Cinéma

Guillaume Massart et Alexandra Mélot : « La prison est ici un univers mental »

Chercheuse en études visuelles

Avec La Liberté, tourné dans la prison ouverte de Casabianda en Corse, Guillaume Massart prend à revers les codes du film carcéral et réalise une œuvre puissante sur l’avènement de la parole en un lieu où celle-ci se trouve toujours réduite au silence ou enchâssée dans une gangue juridico-administrative. Entretien avec le réalisateur et la monteuse, Alexandra Mélot.

« Le cadre est beau, le tableau est pourri » prévient un détenu de Casabianda au début du film. Entre île déserte et camp de vacances, cette maison centrale sans barreaux ni murs d’enceinte convoque moins l’imaginaire de la prison que celui d’une robinsonnade pittoresque où quelques âmes perdues auraient trouvé refuge. Durant la première demie heure du film, dérouté par cet espace sans contours, le cinéaste cherche en vain à rencontrer ceux qui y vivent. Leurs silhouettes fuyantes dans les bois alentours lui imposent une distance polie. Combler la distance, errer sur les chemins forestiers, arpenter la géographie insolite de ce lieu, jusqu’à gagner la confiance de quelques-uns et entrer dans les cellules, invité à prendre un café. Il aura fallu près de six ans et plusieurs sessions de tournage pour tisser ce lien de l’échange et de l’écoute, et redéfinir le projet de La Liberté : moins géographie de l’enfermement qu’avènement de la parole dans un monde vidé de sens et de mots.

Il faut dire que tout est incongru à Casabianda : la discrétion des surveillants qui très vite ne sont guère plus que des présences indistinctes ; l’absence de murs, grilles, barreaux ; le paysage idyllique entre plage et forêt de pins ; la présence des sangliers qui vont et viennent librement la nuit près des bâtiments pénitentiaires rapiner quelque nourriture ; ou encore les chats sauvages qui ont colonisé ce territoire et en ont intégré les frontières symboliques, s’arrêtant devant le panneau qui délimite l’enceinte invisible de la prison. Et surtout, la durée infinie de ces journées qu’on ne sait plus comment occuper, entre petits travaux agricoles, pêche et promenades. Mais l’oisiveté et le calme de Casabianda cachent des tourments indicibles. La plupart de ceux qui y sont détenus ont été condamnés pour des affaires d’inceste. Difficile de leur faire accepter a priori la présence d’une caméra, encore plus de se laisser filmer à visage découvert. Cela, Guillaume Massart l’avait bien antici


Alice Leroy

Chercheuse en études visuelles, Enseignante en histoire et esthétique du film

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