Rediffusion

Bernard E. Harcourt : « Comment subvertir les logiques numériques qui désormais nous gouvernent ? »

Journaliste

Philosophe et juriste, avocat de condamnés à mort en Alabama, Bernard Harcourt s’est très tôt intéressé aux effets de la mutation numérique sur la gouvernementalité et à l’avènement de ce qu’il appelle La Société de l’Exposition – titre de son important essai enfin traduit en français, parution qui nous offre l’occasion d’un entretien. Rediffusion du 11 janvier 2020

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Professeur de philosophie politique et de droit à Columbia University mais également directeur d’études à l’EHESS, Bernard E. Harcourt s’inscrit dans la tradition de la pensée critique, à laquelle d’ailleurs il consacre ses plus récents séminaires. Entre une pratique du droit qui le conduit depuis de longues années à défendre des condamnés à mort dans l’Etat d’Alabama et son travail d’édition de certains des cours du Collège de France de Michel Foucault, il s’est aussi intéressé aux effets massifs et rapides que la mutation numérique en cours produit sur les sociétés et les individus qui les composent. SB

Il y a six ans vous avez été, dans l’univers académique, l’un des premiers à alerter sur certains effets de la mutation numérique, en pointant que nous étions en train de basculer vers ce que vous avez alors proposé d’appeler « société d’exposition ». L’un des lieux communs les plus ressassés à propos de cette mutation consiste à relever que tout change très vite, parfois trop vite pour être pensé ou que cela rend rapidement caduque toute réflexion. La traduction de votre livre en français, cinq ans après sa parution originale, vient apporter la preuve du contraire : tout ne change pas si vite…
Il est vrai que la technologie change tout le temps. Que l’informatique est de plus en plus puissante, que de nouveaux modèles, de nouvelles configurations ou applications paraissent chaque jour. Mais lorsqu’on regarde bien, on s’aperçoit surtout que tout ne change pas n’importe comment, dans n’importe quel sens… Il s’agit, en fait, quasiment toujours d’une évolution incrémentale : on ajoute des choses, on les pousse plus loin, plus haut, plus fort, plus vite… Il y a donc un vrai risque à se dire que la réflexion serait toujours rattrapée par les changements technologiques. C’est en fait trop souvent une bonne excuse pour ne jamais adresser des problèmes qui sont pourtant depuis très longtemps clairement identifiés et qui, eux, demeurent – et, surtout, s’aggr


Sylvain Bourmeau

Journaliste, directeur d'AOC