Santé

Victor Pitron : « Nous sommes confrontés à des manifestations psychiatriques inédites »

Philosophe

Au moment où le pays sort doucement de la crise sanitaire, certains craignent une « seconde vague psychiatrique ». S’il est évident que cette période a eu un impact sur le psychique de chacun, les personnes souffrant de troubles psychiatriques ont été plus affectées que les autres. Psychiatre et chercheur en sciences cognitives, Victor Pitron observe que jamais le monde n’a changé si radicalement en si peu de temps, notamment pour les personnes plongées en coma artificiel qui se réveillent quelques semaines plus tard. Leurs troubles psychiatriques se sont nourris de ce nouveau contexte d’incertitude, preuve s’il en fallait de l’interconnexion entre l’expression de la maladie psychiatrique et le contexte de vie.

Particulièrement intéressé par les interactions entre maladies corporelles et mentales, investiguant les mécanismes cognitifs de la perception du corps, Victor Pitron est psychiatre et chercheur en sciences cognitives à l’École Normale Supérieure (Ulm). Il développe actuellement un programme de recherches pluridisciplinaires sur les symptômes corporels associés aux nouvelles technologies. Il est chef de clinique à la Pitié-Salpêtrière, et y travaille au service des urgences psychiatriques. Il a ainsi vécu et contribué à la mobilisation générale et exemplaire des travailleurs de l’hôpital public pour faire face à l’état d’urgence sanitaire qui s’est imposé ces dix dernières semaines. Tout au long de cette période sidérante, en première ligne avec ses collègues somaticiens, il a accueilli, écouté, traité des patients victimes des répercussions psychiques et psychiatriques de la pandémie. Dans l’entretien qui suit, il raconte cette expérience inédite et évoque ce qui déjà se profile des conséquences psychiatriques de la crise sanitaire, mais aussi sociale et politique, que nous traversons. MK

Vous venez de vivre, avec tous les travailleurs des hôpitaux, une période tout à fait exceptionnelle, hors norme.
Ce qui est arrivé était, oui, exceptionnel, et a produit chez les soignants une application au travail résolue, forcenée. À l’hôpital, il y avait une mobilisation totale pour accueillir et soigner les patients. Nous étions galvanisés. On a aussi senti que l’on vivait une période tout à fait hors norme parce que le monde extérieur s’est soucié de notre quotidien à l’hôpital public : des grands restaurants s’occupaient de nos repas, des maisons de luxe nous fournissaient en gels hydro-alcooliques parfumés. Mais aujourd’hui, la page est tournée. On sent que c’est terminé, on retrouve la nourriture de cantine, le gel hydro-alcoolique à l’odeur médicale.

Est-ce que vous pouvez dégager une chronologie de ces dix dernières semaines ? Votre activité a dû se réorganiser puisqu


[1] Gilles Deleuze, « Entretien sur l’Anti-Œdipe (avec Félix Guattari) », Pourparlers 1972-1990, Minuit, 1990/2003, p. 33

[2] Parmi les études auxquelles Victor Pitron fait référence, on peut consulter : « Modern worries, new technology, and medecine », The British Medical Journal, Vol. 324, 23 mars 2002

Mériam Korichi

Philosophe, Dramaturge, metteure en scène

Rayonnages

Santé

Notes

[1] Gilles Deleuze, « Entretien sur l’Anti-Œdipe (avec Félix Guattari) », Pourparlers 1972-1990, Minuit, 1990/2003, p. 33

[2] Parmi les études auxquelles Victor Pitron fait référence, on peut consulter : « Modern worries, new technology, and medecine », The British Medical Journal, Vol. 324, 23 mars 2002