Victor Pitron : « Nous sommes confrontés à des manifestations psychiatriques inédites »

Particulièrement intéressé par les interactions entre maladies corporelles et mentales, investiguant les mécanismes cognitifs de la perception du corps, Victor Pitron est psychiatre et chercheur en sciences cognitives à l’École Normale Supérieure (Ulm). Il développe actuellement un programme de recherches pluridisciplinaires sur les symptômes corporels associés aux nouvelles technologies. Il est chef de clinique à la Pitié-Salpêtrière, et y travaille au service des urgences psychiatriques. Il a ainsi vécu et contribué à la mobilisation générale et exemplaire des travailleurs de l’hôpital public pour faire face à l’état d’urgence sanitaire qui s’est imposé ces dix dernières semaines. Tout au long de cette période sidérante, en première ligne avec ses collègues somaticiens, il a accueilli, écouté, traité des patients victimes des répercussions psychiques et psychiatriques de la pandémie. Dans l’entretien qui suit, il raconte cette expérience inédite et évoque ce qui déjà se profile des conséquences psychiatriques de la crise sanitaire, mais aussi sociale et politique, que nous traversons. MK
Vous venez de vivre, avec tous les travailleurs des hôpitaux, une période tout à fait exceptionnelle, hors norme.
Ce qui est arrivé était, oui, exceptionnel, et a produit chez les soignants une application au travail résolue, forcenée. À l’hôpital, il y avait une mobilisation totale pour accueillir et soigner les patients. Nous étions galvanisés. On a aussi senti que l’on vivait une période tout à fait hors norme parce que le monde extérieur s’est soucié de notre quotidien à l’hôpital public : des grands restaurants s’occupaient de nos repas, des maisons de luxe nous fournissaient en gels hydro-alcooliques parfumés. Mais aujourd’hui, la page est tournée. On sent que c’est terminé, on retrouve la nourriture de cantine, le gel hydro-alcoolique à l’odeur médicale.
Est-ce que vous pouvez dégager une chronologie de ces dix dernières semaines ? Votre activité a dû se réorganiser puisqu