pensée dans l’anthropocène, la ZAD, les « dangers environnementaux de notre époque », et nous avons cueilli au passage quelques idées. YS.
Votre livre, Le champignon de la fin du monde, s’inscrit-il dans un tournant plus large observé en anthropologie, qui vise à replacer l’homme parmi les non-humains ?
Mon ouvrage est assez touffu et difficile à résumer, notamment parce que je tente de met