Jeanne Favret-Saada : « Le retour de l’accusation de blasphème est une révolution dans notre vie publique.»
En 2018, la revue d’anthropologie Terrain demande à Jeanne Favret-Saada de participer à un dossier sur la liberté d’expression intitulé « Faire taire » : Arnaud Esquerre l’interrogera sur ses travaux relatifs aux accusations de blasphème. Le texte est bientôt adressé à la rédaction, et le travail éditorial s’accomplit sans difficulté. Toutefois, en juillet 2019, la directrice de la rédaction transmet à Jeanne Favret-Saada dix-huit objections d’un nouveau lecteur, qui portent sur les derniers paragraphes de l’interview. Ceux-ci critiquent la version que deux anthropologues américains, Talal Asad et Saba Mahmood, ont donnée de l’affaire des dessins de Mahomet, sur laquelle Jeanne Favret-Saada a elle-même publié un livre. Selon la rédaction, tout le passage doit être réécrit, car Jeanne Favret-Saada aurait déformé les propos de ses collègues, et d’ailleurs commis quatre inexactitudes formelles. A l’examen, les inexactitudes sont introuvables, mais les objections expriment un désaccord total avec le propos de Jeanne Favret-Saada et son livre passé. Arnaud Esquerre, à qui ces courriers ont été transmis, intervient alors pour rappeler qu’elle est une lectrice particulièrement précise, et qu’il serait ironique de lui voir refuser cette interview dans un numéro spécial intitulé « Faire taire ».
Après quelques échanges de courrier, la parution de l’interview est acceptée, à la condition impérative de la faire précéder par une longue déclaration, « Fallait-il publier Jeanne Favret-Saada ? » La rédaction paraît s’y attribuer les places inexpugnables de la vérité/la science/l’anthropologie, mais elle octroie à J. F.-S. la possibilité d’exprimer son opinion – en somme, de dire des bêtises – dans un dossier consacré à la liberté d’expression. Elle refuse donc ce « chapeau », et la parution de l’interview est aussitôt déprogrammée.
Selon Arnaud Esquerre et Jeanne Favret-Saada, la revue colle aux thèses de l’école asadienne d’anthropologie de l’islam comme si elles cons