Ralph Rugoff : « L’art peut nous offrir une perspective différente sur ce qui arrive »
Critique d’art et commissaire d’exposition, Ralph Rugoff dirige depuis 2006 la Hayward Gallery de Londres, scène publique majeure de l’art contemporain. En 2015, il fut le commissaire de la 13e Biennale d’art contemporain de Lyon – qu’il avait intitulée La Vie moderne –, avant d’assurer, en 2019, le commissariat général de la dernière biennale de Venise – qu’il avait titrée May You Live In Interesting Times. Si cette 58e exposition internationale d’art de Venise n’avait pas de thème en soi, elle mettait en évidence, selon les mots de Rugoff lui-même, « une approche générale de la création artistique et une vision de la fonction sociale de l’art qui inclut à la fois le plaisir et la pensée critique. » Cela se traduisait notamment la présentation parallèle de deux expositions indépendantes, diffractant les points de vue, « Proposition A » à l’Arsenal et « Proposition B » au Pavillon central. Ce dispositif permettait à chacun des artistes invités de montrer deux œuvres très différentes. Ralph Rugoff faisait ainsi valoir avec force que « les artistes peuvent donner des significations alternatives à ce que nous prenons comme faits », l’art devenant une manière essentielle de sentir la complexité des temps, et de déjouer tout jugement hâtif sur la nature, et le cours de ceux que nous vivons. MK
Le titre que vous avez choisi pour la biennale de Venise de 2019, May You Live In Interesting Times (« Puissiez-vous vivre en des temps intéressants »), agit comme un aimant. Vu d’où nous sommes, en pleine pandémie soudaine, il paraît avoir annoncé les temps que nous vivons aujourd’hui. De quel contexte avez-vous tiré cette formule ? N’était-elle pas supposée être une malédiction à l’origine ?
May You Live in Interesting Times est une formule inventée en Angleterre, qui a longtemps été citée à tort comme un proverbe chinois. Elle fait référence à des périodes d’incertitudes et de crises particulièrement aiguës. Dès le début, c’est donc un « fake », une « fausse malédicti