Art Contemporain

Nicolas Bourriaud : « L’art, c’est de la philosophie avec les gens à l’intérieur »

Journaliste

Samedi 29 juin, l’ouverture de l’Hôtel des Collections à Montpellier viendra mettre la dernière pierre au MOCO. Montpelier Contemporain se pense comme un projet de centre d’art nouvelle génération, qui réunit toute la filière artistique depuis son apprentissage jusqu’à l’exposition. Le commissaire d’exposition Nicolas Bourriaud explique ici son projet, qui entend rompre avec le modèle vertical existant au profit d’une approche collaborative, source d’émulation.

publicité

Nicolas Bourriaud n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir participé à la création du Palais de Tokyo, fait l’expérience d’un grand musée international à la Tate Britain de Londres, dirigé l’École nationale des Beaux Arts se Paris… imaginer et dessiner les contours d’un nouveau centre d’art à Montpellier pourrait sembler une formalité. Ce serait sans compter sur la curiosité et l’inventivité de ce commissaire d’exposition pour qui « traquer le présent » est la condition même de l’exercice de son métier. Il a donc abordé Montpellier Contemporain (le MOCO) comme l’occasion de penser un nouveau modèle d’institution réunissant une école, un centre d’art et un musée dédié aux collections du monde entier. Pour inscrire durablement Montpellier dans le paysage de la création contemporaine, la positionnant comme une capitale de la contre-scène culturelle, à l’image, dit-il, de Los Angeles aux États-Unis. Le dernier étage du projet ouvre le 29 juin avec le Musée des Collections. RB

Montpellier contemporain s’enrichit le 29 juin prochain d’une nouvelle proposition avec l’ouverture de L’Hôtel des Collections qui vient s’ajouter au centre d’art La Panacée et à l’École Nationale des Beaux Arts. Pourquoi ce projet à plusieurs étages ?
Justement, ce ne sont pas des étages. Quand je suis arrivé à Montpellier pour travailler sur le projet de l’Hôtel Moncalm, qui va devenir l’Hôtel des Collections le 29 juin, j’y ai tout de suite vu l’occasion de penser différemment ce que pourrait être une institution culturelle du XXIe siècle. À ce moment-là, les deux autres entités qui forment aujourd’hui Montpellier Contemporain (MOCO), n’étaient pas impliquées. Le regroupement entre l’École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Montpellier (ENSBA) et La Panacée s’est fait plus tard, dans l’idée de créer une institution qui corresponde davantage à notre époque d’une part, et d’autre part à la ville, au territoire. Je vois le MOCO comme une institution complètement horizontale, traversant le centre historique de la gare où se situe l’Hôtel des Collections jusqu’aux Beaux Arts. C’est une sorte de chaine qui va aussi de la transmission des savoirs, de la pédagogie, jusqu’à la collection, en passant par la production, l’exposition, la médiation de l’art et des artistes. C’est l’exact contraire d’un projet à plusieurs étages : une institution purement horizontale dans son principe même, conçue comme un générateur d’énergie, susceptible de produire des coopérations avec d’autres entités. Il fallait surtout se tenir le plus loin possible de ces sortes d’Ovnis que sont trop souvent aujourd’hui les nouveaux musées ou centres d’art contemporain qui viennent s’inscrire dans la périphérie des villes, comme des ziggourats imaginées et dessinées par des architectes stars. C’est exactement ce qu’on voulait éviter. Avec le président de la Métropole et maire de Montpellier Philippe Saurel, nous nous sommes tout de suite mis d’accord pour créer une institution qui procède par réhabilitation d’espaces du centre-ville, et qui le traverse, pour ne surtout pas tomber dans une sorte d’architecture logo qui correspond bien plus à la façon dont on pensait les projets au XXe siècle, à l’image du Guggenheim de Bilbao. Il y a quelque chose de daté dans ce type de démarche. Au final, Montpellier contemporain regroupe trois sites : un site de formation avec l’ESBA, un centre d’art consacré aux artistes émergents avec la Panacée, et l’Hôtel des collections qui présente des collections. C’est le chaînage de ces trois institutions, leur organisation horizontale et leurs intersections, qui fait l’originalité du système.

Vous faites allusion à des musées « Ovni » construits en périphérie des villes par des architectes stars, qui montrent des artistes ou des collectionneurs stars, qui cherchent à valoriser le marché. Votre contre-modèle c’est la Fondation Vuitton à Paris ?
C’est en effet un contre-modèle, et ce ne sont pas les collections qui se contentent d’empiler les stars du marché qui nous intéressent, mais les individus ou les collectifs qui développent des idées fixes ou des partis-pris. Nous venons ainsi de créer avec l’université Paul Valéry, sous le pilotage de Nathalie Moureau, un Centre international de recherches autour des collections et de l’acte de collectionner. L’idée, c’est de se pencher sur l’ensemble des aspects économiques, artistiques, historiques, littéraire…

L’Hôtel des collections se présente tout de même comme un lieu de vie et de création, avec un restaurant locavore, ouvert aux projets éducatifs et sociaux, prévoit aussi des espaces privatisables pour organiser des événements et donc dégager des ressources propres… bref il coche toutes les cases de ce qu’on attend d’un projet comme celui-ci. Est-ce qu’il y a des figures imposées quand on créé une nouvelle institution ?
Tout d’abord, je dois dire que c’est la première fois que je n’ai pas besoin d’avoir recours à des financements privés pour un projet. Pour le moment le financement par la collectivité publique permet l’existence de cette institution à 100%, même si notre développement passera peut-être demain par la recherche de partenaires privés, mais pour des projets précis. Par ailleurs, on a la chance d’avoir depuis l’ouverture de La Panacée un service des publics actif et vigoureux. C’est un héritage de mon expérience au Palais de Tokyo, où on avait créé cette médiation de façon très étendue et systématique dans les espaces. Je ne pense pas que ce soit moins nécessaire aujourd’hui qu’il y a vingt ans, il n’y a donc pas de raisons d’y renoncer. Ce qui est plus singulier, au rez-de-chaussée de l’Hôtel des collections, c’est le changement saisonnier du restaurant et de la librairie-boutique, au rythme des expositions. Trois fois par an, le lieu sera totalement renouvelé, ce qui est une façon d’introduire une dose de curating dans des lieux généralement coupés des espaces d’exposition. De manière générale, l’Hôtel des collections sera un lieu d’intervention pour les artistes. Avec des œuvres pérennes comme le jardin-atlas de Bertrand Lavier, le plafond du bar réalisé par Loris Gréaud, ou des œuvres présentées à long terme comme l’intervention de Mimosa Echard sur le sas d’entrée, qui, elle, va changer tous les ans. Il y aura d’autres interventions plus structurantes au fil des années, c’est un élément qu’on a imaginé dès le début avec l’architecte Philippe Chiambaretta, cette possibilité laissée aux artistes de participer à l’évolution et à la transformation du bâtiment.

Ça fait fortement penser au concept de co-construction porté par un architecte comme Patrick Bouchain…
Il n’y a pas de hasard, Patrick Bouchain était mon premier employeur quand j’étais encore étudiant. Il m’avait engagé sur le chantier de l’œuvre de Daniel Buren Les Deux Plateaux, les colonnes du Palais Royal. C’est un architecte et une personne assez extraordinaire, qui m’a beaucoup appris. Je dois partager avec lui cette idée de la co-construction, et c’est ce qu’on a essayé de faire avec le MoCo, notamment à travers un certain nombre de réunions publiques à Montpellier depuis deux ans. Mais aussi en coopérant avec d’autres acteurs de la vie culturelle comme Christian Rizzo du Centre Chorégraphique National, le musée Fabre, le FRAC Occitanie Montpellier, le réseau Mécènes du Sud… C’est très important que le MOCO soit un espace de coopération culturelle au sens premier du terme, en co-construction avec les acteurs locaux. On est allé jusqu’à intégrer cette démarche au projet architectural en lui-même. L’idée de Philippe Chiambaretta, c’était de mettre les moyens sur l’art et la transformation de l’architecture par les artistes, plutôt que de faire un geste architectural qui soit purement esthétique. L’architecte s’est ici mis au service d’un projet artistique plus englobant. C’est une approche originale et qui supposait d’avoir un architecte très au fait des pratiques artistiques contemporaines.

Le projet du MOCO va, comme vous l’avez mentionné, de l’enseignement au collectionneur, cela di-il quelque chose de l’évolution de l’art contemporain ?
Ça dit en tout cas quelque chose de mon parcours et de mes centres d’intérêt : depuis la direction des Beaux Arts de Paris, la participation au lancement du Palais de Tokyo, mon passage par la Tate Britain… J’ai toujours pensé que les écoles d’art avaient beaucoup à gagner non pas à se rattacher à des institutions purement productrices de savoir comme les universités, mais à se rapprocher des instances de production, à se placer au plus près des artistes et des lieux de monstration. Fort de cette conviction, ça a été assez naturel de proposer à l’ESBA de Montpellier de se fondre dans un nouvel établissement public, et je suis persuadé que ça va produire des effets forts à court et à long terme. Les étudiants des Beaux-Arts ont déjà intégré dans leur cursus la présence de la Panacée, et ils le feront aussi demain avec l’Hôtel des collections. De la deuxième à la cinquième année, ils effectuent des stages, participent aux activités de l’établissement public tout entier. En retour, les artistes et conférenciers invités à la Panacée et à l’Hôtel des Collections interviennent à l’école sous forme de workshops ou de visite d’ateliers, par exemple. Il y a donc un va-et-vient permanent entre enseignement et production. C’est cela, à mon avis, qui permet de créer un modèle plus adapté aux jeunes artistes aujourd’hui.

Le fait d’avoir une approche exclusivement centrée sur la création est-ce une façon de répondre à la critique souvent faite aux écoles d’art en France de ne pas former les étudiants au monde de l’art, au marché qu’ils vont devoir intégrer ?
Oui en quelque sorte, ce qui est important c’est la coprésence des étudiants, des artistes et des expositions. Ce qui ne veut pas dire proche du marché de l’art. L’Hôtel des collections, par exemple n’est pas orienté vers la célébration du marché, et sa programmation est à contre-courant. La première exposition présentera ainsi une collection privée japonaise très pointue et sensible (la collection Ishikawa), la deuxième sera issue d’une collection publique russe jadis constituée par Andrei Erofeev en vue d’un musée d’art contemporain qui ne verra jamais le jour. On ne travaille donc pas avec les usual suspects du marché ni les collectionneurs stars, mais nous entendons valoriser les aventures singulières.

L’exposition inaugurale à L’Hôtel des collections est titrée « Distance intime. Chefs-d’œuvre de la collection Ishikawa, Okayama (Japon) », de quoi s’agit-il ?
C’est une exposition dont le commissariat a été confié à Yuko Hasegawa, la directrice artistique du Musée d’Art Contemporain de Tokyo (MOT) et professeure à l’université des Arts de Tokyo, et qui a extrait de la collection Ishikawa des œuvres qui traitent du rapport entre la grande et la petite histoire, l’intime et la marche du monde. C’est une collection étonnante, dans la lignée de ce que je viens de décrire, qui arrive à lier de manière subtile des artistes conceptuels comme On Kawara et la poésie subaquatique d’un Pierre Huyghe. C’est une collection qui a beaucoup de cohérence et qui articule de manière intéressante la sensibilité et le concept.

Le projet du MoCo s’inscrit aussi dans un contexte de décentralisation culturelle, si on veut être optimiste, d’affaiblissement grandissant du soutien de l’État à la culture si on est plus pessimiste. Qu’implique pour vous le fait de participer à un projet comme celui-ci, porté par une collectivité locale ? 
Les mentalités auront évolué le jour où on aura compris que Paris est dans une région, l’Île de France, ce qui devrait interdire de parler de projets « en région ». Et quand on parle de Paris, on devrait aussi parler de « local ». Enfin, faire cette distinction avec la province renvoie pour moi à un vocabulaire colonial inacceptable, héritage direct de la période romaine. Cette approche est une absurdité politique – d’une violence incroyable – dont il faut se débarrasser. C’est une révolution à faire en France, car la centralisation jacobine ne fait que produire de l’anémie intellectuelle et culturelle. Il faut mettre en œuvre une véritable lutte politique qui passe par le changement des mentalités, une prise de conscience du ridicule de notre façon de parler de notre propre pays. Qu’on puisse encore faire ce distinguo entre Paris et « la Province » est la marque d’une arriération française assez dramatique. Après, en ce qui concerne la question budgétaire, Montpellier a le deuxième budget culture de France par habitant. Ça se traduit par un public qui répond présent, les expositions de la Panacée comptent en moyenne 120 000 visiteurs par an, et on peut imaginer le double à partir de l’ouverture de l’Hôtel des Collections. Montpellier est aussi une ville étudiante, environ 80 000 à l’année, dans une région touristique, avec une forte dimension internationale.

Le MOCO s’ancre donc avant tout sur un territoire ?
Nous faisons un pari géostratégique. Il se fonde sur l’idée très simple que Paris est en train de devenir un grand showroom bientôt inaccessible aux artistes. Il va y avoir dans ce pays, qui est encore une fois outrageusement centralisé, un inexorable exode créatif. Il va se passer ici ce qui s’est passé à New York, où les artistes ont d’abord commencé par déménager à Brooklyn, pour finalement s’installer massivement à Los Angeles. C’est ce mouvement qui nous attend dans les années à venir. À partir de ce moment-là, il faut re-polariser la scène artistique française. Contrairement aux États-Unis, cela ne se passe pas entre Est et Ouest mais sur un axe Nord Sud. Donc tous les centres et les institutions à Montpellier et autour – le Carré d’Art à Nîmes, la Fondation Luma à Arles, la Collection Lambert à Avignon… – contribuent à la création d’un territoire artistique sur un autre modèle, plus horizontale, sur le modèle de la Californie par rapport à New York. C’est un territoire qui est à même de rivaliser avec l’Île de France, et qui va surtout devenir de plus en plus attractif pour les artistes. D’ailleurs, ils arrivent déjà dans la région, lassés de louer à des prix exorbitants des ateliers ou des appartements, et d’être sous la pluie (rires).

Il y a cette dimension d’exode artistique, interne à la France, mais inscrit-on Montpellier sur la carte internationale du monde de l’art contemporain ? L’exemple de Los Angeles est tout de même trompeur, c’est une ville qui avait déjà une image et une dimension culturelle très forte…
Il y a vingt ans, Los Angeles n’existait pas beaucoup dans le monde de l’art contemporain. J’ai été à la première foire d’art contemporain qui se déroulait au Château Marmont – l’hôtel des stars hollywoodiennes – et il n’y avait pas de vrais collectionneurs, les artistes n’étaient pas des artistes de premier plan… on a tendance à l’oublier, mais Los Angeles s’est constituée très récemment en tant que territoire artistique apte à rivaliser avec New York. La région montpelliéraine aujourd’hui, c’est Los Angeles en 95. Et aujourd’hui les choses vont beaucoup plus vite, on n’aura pas besoin d’attendre 20 ans. Pour inscrire un lieu ou une région dans la géographie artistique c’est une histoire de densité et d’activité, de dynamisme.

Montpellier est une ville qui est également bien plus marquée par son patrimoine que ne peut l’être Los Angeles. Comment prendre en compte cette dimension ?
Vendredi dernier on a inauguré l’exposition 100 artistes dans la ville, qui est la plus grande exposition à ciel ouvert d’Europe cette année. La question du dynamisme de Montpellier, et donc de son inscription sur la carte internationale de l’art contemporain, est une affaire en marche. Parallèlement, et en coopération avec le MAXXI de Rome, Hou Hanru a réalisé à la Panacée une exposition intitulée « La Rue », qui retrace l’intervention des artistes dans l’espace public. Par ailleurs, dans l’ensemble des projets qui se déploient dans les rues du centre historique de Montpellier il y a des œuvres pérennes, des œuvres monumentales, comme la grande fresque de Dominique Figarella, ou une sculpture de Lili Reynaud Dewar près de la gare ; la place Salengro a été complètement investie par Abdelkader Benchamma ; Fabrice Hyber construit un pavillon à l’école des Beaux-Arts, dont Bob & Roberta Smith a investi les murs extérieurs… Pour mettre en œuvre ce genre d’exposition à ciel ouvert, il faut partir du désir des artistes et essayer de le rendre possible. Si je fais une exposition avec une problématique spécifique je vais évidemment être plus directif et sélectif sur le choix des artistes, le type d’œuvres. Là, l’approche est nécessairement très différente.

Vous avez participé à la création du Palais de Tokyo, vous avez aussi fait un passage à la Tate Britain entre 2007 et 2009, comment ces expériences ont-elles nourries le projet du MOCO tel que vous le portez aujourd’hui ?
J’ai un gros problème avec le regard rétrospectif, je regarde très peu derrière moi et j’ai toujours l’impression que ma tâche consiste à traquer le présent, ne serait-ce que pour continuer à avoir une certaine pertinence. Quand je suis arrivé à Montpellier, j’ai tout remis à plat, avec l’idée de créer une institution qui corresponde à la fois à un lieu, un contexte et une époque. Dès lors, il était absolument exclu de reproduire ce qu’on avait fait à Paris en 2002. Il fallait continuer à réfléchir, incorporer les éléments du contexte pour trouver une formule qui fonctionne dans un milieu différent.

Avec votre longue carrière de commissaire d’exposition que veut dire, pour vous, rester contemporain ?
C’est persister dans le désir à la fois impossible et très acéré de comprendre son époque. À partir de là, tout en percevant le mouvement des choses, il ne faut jamais perdre de vue les valeurs philosophiques et les points de vue historiques qui nourrissent l’activité de curateur. Les artistes ont des antennes qui nous permettent de comprendre l’époque. L’art contemporain fait gagner du temps, car l’artiste est comme un sismographe, dont il faut simplement apprendre à lire les sismogrammes afin de détenir un savoir sur l’époque et le monde qui serait beaucoup plus difficilement accessible autrement. Je pense par exemple à l’exposition « Crash Test » que j’ai réalisée en début d’année dernière à La Panacée, qui essayait de porter un propos sur l’art aujourd’hui et sur la manière dont les artistes perçoivent le monde. Je n’invente rien, j’essaie de rassembler dans un même cadre des gens qui vont dans des directions similaires. En l’occurrence, c’était l’idée que la perception des artistes sur le monde est devenue moléculaire, s’attachant moins aux objets qu’aux particules qui les constituent, moins aux solides qu’aux différents gaz et aux états de la matière qui y amènent. C’est une manière de voir le monde qui est également politique, et je me référais aussi à la Révolution moléculaire, le texte de Félix Guattari paru en 1977. C’est l’échelle à laquelle il faut aborder les problèmes aujourd’hui. Les grandes masses molaires sont en voie de disparition, et c’est quelque chose qu’on voit très clairement dans l’actualité de l’art contemporain.

Il ne s’agit pas non plus de rester au niveau moléculaire, car aujourd’hui on est requis par des enjeux planétaires. Le rapport entre global et local est au cœur de votre travail et de vos réflexions…
J’ai réalisé il y a maintenant cinq ans la première exposition sur l’anthropocène pour la biennale de Taipei (2014), qui a ouvert un cycle d’expositions qui va se prolonger jusqu’à la biennale d’Istanbul, dont je suis commissaire cette année et qui va s’appeler « Le septième continent ». C’est une exposition qui parle d’une possible anthropologie de l’anthropocène, une anthropologie étendue (relationnelle, si on veut) qui se nourrit des travaux d’Eduardo Kohn, d’Eduardo Viveros de Castro, de Philippe Descola évidemment, et qui inclut les non humains dans l’anthropologie. C’est une tendance qu’on perçoit aussi dans les œuvres contemporaines : l’œuvre chorale, la traduction par les artistes des signes émis dans différentes sphères de la vie. Pour paraphraser Tim Ingold, je dirais que l’art, c’est de la philosophie avec les gens à l’intérieur…

 


Raphaël Bourgois

Journaliste

Rayonnages

Arts plastiques