Politique culturelle

Didier Fusillier : « Les Micro-Folies offrent une nouvelle trame pour la politique culturelle »

Journaliste

Aujourd’hui président de La Villette, et futur commissaire de la prochaine Nuit Blanche, Didier Fusillier fait partie des quelques personnes qui, depuis trente ans, ont activement participé à la réinvention perpétuelle de la politique culturelle en prenant toujours soin d’articuler dimensions artistique et sociale. Sa dernière invention s’appelle les Micro-Folies, il en détaille ici la philosophie et les premiers effets concrets.

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C’est au Manège de Maubeuge que Didier Fusillier a fourbi ses armes de grand animateur culturel. Rien de péjoratif derrière ce mot, tout le contraire. Comment nommer sinon ceux – rares à l’époque, et encore aujourd’hui – dont l’art consiste à rendre vivants des lieux et des projets culturels ? Car si, à la différence de nombre de directeurs de théâtre, Didier Fusillier n’est plus depuis bien lontemps un artiste au sens classique, sa contribution à la culture en général relève tout autant de l’esthétique que du politique, les deux entremêlés. A Maubeuge donc, puis à la Maison des Arts de Créteil, auprès de Martine Aubry et Catherine Cullen à Lille, et depuis quatre ans à la présidence de La Villette à Paris, à chaque fois il a su inventer une politique culturelle nouvelle, qui vaut bien au-delà du lieu dont il a la responsabilité. La preuve : les Micro-Folies, ce projet qu’il a initié depuis ce Parc du nord de Paris et qui désormais s’étend à travers tout le territoire national et par delà les frontières jusqu’à Pékin ou Mexico. C’est de ces Micro-Folies dont il est question dans l’entretien qui suit, et aussi de la prochaine Nuit Blanche, dont il est le commissaire. SB

Comment est né le projet des Micro-Folies ?
L’idée est venue des Folies imaginées par l’architecte Bernard Tschumi lorsqu’il a conçu la Villette, ces petits bâtiments fonctionnent comme autant de repères sur le plan axonométrique du Parc. Ces Folies sont là pour nous aider à nous repérer dans un délire cinétique, notre propre déplacement nous fait ainsi découvrir des lieux, des paysages. Les vingt-six Folies sont là pour rythmer l’espace et forment un réseau, ou plus exactement une trame. L’inspiration pour le projet des Micro-Folies vient tout simplement de ce dispositif et consiste en quelque sorte à étendre la trame le plus loin possible, d’abord autour du Parc, puis de Paris, puis de la France, puis du monde entier… Il y a désormais des Micro-Folies à Pékin, à Lima, à Izmir, à Rangoon, et cet ensemble forme une trame sans limites de propositions artistiques, d’expérimentations, de points de rencontres entre des œuvres et des publics.
Je ne crois pas du tout qu’il existe des zones blanches de culture, il y a toujours de la culture. Mais parfois, dans certains territoires, l’accès à certaines formes de culture est plus limité. Un enfant qui vit dans un village ne vient pas facilement au musée parce qu’il faut un bus pour l’y conduire et que ça coûte 780 euros, qu’il faut deux profs et trois parents pour accompagner les élèves, qu’il faut l’autorisation du chef d’établissement sur sa responsabilité personnelle… Ce qui fait qu’en pratique plus un gamin ne sort aujourd’hui. Et même ceux qui habitent Paris ne vont pas beaucoup plus au Louvre que les autres, parce que c’est compliqué, qu’il n’y a pas de zone de picnic… On connaît tout ces problèmes depuis très longtemps. Bourdieu l’avait déjà très bien expliqué : le problème ce n’est pas l’œuvre en elle-même, c’est la porte. Notre idée avec les Micro-Folies est alors très simple : déplacer l’œuvre. La placer dans un contexte plus simple, convivial, autour d’un café tenu par des associations qui vivent là, faire se rencontrer des chefs d’œuvre du patrimoine, venus de nos grandes institutions, des œuvres qui appartiennent à tout le monde de la même façon, qui sont propriétés de la Nation avec des artistes qui travaillent sur ce territoire, non seulement pour qu’ils puissent présenter leur travail dans cette Micro-Folie particulière mais aussi pour faire en sorte qu’ils puissent injecter ce travail dans le réseau plus large, dans cette trame que constitue l’ensemble des Micro-Folies. Un artiste qui fait de la bande-dessinée à Bastia peut ainsi être vu à Avignon, à Metz ou en Savoie. L’idée consiste à utiliser à la fois le patrimoine et la technologie dont nous disposons aujourd’hui en la simplifiant au maximum.

Une idée simple qui a dû croiser quelques ronchons sur sa route, des gens qui dénigre ce type d’initiative en soulignant que ce ne sont pas les œuvres que vous déplacez la plupart du temps mais des copies numériques…
Et ces ronchons ne sont en général pas venus voir de quoi il s’agit… Oui on en a entendu pester que rien ne remplacera jamais le fait de voir la Joconde en vrai. Et je suis, à vrai dire, assez d’accord avec eux : rien ne remplacera le fait de voir en effet la Joconde ! Sauf que la Joconde on ne la voit pas, elle est derrière une vitre, il y a en permanence quinze rangs de Chinois, de Japonais et d’Européens devant… Celui qui vous dit qu’il a vu la Joconde n’a en gros vu que le reflet de la Joconde derrière ce qui s’apparente presque à une vitre sans teint ! Même chose pour le Veronèse tel qu’il est présenté au Louvre, derrière la Joconde d’ailleurs : on a pas le recul suffisant pour le voir en entier. En fait tout est question de perception des œuvres. On est bien d’accord : rien ne peut remplacer le fait de voir une œuvre en direct. Sauf que là, avec notre dispositif, ce qui est tout à fait intéressant c’est que lorsqu’on voit la Joconde arriver, elle vient direct du Louvre, c’est-à-dire que le fichier numérique a été pris par le Louvre, il est en 4K, ce qui veut dire que pour bien le voir il faut disposer d’un écran 4K ce qui est encore assez rare aujourd’hui, et quand on a la chance d’en faire l’expérience comme à Sevran-Baudottes, seule Micro-Folie équipée d’écrans 4K, on voit une image de la Joconde telle qu’on ne l’a jamais vue. Les couleurs sont restituées à l’identique de l’origine, on voit des détails insensés, on a un noir profond… Et c’est la même chose pour la Grande Odalisque d’Ingres, par exemple, on voit la tenture d’où vient sa robe, on voit qu’elle n’a pas un dos normal, on le voit beaucoup mieux que face au tableau accroché en hauteur au-dessus de la porte dans la Grande Galerie du Louvre. Notre idée n’est pas de dire :  « On va vous présenter le tableau ». On vous présente quelque chose qui est la Joconde mais qui n’a pas la même forme, et qui n’a pas la texture évidemment, puisqu’il s’agit d’une texture numérique. Mais ce qui est très intéressant dans cette expérience c’est d’entendre, où que l’on se trouve, tous les enfants de 10-12 ans poser d’abord toujours la même question : « elle est comment la Joconde en vrai ? » C’est très fort. On leur répond qu’elle est toute petite, que le tableau est grand comme ça… On leur donne la clé. On leur dit : si vous voulez la voir, vous entrez par telle porte au Louvre, vous montez l’escalier à droite et là vous tombez dessus. Du coup ça devient une obsession pour les enfants, à Villiers-le Bel, aux Mureaux, à Avignon, ils veulent tous non pas aller au Louvre mais aller voir la Joconde en vrai. C’est très intéressant parce qu’en provoquant la frustration de ne pas l’avoir vue en vrai on crée l’appétit. Nous ne sommes pas là pour copier l’œuvre. C’est différent de ce que propose Rijks Museum à Amsterdam qui, avec l’aide notamment de Canon, copie les œuvres. Ils sont capables de créer une copie d’un auto-portrait de Rembrandt, par exemple, telle qu’à trois mètres les meilleurs spécialistes sont incapables de faire la différence. C’est très intéressant mais c’est autre chose. Ce n’est pas du tout notre propos. Ce que nous proposons nous c’est un contenu pédagogique.

D’où l’importance de s’appuyer sur les personnes les plus compétentes au sein des institutions culturelles partenaires du projet des Micro-Folies…
Les cartels des œuvres et les documents qui accompagnent les œuvres présentées dans les Micro-Folies sont conçus et rédigés par les conservateurs des différentes institutions. Pour reprendre cet exemple emblématique, c’est un conservateur du Louvre qui écrit sur la Joconde, avec une volonté de rendre accessible l’œuvre, en parlant de Léonard de Vinci, de l’époque, de qui était la Joconde, du paysage, du sfumato, mais avec des mots qui donnent à voir l’œuvre de façon étonnante. Lorsque le président de la République est venu visiter la Micro-Folie des Mureaux, un élève de CM1 un peu impressionné lui a demandé, en le tutoyant, s’il savait que savait que la Joconde n’a pas de sourcils. « Comment ça elle n’a pas de sourcils ? » a répondu Emmanuel Macron. Et le petit garçon a zoomé sur la tablette qu’il avait en main pour lui en apporter la preuve. Je ne le savais pas davantage que le président, personne ne remarque ce genre de choses. Mais cet élève avait su retenir les détails donnés par les conservateurs du Louvre à propos de la manière dont les femmes de l’époque se rasaient une partie de la tête… Des détails qu’on ne remarque pas face au vrai tableau, mais qu’on visualise très bien sur les écrans de la Micro-Folie. De la même façon Catherine Pégard, qui préside Versailles, raconte que lorsqu’une centaine d’enfants de Sevran sont venus voir le Château pour la première fois deux élèves tout juste arrivés en haut du grand escalier lui ont demandé s’ils pouvaient aller à gauche pour voir la chambre du Roi. Elle-même n’avait pas réalisé que c’était juste à gauche d’où elle se trouvait. Mais les enfants avaient tellement assimilé le plan du château consulté dans la Micro-Folie qu’ils savaient parfaitement où ils se trouvaient, et du coup comment ils pouvaient pouvait se diriger vers la chambre du Roi. Du coup, elle a appelé un huissier qui leur a fait visiter tous les passages secrets du château… Ils sont devenus des héros. Je crois beaucoup aux épopées, aux épopées personnelles. Si on ne vit pas enfant le fait d’aller dans des musées impressionnants comme une façon de découvrir des trésors, des trésors pour soi-même et qu’on va pouvoir restituer par les histoires qu’on va pouvoir raconter, on échappe à quelque chose.

Le projet est donc très soutenu par les pouvoirs publics…
Il est très demandé localement : nous sommes actuellement en train d’en développer 200 en France et à l’étranger. Nous avons 576 demandes de différentes communes. Et le ministre de la Culture a souhaité en inaugurer trois lui-même récemment dans le Pas-de-Calais. À chaque fois c’est une fête, et ce qui est beau c’est que lorsqu’on ouvre à Bastia ce n’est pas comme lorsqu’on ouvre à Lens ou Bruay ou à Denain… Et toujours nous profitons de ces implantations pour intégrer de nouvelles institutions au réseau. Dans les Hauts de France, nous avons associé vingt-cinq musées, cela va du Louvre-Lens au Musée du Plateau cambraisis, musée Matisse, en passant par la dentelle de Calais, le musée des papillons de i-Quentin, Chantilly, Beauvais… Avec à chaque fois des œuvres qu’on a jamais vues, des trésors incroyables. Comme à Metz les enluminures du Moyen-Âge sur les livres les plus anciens que nous ayons en France, c’est fabuleux de pouvoir zoomer sur les détails de ces petites miniatures du Moyen-Âge.

Vous évoquez beaucoup les arts visuels mais le spectacle vivant est aussi très présent dans la collection…
Une part importante est prise par une culture souvent dominante dans certains quartiers, dans certaines villes, notamment de la périphérie parisienne, le hip hop, le graf, que l’on injecte dans le réseau. Nous nous appuyons sue les Centres chorégraphique nationaux, sur les Centre dramatiques nationaux, sur les scènes nationales, sur tous ces labels professionnels pour permettre à des artistes de jouer, de diffuser leur travail. Un peu comme on le faisait dans les Maisons de la Culture de Biasini, il y a plus de cinquante ans, sur une petite scène, parfois sans loges. On repart à l’assaut de ces lieux avec des artistes qui sont d’accord pour jouer le jeu, et qui passent dans les collèges avant, par exemple. On y montre aussi de la magie nouvelle, des choses fascinantes autour des récits avec de nouveaux écrivains qui viennent raconter comment on écrit un livre aujourd’hui… Ce sont de petits lieux, dans lesquels aussi on peut montrer du cinéma en réalité virtuelle, en partenariat avec MK2, avec arte, avec Hachette, des films qu’on ne peut pas voir au centre de Paris alors qu’à Lens, en face de la gare, ils sont désormais en accès gratuit. On met un casque et on se retrouve au milieu de la banquise… On installe des fab labs aussi, avec des machines à coudre numériques. Des choses auxquelles nous n’avions pas pensé nous-mêmes au départ. A Sevran, qui est un peu notre prototype, des artistes ont réalisé numériquement un graff splendide sur écran, on l’a figé et on a imprimé 100 t-shirts. Le public est venu, essentiellement jeune, ils avaient acheté à Carrefour un t-shirt blanc à 4, 40 €, ils l’ont mis sur la presse numérique et ont imprimé le graff. Au bout de 100 t-shirts le graffeur a effacé son graf. C’était une expérience intéressante de la rareté car l’œuvre était en phase avec le territoire. C’est ce que dit souvent Jean Nouvel : « Tout dépend toujours du contexte ».

L’une des originalités du projet consiste dans le fait de jouer sur les échelles, locale, avec les lieux d’implantation, nationale, s’agissant du cercle des institutions partenaires, et mondiale, du fait de la diffusion désormais internationale des Micro-Folies…
Nous sommes partis de l’idée que les collections seraient les mêmes partout. A Rangoon en Birmanie, ils ont droit à la Joconde mais aussi aux collections du Nord Pas de Calais… Et l’on profite de s’installer dans des lieux pour enrichir la collection, en arrivant à Mexico, par exemple, on a fait entrer dans la collection des trésors du musée de Mexico, des Frida Kahlo, et on les a fait entrer avec une présentation conçue par le musée local, très différente des présentations du Louvre. On n’homogénéise pas. Et on a surtout voulu conserver une très grande souplesse de l’installation locale. Avec l’aide de Cisco, on a développé un système de wifi intégré qui fait que la seule chose dont nous avons besoin lorsqu’on s’installe c’est une prise de courant. Cela nous permet d’atterrir dans des lieux très divers : à Auxerre on va ouvrir dans un salon de coiffure, alors que dans un petit village des montagnes corses ce sera au café, à La Souterraine dans la Creuse, nous sommes dans une église… Nous nous retrouvons ainsi aussi bien dans de grandes villes que dans de toutes petites communes.

Comment les pouvoirs publics contribuent-ils au financement ?
Le nouveau ministre, Franck Riester, veut systématiser ce que Françoise Nyssen avait commencé : la prise en charge par le ministère de la culture de toute l’ingénierie nécessaire pour concevoir l’objet. Ensuite ce sont les préfets qui trouvent localement le financement sur des fonds d’aménagement du territoire, les fameux fonds pour le développement des villes. C’est possible parce que ce n’est pas cher. Une Micro-Folie coûte 40 000 euros en matériel, et le matériel – un vidéo-projecteur, un écran, des tablettes…– tient dans une Kangoo. 0 côté de cela, nous nous apportons mille œuvres aujourd’hui. La même collection dans le village corse ou à Pékin. L’un des effets de ce principe c’est de constituer progressivement un réseau. C’est la force du dispositif. Les publics peuvent entrer en relation via ce réseau. Aux Mureaux, par exemple, chaque jeudi des jeunes de 11 ans entrenet en contact avec leurs homologues de Montréal, grâce à la Micro-Folie, ils se voient grandeur nature sur écran et se parlent. Pour la plupart ils font ainsi pour la première fois l’expérience du décalage horaire : les français ont fini l’école quand les américains y arrivent… Ça créé quelque chose de très nouveaux. D’autres expériences ont permis à certains de diner ensemble alors qu’ils étaient à des milliers de kilomètres : un chef cuisinait un plat dans une Micro-Folie pendant que d’autres le copiaient dans d’autres Micro-Folies… Ce sont des nouveaux rapports de convivialité. Même chose pour les gamers, qui échangent des trucs sur les jeux vidéos. Évidemment tout cela était possible auparavant via les réseaux sociaux. Mais là on quitte l’échelle du téléphone portable. Et on accède à des choses qui ne sont précisément pas disponibles en ligne.

Il y a donc un principe d’exclusivité. C’est un usage original de la technologie numérique, un usage qui conduit à volontairement restreindre l’accès à certains lieux. Car vous auriez aussi pu concevoir une offre de même qualité et la mettre sur le web, accessible à tout moment à tous…
Ça c’est le Google Arts Project . Mais quel est l’intérêt d’aller me farcir tous les impressionnistes sur un téléphone ? C’est totalement autre chose que nous avons imaginé. Par exemple la possibilité pour un professeur de réserver la Micro-Folies pour sa classe pour une heure, de la réserver comme une chambre d’hôtel. D’un coup vous avez accès aux mille œuvres. Alors vous avez au préalable composé une playlist, comme sur Deezer ou Spotify, et quand vous arrivez sur place avec vos élèves, mais cela vaut aussi pour les pensionnaires d’un EHPAD, vous pouvez parler pendant une heure de l’art du portrait au XVIIe, en vous servant des ressources du Louvre ou des symphonies de Beethoven avec celles de la Philharmonie. Les vidéos de concert sont souvent extraordinaires, on a par exemple le Sacre du Printemps dirigé par Pierre Boulez, l’un de ses derniers concerts, filmé avec quinze caméras, une prise de son incroyable. C’est un choc, une vraie dramaturgie de l’œuvre. Pareil quand Olivier Py et le Festival d’Avignon nous offrent un Richard III en réalité virtuelle, on ne tient pas un quart d’heure tellement on est terrorisé – parce que c’est terrorisant, magnifique. La dramaturgie s’en trouve augmentée. C’est une expérience différente de celle du spectacle dans la Cour d’honneur. On n’est pas là pour copier. On ne donne jamais une copie d’une œuvre, on propose une autre expérience, une autre maitrise de l’œuvre.

Comment cette initiative est-elle reçue par les institutions culturelles locales ? Et comment le Didier Fusillier du début des années 90, celui qui dirigeait le Manège de Maubeuge, aurait-il reçu à l’époque une telle proposition ?
Si quelqu’un était venu à l’époque en me proposant un truc pareil et en le finançant à 100%, j’en aurais pris une vingtaine ! Nous ne sommes plus dans la décentralisation à la papa, celle qui bombarde depuis Paris vers le tas d’incultes qui peuple la province… C’est désormais le contraire. Robin Renucci va sortir sa Bérénice dans un format qui nous permettra de la jouer dans toutes les Micro-Folies. On aura aussi petite forme de 35 minutes du Festival d’Avignon, Sylvain Groud du Centre chorégraphique de Roubaix créé trois spectacles qui vont tourner dans les Micro-Folies. La scène nationale de Cergy Pontoise va accueillir chez elle une Micro-Folie. Nous on se contente simplement de créer la matrice, et d’alimenter un fonds qui ne cesse de se développer. Aujourd’hui c’est 1000 œuvres mais demain nous en aurons peut-être 20 000… Et il n’y a que des points de réseaux, pas des têtes de réseaux, on connecte : les Micro-Folies offrent une nouvelle trame pour la politique culturelle.

La Villette n’est pas la tête de pont…
Non c’est simplement parti de là, et des institutions qui sont réunies autour du projet au démarrage : le Centre Pompidou, l’Opéra de Paris, le Musée d’Orsay, La Philharmonie, le Festival d’Avignon, le Musée du Quai Branly, l’Institut du Monde Arabe, la Cité des Sciences, le Musée Picasso, le Musée d’Orsay…  Au début le Centre Pompidou est venu avec un Keith Haring à Villiers-le-Bel pendant une journée, une vraie œuvre, et 4000 personnes sont venues la voir. Jamais une œuvre de ce calibre n’avait été montrée là. Dans un autre registre, la Réunion des Musées Nationaux a lancé des valises pédagogiques, pour accompagner es conférences sur l’Égypte antique, des gens qui viennent vous raconter des histoires incroyables sur Akhenaton et Nephertiti et c’est plein à craquer. Je crois qu’on mésestime l’appétence et l’envie des publics. À chaque fois, les gens nous remercient d’avoir ça en bas de chez eux. Les classes viennent à pied. Avant beaucoup de gens n’allaient jamais à Sevran-Beaudottes, un quartier qui avait sa réputation, depuis l’implantation de la Micro-Folie ce sont six commerces qui se sont créés. Dans l’aménagement urbain on a souvent oublié la culture. Dans les années 70, on pouvait dépenser un milliard et se contenter de construire une salle polyvalente. Mais ça ne sert à rien. C’est du contenu qu’il faut apporter ; les lieux on les trouve toujours. Quitte à mettre une toile de tente. A Sevran, c’est un parquet de bal, avec une tente. Les équipements c’est facile.

A propos d’équipement : La Villette en est un, très original par son architecture, sa mission, sa position géographique. Comment y êtes-vous désormais après quatre ans ?
Plutôt que d’arriver en Zorro et dire « attention vous allez voir ce que vous allez voir », j’aime bien repartir des raisons pour lesquelles un établissement a été créé. Quelle était l’idée initiale de Tschumi, de Lang, de Mitterrand ? Pourquoi ont-ils fait un parc déjà ? C’était quand même le premier des grands travaux décidé par François Mitterrand, et à chaque fois je me dis : ils ont commencé par un Parc, ce n’est pas rien ! Avec la Cité des Sciences, la Cité de la musique, la Philharmonie, le premier Zénith, le Conservatoire de musique, la grande Halle, les folies… On est donc partis de là, on a relancé une grande politique de programmation, on a décidé qu’il n’y avait plus de saison, on ne s’arrête jamais… On a lancé un énorme truc pour les enfants, Little Villette dans lequel on accueille 200 000 enfants de moins de 10 ans gratuitement tous les ans, qui viennent fêter leurs anniversaires avec du cirque, de la musique etc. Tout cela est un succès. Et puis on a joué en crâneur, et on a fait Toutankhamon par exemple. Ce n’était pas si évident de prime abord de se dire pourquoi pas Toutankhamon à La Villette. On l’imaginait plutôt au Louvre ou au Grand Palais. On en est à 760 000 visiteurs. Mais l’an dernier on faisait tout autre chose avec Team Lab, une bande de dingues japonais qui ont fracassé l’image numérique comme personne jusque-là. Et on a fait quand même 300 000 personnes. On est donc capable de passer du XXIIIe siècle à – 1300 avant Jésus-Christ…

Team Lab on comprend pourquoi c’est à La Villette et cela s’inscrit dans le travail que vous avez mené depuis des années dans d’autres lieux aussi, à Créteil et à Lille notamment. Mais pourquoi Toutankhamon ?
Parce que cela a toujours été ma vision, j’ai toujours été obsédé par l’idée de mêler culture noble et culture populaire. Non pas un mélange savamment dosé mais la confrontation directe : la fanfare et l’orchestre symphonique. Après c’est au public de voir ce qu’il va faire, s’il s’y sent bien, si ça lui plaît, s’il s’y retrouve… Le public de Team Lab n’est pas forcément le même que celui de Toutankhamon, même s’il se recoupe en partie mais c’est un établissement public national ici il n’y a donc pas de raison qu’on ne propose pas une expo Toutankhamon, en plus on le fait en partenariat avec le Louvre qui a prêté des œuvres importantes. C’est important d’ouvrir très largement lorsqu’on a la capacité d’accueil d’une Grande Halle, d’un parc où l’on fait le festival de cinéma… Nous avons lancé une politique d’abonnement glissante sur deux saisons : nous en sommes à 7800 abonnés alors que nous sommes partis de 0 il y a quatre ans. Nous parvenons à fidéliser un public qui aime revenir ici. Lorsqu’on a des enfants en bas âge à Paris, c’est souvent à La Villette qu’on leur apprend à faire du vélo, on a donc adapté le parc à ces pratiques, on a installé une infirmerie… On développe des jardins, bientôt une ferme. Et puis nous sommes devenus site olympique officiel pour 2024, à côté du Trocadéro. L’halterophilie et le Taekwondo au Zénith ce n’était pas couru d’avance… Et l’escrime paralympique dans la Grande Halle, ce sera après Team Lab, après Toutankhamon, après la grande expo qui arrive sur les années 1966-1970, toute cette explosion dans l’architecture, la mode… Voilà comment toute l’équipe ici conçoit les choses, une équipe de constructeurs, de jardiniers, une équipe très vivace qui a repris le slogan des marins du Vendée Globe : on commence à fond et on accélère progressivement.

Une dernière question à propos de la Nuit Blanche ou est-ce encore secret ?

Ce que je peux dire c’est que je suis très content qu’on m’offre la possibilité de faire le zozo une fois dans vie une nuit dans Paris. Quand on vous propose ça, on sait que ça va être l’enfer mais on dit merci. Je suis un vrai fan des Nuits blanches, parce que je crois que certaines œuvres peuvent ne se concevoir que pour une nuit, comme il y a des œuvres qu’on imagine que sur trois mois car sinon ce serait ridicule. Et ce caractère éphémère peut produire des éblouissements artistiques qu’on garde très longtemps en soi, des émotions liées au lieu, à l’heure, aux personnes avec lesquelles on se trouve… Le problème parfois c’est qu’il fallait faire la queue trois heures pour voir une seule œuvre, et donc une certaine lassitude du public a pu s’installer. Alors l’idée que nous avons, avec le vieux compère Jean-Max Colard, c’est une mise en mouvement de la Nuit blanche. Faire bouger les œuvres. Une grande parade d’œuvres d’art rue de Rivoli, on va aussi on l’espère réussir à fermer une partie du périphérique, et organiser deux mini-marathons qui vont traverser le Louvre, le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo, le Théâtre du Châtelet, le Rond-Point… On déclenche le chronomètre à 19h30, on sait que tout se termine à 5h du matin et on est partis pour une grande course qui sera aussi une contemplation dans la nuit. Une autre folie.


Sylvain Bourmeau

Journaliste, directeur d'AOC