Aziz Abu Sarah : « La jeune génération palestinienne est prête à innover politiquement »
Aziz Abu Sarah est un entrepreneur palestinien né à Jérusalem-Est (Wadi-al-Joz), vivant entre Jérusalem et les Etats-Unis et co-dirigeant d’une agence de voyages qui propose des voyages alternatifs et interconfessionnels notamment en Palestine. Il s’est présenté comme candidat à l’élection du Maire de Jérusalem en octobre 2018. Sa liste Al Quds Lana (Notre Jérusalem) était la première liste présentée par un Palestinien de Jérusalem-Est depuis 1967, date de la « réunification » de Jérusalem[1]. Les Palestiniens de Jérusalem qui ont le statut de résidents et non de citoyens d’Israël peuvent en effet voter aux élections locales, puisqu’ils sont détenteurs de droits socioéconomiques, contribuent par l’impôt au fonctionnement des services et de la vie économique. Cependant, ils ne participent plus à la vie politique de la cité depuis 1967, en raison de la ligne politique dictée par les représentants Palestiniens (le Conseil National Palestinien de l’OLP en premier lieu). Celle-ci consiste, en raison de la non reconnaissance de l’annexion de Jérusalem-Est, à ne pas siéger à la Municipalité, dépendante de l’Etat d’Israël[2].
Abu Sarah, né en 1980, a opté pour une stratégie de rupture, avec pour objectif de briser la tradition politique du boycott électoral des Palestiniens, et de transformer les rapports de force à l’œuvre avec les autorités israéliennes. Bien qu’il ait retiré sa candidature deux jours avant le premier tour en raison de nombreuses pressions, celle-ci demeure, selon lui un acte en faveur de la visibilité symbolique et réelle des Palestiniens de Jérusalem, qui s’adresse aussi bien aux Israéliens qu’au Palestiniens. L’entretien revient sur l’action civile d’un citoyen souhaitant modifier l’horizon d’attente des Palestiniens, à partir d’une critique large des structures politiques, et sur la nécessité d’un retour à la vie politique. Il traite des difficultés d’une mobilisation collective et de la nécessité d’une reconfiguration du rapport à la politique par les Palestiniens eux-mêmes. La conception de son engagement est proche de celle du community organizing. Sylvaine Bulle
Quel est l’origine de votre engagement politique et comment a t-il évolué ?
Je suis né à Jérusalem-Est dans une famille religieuse, traditionnelle et mon père est entrepreneur. Lorsque j’avais 8 ans, j’ai commencé à lancer des pierres, non pas parce que je croyais que les pierres m’apporteraient la liberté, mais parce que je sentais que cela me donnait une voix et un exutoire. Mon frère est mort lors de la première Intifada, après un séjour d’un an en prison (israélienne) et je me suis engagé dans le Fatah Jeunesse ainsi que dans les forum d’aide aux familles de martyrs. N’ayant connu que l’occupation israélienne et la loi martiale, l’Intifada était un moyen de faire entendre ma voix dans un pays où je suis né mais dont je ne suis pas citoyen. Dans les années 90, nous avons connu l’âge d’or de la politique, avec les grandes protestations, les grandes grèves populaires, le rôle de la Maison de l’Orient (chargée du dossier de Jérusalem dans les discussions diplomatiques et internes). Après le processus d’Oslo, les choses ont changé. L’OLP et le Fatah se sont repliés sur des attitudes technocratiques, sans ne jamais évoluer et reconnaître la jeunesse comme faisant partie du corps politique. J’ai compris que je n’avais aucune chance d’avoir une place dans la vie politique palestinienne construite sur la cooptation de notables et j’ai quitté le « Fatah Jeunesse ». J’ai réalisé que la vie politique palestinienne ne m’aiderait jamais à grandir. J’ai également évolué par rapport à la lutte armée et l’Intifada qui, si elles traduisaient le désespoir, apparaissaient comme des impasses.
Jusqu’à 16 ans, je refusais d’apprendre l’hébreu (comme dans la plupart des familles et des jeunes nés sous occupation). Cependant, à la fin de mes études au lycée, j’ai décidé d’apprendre l’hébreu en m’inscrivant dans un Ulpan (cours d’hébreu) qui accueillait des étudiants, des étrangers, des Juifs de la diaspora. Ces expériences m’ont permis d’être immergé dans des réalités différentes. J’ai rencontré des citoyens de toute confession, des militant-e-s (comme les juristes défendant les quartiers Palestiniens impliqués), des citoyen-ne-s Israéliens défendant la mixité de Jérusalem, quels que soient les modèles juridiques (binational, sous souveraineté israélienne, indépendance)[3]. J’ai commencé à écrire des tribunes dans la revue 972 ou le quotidien Haaretz et je me suis engagé dans des associations interconfessionnelles pour la résolution des conflits.
Mon expérience et le contact avec des Israéliens ou des étrangers ont conforté ma vision pragmatique de la politique au sein de laquelle seul le réalisme est la clef du changement. Le fait que j’habite une partie du temps aux USA dans une démocratie de type libéral où l’action civile a de multiples formes a permis d’avoir une idée de l’importance de l’action collective (à l’image du community organizing) au sein d’un régime démocratique. Je me suis donc engagé dans la politique à partir de mon travail d’éditorialiste, puis d’activiste auprès d’ONG impliqués dans le « peace building », les projets alternatifs, éducatifs dans les camps de réfugiés en Syrie ou en Afghanistan ou contre la corruption au Moyen-Orient. Les tours que j’organise avec mon agence de voyage dans les Territoires et de Jérusalem m’ont beaucoup appris sur la vie des Palestiniens de Jérusalem-Est et de ses périphéries.
Mon engagement s’est précisé sur la question de Jérusalem où précisément le paradoxe politique est total. L’action politique palestinienne à Jérusalem n’existe plus depuis la mort de Faysal Husseini (qui fût le représentant de l’OLP sur le dossier de Jérusalem). Depuis sa mort, aucun des leaders Palestiniens ne s’intéresse plus à Jérusalem[4]. Plus les Jérusalémites sont discriminés, souffrent de l’occupation, plus ils sont délaissés par leur propre camp. Ma candidature pour devenir maire de Jérusalem n’est pas seulement un engagement contre l’occupation, mais en faveur de l’action collective des Palestiniens, qui passe par une remise en cause de la politique interne des Palestiniens : qu’il s’agisse de la démocratisation et du rapport à la « normalisation ». Si les Israéliens pensent que seule l’armée amène la paix et la stabilité, les Palestiniens pensent, eux, que seule la politique de la chaise vide a un avenir. Cette dépolitisation est une acceptation d’un état des choses où l’un gagne et l’autre perd. Elle crée de la frustration continue et constitue un réservoir de colère latente.
Quelles ont été les conditions de votre candidature ?
L’embargo est venu des deux cotés. Se présenter aux élections revient à mener une guerre sur deux fronts. Pour le ministère de l’Intérieur Israélien, ma candidature bousculait une inertie établie de longue date, puisque les Palestiniens refusaient de participer aux élections du Maire et du conseil Municipal. Les Municipalités successives (sous la présidence d’Omert puis de Barakat et aujourd’hui de Moshé Leon) ont eu tout le loisir de poursuivre une politique exclusive en faveur de Jérusalem-Ouest sans ne jamais rencontrer d’opposition. Ma candidature représentait donc pour le gouvernement non seulement une rupture de ce statu quo, mais le risque de voir voter des Palestiniens ou même des Juifs Israéliens en faveur d’un Palestinien, qui avec le jeu des coalitions de listes, aurait pu parvenir au second tour de l’élection du Maire. 180 000 Palestiniens sont des électeurs potentiels et peuvent décider de qui sera maire : en 2013, le Maire Barakat a été élu avec 110 000 voix.
La pression israélienne fut donc administrative, avec la menace de révoquer mon statut de résident[5], puis juridique avec la menace d’invalidation de ma candidature par le Ministère de l’Intérieur car je ne suis pas citoyen d’Israël[6]. Cependant, de nombreux Israéliens séculaires, mais également religieux ont largement soutenu ma candidature (par exemple en apportant leur caution pour le dépôt de ma candidature), tout simplement car celle-ci réinstaurait un cycle de dialogue entre Palestiniens et Israéliens, alors que les relatons intercommunautaires dans la vie ordinaire sont réduites au minimum et que la ville est au mains d’une coalition de droite et haredi (orthodoxes religieux). Mais le problème n’était pas seulement celui de la pression administrative, mais de l’absence d’information concernant ma candidature. Aucune couverture en dehors des journaux de gauche et des réseaux sociaux n’a été effectuée. Aucun affichage n’a été effectué par la Municipalité et le Ministère de l’Intérieur à Jérusalem-Est. Les Palestiniens eux-mêmes ne savent pas qu’ils ont le droit de voter. S’ajoute à cela l’absence de bureaux de vote à Jérusalem Est, les difficultés pour atteindre Jérusalem lorsque l’on vit dans les quartiers périphériques, avec des check-points à franchir, parfois trois changements de bus ou quatre heures de route pour atteindre un bureau de vote.
Côté palestinien, je n’ai eu aucun soutien de la part des partis officiels, encore moins des médias, qui ont reçu des pressions pour ne pas couvrir ma campagne. Les partis ont fait pression sur les journalistes, qui n’ont pas eu l’autorisation du Conseil National Palestinien. Certains électeurs potentiels ont reçu des menaces de la part des représentants palestiniens pour les empêcher de voter. Mes meetings ont été interrompus. Enfin, le Sheikh Mohammed Hussein, mufti de Jérusalem a émis une fatwa interdisant les Jérusalémites palestiniens de voter. Se sont donc cumulés l’absence d’information et d’affichage par la Municipalité, les menaces sur mes droits civiques par la droite israélienne (suspectée d’être derrière les pressions sur ma résidence), la campagne de désinformation ou de pression par les partisans du boycott électoral et les partis (Fatah, Front Démocratique de Libération et toutes les composantes de l’OLP) ou par le Mufti. Un sondage avant les élections indiquait que 60% des Palestiniens voulaient voter. J’ai cependant renoncé à me présenter en raison du risque d’invalidation de ma candidature par les autorités.
En quoi votre candidature était-elle un bouleversement ?
Aujourd’hui, Jérusalem est la ville de toutes les contradictions. Le Premier ministre Netanyahu déclare Jérusalem capitale d’Israël, alors qu’un tiers de sa population (180 000 habitants) est palestinienne. Il ne peut y avoir d’unité dans une ville où il n’y a pas d’égalité entre ses habitants et où le développement ne s’effectue que dans la partie occidentale (juive) de la ville. Ma candidature est une part de la résistance nationale palestinienne. Comment peut-on admettre que 37 % de la population ne soit pas représentée ? Se présenter comme Maire ne consiste pas à légitimer l’unification de Jérusalem, en siégeant comme minorité parmi des coalitions juives israéliennes dominantes. ll s’agit au contraire d’agir sur l’existant à Jérusalem, en se présentant comme celui qui revendique de faire partie de la démocratie et de présider la ville. Les Israéliens juifs d’Israël et de Jérusalem ne connaissent pas la situation des Palestiniens de Jérusalem, leur condition de vie, leurs droits ou leur absence de droit. Les Palestiniens, eux, se lamentent des transformations de la ville. Mais qui se soucie de prendre part aux décisions, aux projets de lois ou à la planification ? Qui se mobilise pour lutter contre la perte de droit ? Aucune organisation communautaire, aucun citoyen en dehors des quelques associations de juristes n’effectue ce travail de s’organiser, de se mobiliser pour pérenniser la présence des Palestiniens dans la ville. Aucun Palestinien n’est plus employé à la Municipalité pour les affaires de Jérusalem-Est, par peur des pressions et les décideurs sont donc exclusivement des Juifs israéliens.
Le boycott électoral est une schizophrénie, comme les Palestiniens sont capables d’en fabriquer. Qui peut déclarer qu’il n’existe pas de collaboration avec les institutions israéliennes, alors que tous les actes de la vie civile démontrent le contraire ? Quotidiennement, les citadins de Jérusalem-Est sont en relation avec l’administration israélienne, son armée, sa justice, ses services des impôts. Les partisans de Hamas payent leurs impôts comme tout le monde, sont en contact avec l’administration dans toutes leurs démarches pour obtenir un permis, un laissez-passer, une autorisation. Dire que l’on boycotte Israël est une plaisanterie, un déni ou un manque de réalisme qui consiste à éviter de poser la question de la responsabilité des dirigeants palestiniens dans le déclin de Jérusalem-Est et la poursuite des inégalités spatiales. Le boycott électoral et politique est un dispositif autocrate, d’évitement du politique, érigé par le Fatah et l’OLP depuis 1967, mais qui emprunte le discours de la résistance.
Ce déni ou cette dépolitisation qui consiste à faire comme s’il n’existait pas de relation avec Israël, tout en étant incapable de définir un projet politique allant dans le sens des droits des Palestiniens, a un coût politique et social. Plus le refus de la normalisation est affiché, plus les Palestiniens sont délaissés et plus la Municipalité peut déclarer que les Palestiniens ne comptent pas, et que les Palestiniens ne s’intéressent pas à la ville. L’isolement de Jérusalem-Est traduit autant le laxisme des représentants palestiniens que la politique d’isolement programmée par la Municipalité. La démolition des maisons à Jérusalem-Est pour cause d’illégalité est une traduction de ce double isolement. Si un Palestinien siégeait au Conseil municipal ou dans les services, il serait en mesure de contester l’application du droit. S’opposer à « l’israélisation » de la ville suppose d’être présent politiquement et civilement, comme le font les activistes israéliens et internationaux dans les quartiers menacés par les projets religieux.
Les Palestiniens ne perçoivent pas dans l’ensemble cette contradiction ou cette inertie qui consiste à ne pas exister politiquement et démocratiquement. Les autorités palestiniennes préfèrent fermer les yeux sur la situation plutôt que de repenser leur rapport à la gouvernance israélienne. Mais ni les partis ni Israël n’ont le monopole de la politique et les citadins doivent se réapproprier leur rapport à la ville, revendiquer d’être des interlocuteurs qu’ils ne sont plus. Seules une une véritable action collective et une véritable opposition peuvent changer le cours des choses. Ma candidature est en fait un rééquilibrage et un recadrage de la politique.
Sur quelles actions portaient votre programme ?
Dans mon programme, je fais de l’urbanisme et du logement, des permis de construire, une priorité. L’action symbolique forte ou prioritaire serait de stopper les démolitions de maisons à Jérusalem pour cause d’absence de permis de construire[7]. L’autre urgence concerne une politique en faveur de l’éducation. Actuellement les écoles sont 20 fois moins nombreuses à Jérusalem-Est qu’à Jérusalem-Ouest. Les élèves n’ont aucun terrain de jeu, aucun équipement scolaire comme les laboratoires de sciences, alors que nous payons plus ou autant de taxes qu’à Jérusalem-Ouest. L’éducation est la clef de l’acquisition d’une conscience sociale. Elle commence par le fait d’avoir des écoles en nombre et de qualité (actuellement le nombre d’élèves dans une classe à l’Ouest est 5 fois moins élevé qu’à l’Est) et d’ancrer le sens des initiatives et des libertés. Constatons que tout est fait pour que nous ne réussissions pas : cela commence par les conditions de vie, cela passe par l’école puis l’accès aux équipements, à l’information. Faire participer les Palestiniens aux élections fait partie de mon programme. Comment peut-on admettre que les Palestiniens n’aient reçu aucune information sur les élections ? Qui accepteraient de telles conditions à Jérusalem-Ouest ou dans une ville européenne occidentale ? Toute la différence est là : si vous êtes candidat juif, vous vous trouvez dans la situation d’une démocratie occidentale. Vous devez convaincre vos électeurs (même si l’abstention est élevée). Si vous êtes palestinien, vous devez d’abord informer les citoyens de l’existence d’élections. Avec mes colistiers nous avons fait pression pour installer des bureaux de vote accessibles. Exister par le vote, c’est tout simplement être reconnu dans ses droits civiques et dans son existence de citoyen. Je dis à l’Autorité palestinienne et aux Israéliens : nous voulons être impliqués dans la vie de la cité, quelle que soit la solution politique. Un ou deux Etats : cela a peu d’importance. Ma candidature était donc particulièrement symbolique, en rendant visible une demande de participation politique qui ne l’était pas jusqu’ici. Mais elle était aussi concrète car elle dévie la trajectoire politique palestinienne et israélienne. Avoir une position empirique, c’est modifier le cours de l’histoire.
Comment construire une action collective en tant que Palestinien et en dehors des partis ?
Ma candidature est une initiative individuelle. Je souhaite briser le tabou du boycott électoral érigé depuis 30 ans et montrer l’impasse dans lequel nous sommes maintenu-e-s par les deux parties israélienne et palestinienne. S’engager est une responsabilité et même un devoir envers les citoyens, pour remédier à leur invisibilité. Ma candidature correspond également à une nouvelle donne socioéconomique. J’appartiens à une nouvelle génération de Palestinien-ne-s éduqué-e-s, plutôt favorisé-e-s, voyageant entre plusieurs mondes, très ancré-e-s dans les réalités économiques, et en contact permanent par le travail, les études avec des Israélien-ne-s. Nous voulons participer à la vie politique, et plus encore à la discussion interne entre différentes listes palestiniennes. Nous sommes prêt-e-s à transgresser les mots d’ordre des partis palestiniens pour l’on puisse débattre du sort des Jérusalémites et ne plus demeurer impuissant-e-s dans notre vie quotidienne. La jeune génération n’a pas de tabou. Elle ne se sent pas représentée par les partis, n’a pas connu le processus de paix. Elle est prête à innover politiquement : que ce soit avec de nouveaux leaders, une démocratie plus directe, et en menant une discussion sur le devenir binational de Jérusalem. Car de plus en plus de citoyens palestiniens de Jérusalem et des Territoires sont conscients de l’impasse de la solution à deux Etats, y compris à Jérusalem.
Quant aux partis et aux représentants palestiniens, ce qui les gêne est le fait que mon engagement ne soit pas partisan. Il ne consiste pas à légitimer l’existant mais s’adresse à la démocratisation de la vie politique de Jérusalem. Ceci est un changement radical de paradigme qui ennuie autant les Israéliens que les « apparatchiks » palestiniens, qui ont peur de voir naître une nouvelle génération politique.
Etablir une alternative politique au sein des instances palestiniennes est la chose la plus difficile. Le Fatah a tué tout espoir d’une vie politique, par peur que des leaders émergent en dehors de lui. Faysal Husseini, qui avait une vraie vision pour Jérusalem, gênait le Fatah, lui-même concurrencé par le Hamas. Or le Fatah et l’OLP n’ont aucune ligne autre que celle de la délégation par cooptation à un collectif incarnant le nationalisme sans que les lignes politiques (comme le rôle des citoyens, la réflexion sur le devenir de Jérusalem, les priorités sociales et éducatives) ne soient discutées. Les dernières élections en Palestine remontent à 13 années. Si nous avions des élections aujourd’hui en Palestine, les votes se porteraient en faveur du Fatah (pourtant impopulaire) ou du Hamas car ils sont un gage de conservatisme. La seule ligne est de maintenir l’existant. La discussion a lieu en vase clos avec l’ancienne génération, qui refuse la liberté de parole à d’autres acteurs politiques. La censure et même la torture dans les prisons palestiniennes montrent que nous ne sommes pas prêts à dépasser l’autoritarisme et à transformer le vide politique.
Quand au Front Démocratique de Libération de la Palestine (marxiste), il a ignoré ma candidature et préfère l’inertie. Il n’a pas été possible de discuter avec leurs leaders car le parti est pris dans le piège de son inaction. Soit il appelle à la libération nationale mais ne propose rien en terme d’engagement, de mobilisation au delà de l’appel à lutter contre l’impérialisme. Soit il relaye le boycott électoral de Jérusalem comme mot d’ordre, et en délaissant de facto les citoyens. Dans les deux cas, c’est le corps politique et les citoyens qui sont volontairement ignorés.
Nous sommes une génération condamnée par cette inertie et prise en otage par des partis politiques incapables de démocratiser la politique. Si un candidat émerge avec des propositions allant dans le sens de la justice, de l’amélioration des conditions de vie, les citoyens préfèrent ne pas voter, si ce candidat n’est pas né dans une famille respectable ou adoubé par les instances. Le leadership se transmet par cooptation de membres de familles influentes. Le sort des Palestiniens de Jérusalem-Est demeure aux mains de quelques familles et ressemble à un partie de Monopoly selon que l’on passe d’une maison à une autre. Comment accepter que les représentants de 180 000 habitants : c’est-à-dire les chefs des quartiers soient cooptés par le Conseil National ou par le mufti, sans avoir une autre légitimité que celle de leur origine sociale ou clanique et de leur âge ? La preuve en est que la jeune génération de Jérusalémites ne veut pas s’engager dans les partis jugés archaïques. Personnellement, je suis né dans une famille qui n’est pas connue, je suis un outsider en politique, sans affiliation et ne suis pas coopté. Ma trajectoire bouscule donc les habitudes. Le fait que je mette mon capital social et économique au service d’un engagement civil dans le contexte actuel est une énigme pour les Palestiniens. Ils ne sont pas habitués à cet investissement personnel, d’autant que remettre en cause le statut-quo politique (qu’il s’agisse du boycott électoral, du fonctionnement des partis) revient à apparaître comme traitre à la cause.
C’est donc un espoir de constater que les Palestiniens qui ont soutenu ma candidature, veulent changer des choses au quotidien en bousculant les règles. Ils viennent de tous les horizons, mais tous sont en faveur de la démocratie interne, de la justice et sont conscients du décalage entre les partis et les citoyens. Le fait de n’avoir pu passer tous les obstacles n’est pas la fin d’un processus, mais le commencement d’un nouveau cycle, en faveur de la vie civile et d’une démocratisation de la vie politique, de la reconnaissance du droit à exister, non pas seulement comme Palestinien à Jérusalem mais comme comme acteur de la démocratie. Nous sommes de plus en plus nombreux à être en faveur du community acting pour bousculer le cours de choses.