Politique

Zeev Sternhell : « L’antisémitisme appartient à la culture européenne »

Journaliste

Face à une résurgence de l’antisémitisme, le président Macron vient d’annoncer un durcissement de la loi. Ce dont se félicite le grand historien Zeev Sternhell. Tout en s’empressant d’ajouter qu’il ne faudrait pas se bercer d’illusions et croire que cela suffira à faire disparaître ce qu’il nous faut toujours savoir regarder en face au lieu de le refouler.

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Né en 1935, en Galicie polonaise, le jeune Zeev Sternhell est caché pour échapper à l’extermination des juifs. Après la guerre, il étudie en France au lycée d’Avignon avant de gagner Israël en 1951 via une organisation sioniste d’assistance. Durant des années, il mènera en parallèle une carrière d’historien et d’officier de Tsahal, se trouvant à plusieurs reprises en situation de commandement sur le front. Historien des idées majeur, auteur d’une œuvre considérable sur le fascisme français et les anti-Lumières, il a toujours été un citoyen engagé à gauche, cofondateur du mouvement La Paix Maintenant. Au moment où paraît un nouvel ouvrage sous sa direction à propos du grand refoulement dont fait encore l’objet en France une partie de l’histoire du fascisme, il nous a semblé très opportun de l’entendre à propos de l’actualité de l’antisémitisme et de l’antilibéralisme. SB

Comment analysez-vous la résurgence de l’antisémitisme en France ?
En France, comme ailleurs en Europe, cette résurgence vient du fait que l’antisémitisme fait partie intégrante du nationalisme. Du nationalisme de la terre et des morts dans sa version française, du nationalisme du sang et du sol dans sa version allemande. L’antisémitisme est une « nécessité de méthode » disaient les maurrassiens au temps de l’affaire Dreyfus… Sans l’antisémitisme le nationalisme ne serait pas intégral. Alors la remontée du nationalisme de nos jours entraine la remontée de l’antisémitisme. Je viens de lire dans Le Monde que le président du CRIF remarquait qu’après tout les juifs ne représentent que 1% de la population. Mais l’antisémitisme n’est pas fonction de la présence des juifs ! Le premier journal antisémite français a vu le jour au XIXe siècle dans un département où il n’y avait pas un seul juif… L’antisémitisme fait partie intégrante du nationalisme, de l’antilibéralisme, de l’antihumanisme. C’est un refus des valeurs libérales, non pas de l’économie libérale, ce qui n’a rien à voir, mais du libéralisme au sens politique, des libertés publiques, des droits de l’homme.

L’antisémitisme résulte du fait de vouloir poser la question identitaire, comme c’est le cas depuis plusieurs années, comme ce fut le cas au moment de l’affaire Dreyfus. Or si le capitaine Dreyfus, cet officier de l’armée française, issu d’une famille ayant quitté l’Alsace pour ne pas vivre sous l’occupation allemande, si cet homme-là n’était pas français alors qui pouvait, qui peut bien l’être ? C’est une réponse claire à cette question qui a été apportée cinquante plus tard par les lois raciales Vichy. Les juifs tout d’un coup ont cessé d’être des citoyens comme les autres. Comment fut-ce possible ? Parce que, selon cette logique identitaire, la communauté des citoyens est toujours inférieure à la communauté nationale… On peut être français parce qu’on a reçu une carte d’identité à la préfecture, cela ne veut pas dire que l’on a le cœur et l’esprit d’un français : pour ces gens être français, c’est une qualité qui vient du fond de l’histoire… Un juif de Pologne ou un juif du Maroc immigré en France porteur d’un passeport français ne pouvait pas prétendre ipso facto être français. C’est ce qui a permis de dire tout d’un coup : Monsieur vous étiez français jusqu’à aujourd’hui mais à partir de demain matin vous ne l’êtes plus ! Voilà ce que fut Vichy.

Vous dites que ce fut la guerre à la Révolution française…
Parce que la Révolution française a libéré les Juifs, comme elle a libéré les esclaves noirs dans les Caraïbes. Et que, depuis la Révolution française, le sort des juifs est lié au sort des valeurs libérales. Or les valeurs libérales ne se divisent pas. Ce sont les droits de l’homme, l’égalité de tous les êtres humains, l’humanisme… Le fascisme ce fut la guerre aux valeurs des Lumières françaises, ces Lumières françaises sans qu’il n’y a pas de démocratie, pas de liberté, pas d’égalité, pas d’humanisme. Il ne faut jamais oublier la définition de la Nation telle que Diderot et d’Alembert la donnent dans l’Encyclopédie : un ensemble de citoyens – et c’est tout, pas un mot de plus. Il n’y a pas un mot sur l’ethnie, pas un mot sur la langue, pas un mot sur la religion, pas un mot sur l’histoire. La Nation ce sont des gens qui vivent sur un territoire délimité par des frontières et soumis au même gouvernement. Un territoire, des frontières et un gouvernement c’est-à-dire une définition juridique et politique. Sans plus. Cette définition de la Nation n’a, c’est évident, pas survécu aux guerres napoléoniennes mais voilà ce qu’était l’objectif de l’Encyclopédie, des Lumières françaises : libérer les hommes du déterminisme, d’une histoire qu’ils n’ont pas faite eux-mêmes. La communauté des citoyens est la seule communauté qui existe. C’est contre cette conception de la Nation que Vichy s’est levé. Les lois raciales c’était d’abord la guerre à la Révolution, on faisait davantage la guerre à la Révolution que l’on faisait la guerre aux juifs, même si évidemment les juifs ont payé la note. L’objectif était de mettre fin à la Révolution française. Vichy n’était pas un régime conservateur mais un régime éminemment contre-révolutionnaire.

Mais là vous parlez de Vichy…
Je parle de Vichy mais il faut toujours garder présent à l’esprit que tous ces phénomènes, qui ont engendré la catastrophe européenne du XXe siècle, n’ont pas été balayés une fois pour toutes avec la fin de la seconde guerre mondiale. Ils n’ont pas été enterrés une fois pour toutes dans les ruines de Berlin. Ils appartiennent à la culture européenne. Le nationalisme appartient à la culture européenne. L’antisémitisme appartient à la culture européenne. Je viens de lire que le président de la République française, M. Macron, a annoncé des mesures tranchées, législatives notamment, contre l’antisémitisme. Tout cela est nécessaire. Il faut faire quelque chose bien sûr. Mais il ne faut pas se faire d’illusions surtout : des problèmes culturels aussi profonds, aussi enracinés ne se règlent pas par un vote de l’Assemblée nationale ! Vous vous souvenez sans doute des propos tenus en 2007 par Raymond Barre, ancien Premier ministre, sur l’antenne de France Culture, lorsqu’il a parlé du lobby juif, qu’il a expliqué que Maurice Papon était un bouc émissaire… Lui qui avait déjà parlé des « français innocents » fauchés par l’attentat de la rue Copernic… Tout cela existe, n’a jamais disparu.

Y a-t-il, de ce point de vue, une spécificité française ?
La spécificité tient au fait que la France a produit deux traditions politiques, et non une seule. D’un côté les Lumières française, soit la plus belle version des Lumières, plus belle que celle des Lumières écossaises. C’est une tradition magnifique, la plus grande contribution de la France à notre monde. Mais, d’un autre côté, la France a également produit une culture des anti-Lumières. La France a donc produit deux traditions politiques. A l’inverse de l’Allemagne qui n’en a produit qu’une, avec à la marge un peu de Lumières. Et l’on pourrait dire à peu près la même chose de l’Italie. Or si la France a produit ces deux traditions politiques, le monde a toujours aimé ne voir que la tradition des Lumières. C’est pour cela que la chute de la France en 1940 et l’instauration du régime de Vichy fut un choc mondial. Ce qui se passe en France a toujours un écho extraordinaire. La France n’est plus la grande puissance qu’elle fut dans le passé, c’est une puissance moyenne, à l’instar de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne. Mais, du point de vue culturel, ce qui se passe en France rencontre toujours un écho extraordinaire car la France apparaît encore comme la patrie du XVIIIe siècle et des droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle des actes antisémites commis en France prennent toujours des proportions énormes. Et c’est aussi pourquoi, en France même les réactions sont toujours très vives. La grande manifestation de mardi soir c’est quand même un signe fort.

Comment caractériser ce qu’on appelle le « nouvel antisémitisme » ?
L’antisémitisme moderne n’est plus l’antisémitisme religieux d’antan, l’élément religieux n’est plus essentiel, il l’était encore à la fin du XIXe siècle. Le terme antisémitisme a été inventé en Allemagne en 1879 par Marr, et l’élément religieux tenait une place importante. Ce n’est plus vraiment le cas maintenant. Deux éléments se sont ajoutés dans le « nouvel antisémitisme » : l’islamisme et la haine du sionisme. J’ai lu ce matin un article sur l’antisémitisme dans les mosquées aux Etats-Unis. Je ne sais pas très bien ce qui se passe en France mais je ne suis pas certain qu’on prêche l’amour du Juif dans les mosquées, ce n’est quasiment pas possible. Mais on peut très bien s’opposer à l’antisémitisme dans une mosquée. Quant à la question du sionisme et de  l’antisionisme, j’ai vu qu’Alain Finkielkraut avait été traité de « sale sioniste » ce qui veut dire en fait « sale juif »… Si l’antisionisme signifie une négation du droit des juifs à la souveraineté nationale, si l’antisionisme signifie la volonté de mettre fin à l’Etat d’Israël alors oui c’est de l’antisémitisme. Mais on peut ne pas être sioniste, on peut même être antisioniste sans être antisémite. Et cela il ne faut pas l’oublier. L’antisionisme est un antisémitisme quand il nie le droit à l’existence de l’Etat juif. Nier le droit des juifs a l’existence nationale est une forme d’antisémitisme. Mais une critique de l’Etat d’Israël pour sa politique, pour la colonisation, pour le refus d’évacuer les territoires conquis en 1967, la revendication de la Bible comme notre droit de propriété sur toute la Palestine, en oubliant que sur ces terres vivent quelques millions de gens qui ne sont pas juifs, ça ce n’est pas de l’antisémitisme. Je le dis parce que la droite israélienne, le gouvernement de M. Netanyahou s’est livré à une opération politique minable en intégrant dans sa coalition des kahanistes – du nom du rabbin Kahane – c’est-à-dire en clair des nazis, des racistes qui non seulement prêchent le droit absolu des juifs sur toute la Palestine – ils ne sont pas les seuls – mais qui voudraient se débarrasser manu militari des Palestiniens. Il ne faut pas permettre que la critique de la politique israélienne, même en des termes vifs, soit assimilée à l’antisémitisme.

Depuis quelques années, des intellectuels insistent sur la similarité entre la situation actuelle et les années 30. Que vaut, à vos yeux, un tel rapprochement ?
Ce qu’il faut surtout bien comprendre à mes yeux, c’est qu’il y a une grande continuité entre les années qui précèdent la première guerre mondiale et les années la suivent. Car la guerre à la démocratie libérale a, en fait, commencé bien avant la Grande Guerre, elle n’a pas été produite par la Grande Guerre. Pour le dire autrement, le XXe siècle ne commence pas en 1914. D’ailleurs, dans les années 30 on savait très bien ces choses-là. En 1936, le jeune fasciste Pierre Andreu, grand ami de Bertrand de Jouvenel, publie dans Combat, la revue fascisante de Thierry Maulnier – revue dans laquelle évoluait d’ailleurs un jeune étudiant nommé François Mitterrand – un article intitulé « Fascisme 1913 » dans lequel il cite Drieu La Rochelle : « Sans doute quand on se réfère à cette époque on s’aperçoit que quelques éléments de l’atmosphère fasciste étaient réunis en France dès 1913 avant qu’ils ne le fussent ailleurs ». Et Bertrand de Jouvenel, lui, dit, à peu près à cette période : « les historiens de l’avenir se demanderont si la France n’eut pas été sans l’explosion d’août 1914 le premier pays à faire une révolution nationale». C’est la preuve que des gens savaient que les années 30 ne tombaient pas de la pluie, qu’elles ne venaient pas de la Grande Guerre. La Grande Guerre n’a pas été cette extraordinaire césure. Elle se situe au contraire au milieu de la grande révolte contre la démocratie libérale, une révolte qui apparaissait dès avant 1914 comme la conséquence d’un problème de civilisation. Voilà ce qu’il faut retenir. La brutalisation des champs de bataille n’a pas produit le désastre du XXe siècle, elle n’a pas produit le fascisme. N’oublions pas que l’Espagne n’a pas participé à la guerre du tout, il n’y avait pas d’Espagnols sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Certains historiens français, Antoine Prost par exemple, pensent d’ailleurs que les soldats français sont rentrés de la guerre pacifistes. Et les Allemands seraient revenus comme des bêtes sauvages ? Les Français avaient pourtant connu les mêmes champs de bataille que les Allemands, les Italiens, les Britanniques ou les Américains… Pourquoi les Américains et les Britanniques seraient-ils rentrés comme ils sont arrivés alors que les Allemands et les Italiens se seraient transformés en bêtes sauvages ? Cette explication du fascisme et du nazisme comme des produits de la première guerre mondiale ne tient tout simplement pas debout.

Je reviens à la question : quelle comparaison peut faire entre les années 30 et aujourd’hui ?
L’histoire ne se répète jamais. Mais il existe des similitudes. Tout simplement parce qu’il y a une continuité. Les années 30 étaient des années de crise et si aujourd’hui nous sommes en crise cela n’est en rien comparable aux malheurs des années 30. Ce qui frappe, au contraire, c’est que la montée de l’extrême droite en France, comme en Allemagne, comme dans les pays de l’Est, s’opère en période de paix, de bonheur et de prospérité relatifs. L’inflation et même le chômage n’ont rien à voir avec ce qui se passait dans les années 30. La protection sociale désormais existe. Je crois qu’il n’y a pas aujourd’hui à la surface du globe d’endroit où la vie soit meilleure qu’elle ne l’est en Europe occidentale. Les français se plaignent, ils rouspètent et ils ont raison, les citoyens doivent toujours rouspéter, toujours se plaindre et ne jamais être satisfaits. Mais la vérité c’est que la France d’aujourd’hui est l’un des pays au monde, avec l’Allemagne, où la vie est la meilleure. Comparée à la France, la société américaine est une société barbare. Dépourvu des filets de sécurité qui protègent un français ou un allemand, un américain vit comme un chien. Sauf bien sûr s’il est riche. Mais la France, comme les autres pays européens, traverse une crise et, en période de crise, le nationalisme remonte. L’Union européenne n’a pas produit les résultats espérés. Même si l’alliance franco-allemande est l’un des phénomènes les plus extraordinaires de l’histoire contemporaine, qui nous a donné l’Union européenne. C’est-à-dire une situation bien meilleure que celle qui prévalait mais une situation qui n’est pas à la hauteur de ce que les Européens pouvaient espérer. Alors oui, il existe des similitudes avec les années 30 parce que la révolte contre la démocratie libérale ressemble d’une certaine manière à celle que nous avons vue alors. Le refus de la démocratie libérale repose sur des principes immuables, c’est toujours un problème de civilisation.

Mais la résurgence de ce refus de la démocratie libérale, et donc de l’antisémitisme, ne s’explique-t-elle pas aussi en France par la manière dont l’histoire y fut largement refoulée, pour reprendre le titre du livre collectif que vous faites paraître ces jours-ci ?
C’est une longue histoire. L’acte de naissance du nationalisme politique en France, c’est sans doute le Boulangisme. L’explosion de l’affaire Dreyfus s’explique par le boulangisme. Ensuite nous avons eu les maurrassiens, les années 30, nous avons vu les campagnes de La Roque contre Léon Blum et contre le Front Populaire… Et toutes  ces choses n’ont jamais disparu, en France comme ailleurs. Tout simplement parce qu’elles font partie de notre culture européenne. Mais en France cela frappe davantage du fait de la présence forte de l’autre tradition, celles des Lumières. Mais tant qu’il y aura du nationalisme, l’antisémitisme ne pourra pas disparaître. Et le fascisme c’est le nationalisme dur, le nationalisme exacerbé. Alors aussi longtemps que le nationalisme existe le danger du fascisme existe. C’est en vrai pour la France comme pour l’Europe orientale. Car le fascisme n’est pas une aberration ou un accident de parcours. C’est un phénomène à l’histoire longue, dont les origines se trouvent d’ailleurs en France, bien avant l’Italie. Tout simplement parce que la France était, à la fin du XIXe siècle, la société libérale la plus avancée du continent. C’est donc là, dans ce pays pourtant doté d’une solide tradition politique des Lumières, qu’a éclaté en premier la crise du libéralisme.

Pourtant de très nombreux historiens ont formé des générations d’étudiants en France en prétendant que la France avait été immunisée contre le fascisme… A commencer par René Rémond avec son célèbre livre sur Les Droites en France
Dans cet ouvrage René Rémond expliquait qu’il n’y a pas eu de fascisme français parce que le fascisme pouvait difficilement s’établir en France. Pourtant aucune société, aucune culture n’est immunisée contre le fascisme. Le fascisme c’est avant tout la guerre aux Lumières françaises, qui sont aussi celles de leur plus grand allié, Kant, qui voyait en Rousseau son maître. Le fascisme c’est la guerre au libéralisme, aux valeurs libérales, c’est la guerre au rationalisme marxiste. C’est une campagne contre les valeurs libérales et socialistes sans jamais toucher à l’économie libérale. Avec Les Droites en France, René Rémond a commis à la fois une erreur cardinale et un coup de génie politique : son succès correspondait à un besoin profond de croire que la France n’était pas comme les autres. Mais sa thèse des trois droites verrouillait totalement la signification du XXe siècle français, d’une manière encore plus hermétique et plus efficace que tout ce qu’avaient pu accomplir Croce pour l’Italie ou Meinecke, et plus tard Nolte, pour l’Allemagne. Car ce grand refoulement n’est en effet pas seulement français, mais aussi allemand et italien. Dans les trois pays, il s’est trouvé des historiens pour banaliser le passé national récent, le libérer de toute responsabilité dans le désastre du XXe siècle. Pour ces historiens, la catastrophe européenne, allemande, italienne, française des années 40 ne serait pas le produit de l’histoire nationale mais le fruit d’un accident. Croce parle du fascisme comme d’une parenthèse en Italie. Vichy est vu comme une parenthèse de l’histoire de France par René Rémond.

La thèse de l’accident, c’est la forme qu’a pris le refoulement ?
Et surtout la fabrication d’une fiction. Celle qui veut que la France était à Londres, à Bir Hakeim et dans le Vercors, que son visage prenait les traits des fusillés du Mont Valérien, de la division Leclerc ou des partisans FFI… La collaboration, la normalité de la vie tant à Vichy qu’à Paris, les compromis plus ou moins dignes avec l’occupation, le ramassage des juifs et leur envoi à Auschwitz avec Bousquet – sachant que c’est la police parisienne qui a fait ce travail parce que Vichy voulait préserver un semblant de souveraineté sur tout le territoire national – tout cela disparaissait. Ce qui fait que dans le livre de René Rémond Vichy occupe moins de huit pages, simple épisode coincé entre la IIIe et la IV République… Les Lois raciales ne sont même pas mentionnées, chose qui aujourd’hui semble difficilement compréhensible. Au lendemain de la guerre, il ne restait donc pour ces historiens qu’à reprendre la marche des événements en évacuant de l’histoire nationale aussi bien l’intermède vichyssois que l’idéologie fasciste diffusée dans les années 30. C’est le travail inverse que doivent mener les historiens : non seulement expliquer Vichy mais aussi montrer le rôle des élites, des intellectuels dans le long travail de sape de la démocratie française tout au long du demi siècle qui précède 1940. La continuité entre le boulangisme, l’affaire Dreyfus et Vichy saute aux yeux si l’on veut bien regarder les choses. Il faut toujours observer les continuités.

 

Zeev Sternhell (dir.), L’histoire refoulée – La Roque, les Croix de feu, et le fascisme français, Les éditions du Cerf, 384 pages

 


Sylvain Bourmeau

Journaliste, directeur d'AOC

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