Musique

Dominique A : « La musique, pour moi, reste un plaisir solitaire »

Journaliste

Contraint et forcé au minimalisme par la guest-star Covid 19, Dominique A revient à ses premiers amours sur Vie Etrange. Un album enregistré avec les moyens du bordel, en solitaire dans sa banlieue nantaise. Les musiques de l’enfance, les premiers émois sexuels, le confinement et Katerine : il se raconte sans se la raconter dans ce long et riche entretien.

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En 2018, visionnaire du chaos à venir, Dominique A chantait Aujourd’hui n’existe plus. Depuis, une pandémie s’est effectivement chargé d’effacer le présent et de flouter le futur. On vit comme dans le film Un Jour sans fin sans fin. Dans ces conditions extrêmes de survie en milieu hostile, beaucoup d’artistes s’accrochent aux certitudes avérées, en sont souvent réduits à ressasser le passé. On ressort le savoir-faire, les habitudes déjà testées : comme la vie, on manque d’ambitions. Face à ces doutes et remous, Dominique A s’est lui aussi relié à son passé : on n’a surtout pas écrit replié sur son passé. Pour trouver un peu de stabilité, de sol ferme dans cette valse permanente de nos plaques tectoniques, il s’est souvenu de ses débuts, quand en 1991 il enregistrait seul et dans le dénuement son premier album. Des boucles se referment ainsi avec Vie étrange, son quatorzième album studio : l’album a été enregistré à Nantes, en complète solitude, sans un sou, sans plan de vol, avec un outillage pareillement limité : synthés anciens ou boîte à rythmes simplettes. Le décor est identique, mais le ton est autrement plus libre, ambitieux même dans la retenue. Le songwriting et le chant ont, eux, tellement enrichi leur spectre au fil des albums et rencontres que, comme l’affirmait un titre de 2004, Tout n’est plus comme avant. C’est la beauté sauvage de Vie étrange : cette façon d’offrir du large avec du restreint, de proposer le grand large sans quitter le phare. Il y aura, après tout le malheur et le carnage psychologique, des études et analyses sur les créations en cette période de confinement. Vie sauvage restera comme le disque d’un homme qui, enfermé, a décloisonné ; le disque d’un homme qui a repoussé les cloisons en se tapant doucement la tête contre les murs. Le disque d’un homme qui, pour la vie, chantera ce juste résumé d’une carrière exemplaire : « Quand ça rigolera/Je geindrai à cœur joie/Dans l’arène gauloise/où le pathos agace/ceux qui craignent de voir/leur propre peine en face/Je serai ta pleureuse. » Souvent, Dominique A pleure de rire. JDB

 

Quel est le premier bruit qui t’a marqué ?
Le bruit des pas dans l’escalier de la maison, à Provins. Il y avait un écho de cathédrale dans cet escalier, nous vivions dans le bâtiment même de l’école, à l’étage… Ensuite, je me souviens de la télé, en noir & blanc, et des génériques de feuilletons ORTF, comme Bonne Nuit Les Petits ou L’Ile Mystérieuse avec Omar Sharif. C’était une chanson très lyrique, tout en accords mineurs, dégueulant de violons étranges. C’est ce qui me reste de l’enfance… Je me revois captivé, happé même par ces musiques, car il y avait peu de disques et aucun instrument à la maison. Les albums, à part les Chœurs de l’Armée Rouge, étaient tous francophones. Il y avait aussi les Platters, avec qui j’ai toujours eu du mal, ils incarnaient l’ennui du dimanche : ça m’a empêché pendant des années d’écouter de la musique anglo-saxonne !

Tu passais beaucoup de temps dans ta chambre, dans ta tête ?
Je n’ai eu ma chambre à moi que vers 7 ans. Je m’y suis construit mon monde, je me suis mis très vite à dessiner. Je ne descendais que pour écouter de la musique sur le pick-up. Je garde le souvenir étrange que j’étais toujours seul, alors que ma mère ne travaillait pas. Vers 11/12 ans, je me suis mis à acheter des disques, ma cousine était une fan très prosélyte de Police, elle distribuait leurs premiers singles à la pelle. C’est là que démarre ma fascination pour la musique, que je développe mes propres goûts. J’ai très vite acheté les magazines Best et Rock & Folk, j’étais plus fasciné par ce qui était écrit sur la musique que par la musique elle-même, car je ne le connaissais pas. Ça ne m’empêchait pas d’accrocher les posters de Best sur les murs de ma chambre : The Cure, Siouxsie & The Banshees, The Clash… Comme je n’avais pas accès aux disques, j’ai développé un rapport presque théorique à la musique. Ce n’est devenu physique, sensitif que plus tard. Ça m’est resté : ma relation à la musique passe beaucoup par le discours, par l’écrit.

Tu as commencé tôt à écrire des textes ?
Dès que j’ai su écrire ! Avant, ça me rendait fou, car j’inventais des histoires mais j’étais incapable de les coucher sur papier. J’ai retrouvé des poèmes écrits à 7 ans, c’était mon moyen d’expression avant la musique. Je voulais absolument créer, vivre dans l’imaginaire, me purger… J’aimais déjà chanter, par dessus les disques de mes parents, puis avec des copains à l’adolescence. C’est à cette époque que la musique a pris le pas sur tout. Un jour, j’ai eu une révélation : j’ai compris ce qu’était une chanson. Je pensais qu’elles me venaient naturellement, sans apprentissage. Physiquement, les chansons me faisaient du bien, m’aidaient à sortir de ma bulle, à me projeter. Et puis il faut être honnête : c’était mieux pour approcher les filles, surtout pour moi qui avais peu de moyens à ma disposition.

Qu’est ce qui transforme le fan de musique en musicien ?
C’était violent mais vital. Je n’avais pas le choix : il fallait essayer. Le passage à l’acte, c’est d’oser un jour chanter devant mes copains. Je savais que ma voix était très franco-française, typée Rive Gauche, à l’ancienne. Ça ne recoupait pas du tout les voix qu’on écoutait : Clash, Stranglers, Taxi Girl, Joy Division… Je me contentais donc de faire les chœurs dans un groupe de reprises. Les autres dans le groupe aimaient mes petites histoires, les chansons que je commençais à griffonner dans un style post-Thiéfaine, bourrés de mots compliqués… Ils m’ont donc proposé de chanter une chanson à moi le temps d’un concert. Ça a été une révélation pour moi. Il y avait même un sentiment d’évidence quand je me suis retrouvé devant le public, à 14 ans. Je me suis dit que ce moment, personne ne pourrait jamais me le retirer.

Tu penses quoi, de ta voix ?
Je l’aime bien. Elle a du caractère. J’ai appris à faire avec ses limites. Je n’ai pas la voix d’Ian Curtis ou Leonard Cohen, je n’ai que la mienne… Je m’adapte aux musiques, sur deux registres : un chant plutôt lyrique, un autre plus rentré. Je trouve ma voix plus convaincante dans la retenue la plus extrême, mais je n’ai pas envie de chanter comme ça tout le temps, j’ai parfois envie d’être plus physique. Identifier son cadre, ses limites, c’est le gros du travail. Il ne faut pas se leurrer, on ne s’en échappe pas, même si on doit chercher sans répit à s’en évader.

Tenais-tu un journal de bord ?
Ecrire et chanter suffisaient à tout consigner. J’enregistrais des cassettes dont je dessinais la pochette, parfois à un seul exemplaire, ça tenait lieu de journal intime. Un copain, vers mes 14 ans, m’avait d’ailleurs subtilisé toutes mes cassettes, les avait écoutées avant de me donner des commentaires très acerbes. Ça m’avait beaucoup blessé. C’était comme s’il avait cambriolé ma chambre, regardé à l’intérieur de moi. J’ai gardé ce côté auto-centré de l’écriture, même si j’ai appris à le partager. Mais c’est vrai que j’aime tout consigner, je panique si, par miracle, je n’ai pas sur moi un crayon ou un dictaphone. Du coup, je m’envoie parfois des messages vocaux de mon vieux téléphone pour garder la trace d’une mélodie. Il ne faut pas rigoler avec ça.

Es-tu collectionneur ?
Depuis l’enfance, je collectionne les livres, notamment les BD. Si j’ai récemment acheté un atelier où je peux m’isoler, c’est aussi pour y entasser mes livres et mes disques, qui avaient envahi la maison. Ce lieu, c’est un rempart contre ce que nous vivons depuis des mois, c’est là où je peux me décloisonner. C’est grâce à mes livres et disques que c’est devenu un lieu de vie, où j’écoute beaucoup plus de musique que chez moi. Et la musique, pour moi, reste un plaisir solitaire. Ce n’est que dans ces conditions que la musique me nourrit, en face à face. Je suis beaucoup plus porté sur les objets arrêtés que sur le live. Je ressens très rarement l’esprit de communion en tant que spectateur. D’où mon attirance pour les musiques un peu contemplatives, avec beaucoup d’espace, qui ne visent pas à remplir absolument le spectre sonore.

Qu’as tu appris des pochettes d’albums ?
Certaines ont participé à mes émois adolescents. L’objet me fascinait. Je me suis longtemps dit que me vie ne serait pas complète tant que je n’aurais pas sorti de vinyl. Et à l’époque de mon premier véritable album, La Fossette (1992), on ne publiait plus de vinyls. J’étais déçu qu’il n’existe qu’en CD. Il a fallu attendre une réédition de 2012 pour qu’il existe enfin en 33t. Pour la première fois, j’ai ressenti une impression d’accomplissement en le tenant dans mes mains. Il existait enfin ! C’est ce rapport à l’objet, à son image, à la lecture des crédits qui m’interdit aujourd’hui encore d’écouter en streaming.

Des pochettes te semblaient érotiques ?
Oui, celles de la chanteuse Sapho. Je ne ressentais pas d’excitation sexuelle, il n’y avait pas de fantasmes mais… Enfin, peut-être quand même (rires)… J’ai aussi été troublé par une pochette des Plasmatics. De toute façon, j’étais trop inhibé pour fantasmer sur les rockstars.

Tu parlais de Best ou Rock & Folk, lisais-tu aussi Lui ou Playboy ?
Bien sûr ! Il y a eu des moments inavouables chez le buraliste (rires)… L’adolescence a été comme souvent une grande période de confusion. Mais je ne moque pas de qui j’étais, il y a même des récurrences : je crois par exemple que Joy Division reste mon groupe préféré. C’est une vraie phrase d’ado, ça, non ? Je ressens une permanence, une acceptation de l’immaturité. Même si j’ai trouvé mes marques, obtenu une forme de reconnaissance qui me fait me sentir mieux, je conserve mes névroses, mes marottes.

Existait-il des auteurs qui te rassuraient sur ton état de confusion ?
Alain Fournier et Le Grand Meaulnes ont joué ce rôle. Je me suis beaucoup identifié au narrateur, François Seurel, qui observe. Je m’imaginais ainsi, dans l’admiration d’un autre, au second plan. Ces descriptions de la nature, ces déambulations nocturnes, c’est mon enfance. Il y a eu d’autres passions ensuite, comme Le Ravissement de Lol V. Stein, mais c’était pour le style, j’étais plus distant. Puis des Américains, comme Carson McCullers.

En lisant la presse musicale, tu t’identifiais avec les artistes ?
Pas du tout, c’était même tétanisant, j’avais la certitude que je n’appartiendrais jamais à ce monde. Je me sentais trop refermé pour être un jour exposé. Et puis j’avais la certitude que mes oreilles étaient trop sensibles, que je ne supporterais jamais le volume sonore des concerts. Je refusais de suivre mon ami d’enfance quand lui et son père allaient aux concerts de Clash ou Cure… Un jour, j’ai décidé de franchir le pas et je suis allé au Festival de la Pêche, parce que Sapho était à l’affiche. Je me suis alors rendu compte que mes oreilles ne saignaient pas (rires)… Un autre truc m’inhibait dans ces interviews : le côté outrancier, provocateur des artistes. J’étais sûr que je n’aurais jamais cet aplomb. Je me souviens notamment d’une interview télévisée de Killing Joke, pendant laquelle Jaz Coleman disait, avec un regard de fou, que son groupe, c’était juste quatre personnes qui détestent le reste du monde. Comment aurais-je pu m’imaginer être comme eux ?

Tu répétais des interviews dans le miroir bien avant de sortir des disques ?
Je l’ai fait plus tard, notamment quand on m’avait proposé ma première grosse interview dans Les Inrockuptibles à l’époque de Si Je Connais Harry en 93. Je me revois sur mon vélo, en train de réfléchir à des réponses choc, des punchlines. Je me posais des questions et je me répondais, pour affiner mon propos. Je ne voulais pas louper ce premier espace de parole. J’étais certain que l’occasion ne se représenterait peut-être jamais… Tout me semblait précaire, sans lendemain. Alors je jouissais de chaque instant, en pensant à laisser une trace avant de disparaître.

Es-tu très discipliné ?
Pas du tout. J’aime travailler, mais je ne le fais pas tous les jours, loin de là. Je n’ai pas du tout le fantasme de la perfection, je suis certain que le mieux est l’ennemi du bien, ce qui peut me servir de prétexte pour ne pas pousser les choses. Il faut que je me méfie de ce trait de caractère, car je peux parfois laisser aller, me décourager très vite… Je n’ai pas cette réputation, mais je suis nonchalant, bordélique. J’ai conservé mon amateurisme. Et ce manque de rigueur me convient bien. Je fais demi-tour face à un blocage créatif, je ne les vis jamais comme un défi à relever, mais comme une impasse, dont il faut vite fuir. Pourtant, j’ignore tout du syndrome de l’imposteur car quand le travail marche, c’est clair et fluide. Dès mon premier vrai concert en tant que chanteur, vers 16/17 ans avec mon groupe John Merrick, je n’ai plus jamais douté de ma légitimité. Même si souvent, en lisant la presse, j’ai l’impression qu’on dit trop de bien de moi. Ce que je fais n’en mérite pas tant. Et puis d’autres jours, je pense le contraire (rires)…

As-tu vécu des déceptions en rencontrant tes héros d’enfance ?
Je ne vais pas balancer, mais c’est arrivé plusieurs fois. Ça ne m’a jamais empêché de continuer à les écouter : ça a juste jeté un voile. Mais globalement, j’ai été agréablement surpris. Il existe un sentiment de connivence avec les gens qui m’ont accompagné, formé… Parler d’égal à égal ne va pas de soi, c’est trop déséquilibré. Je me suis par exemple pincé en montant sur scène avec Bashung ou The Opposition.

As-tu un rapport presque rituel aux instruments de musique ?
Quand nous habitions encore à Provins, le père d’un copain possédait un gros orgue familial, avec des rythmiques de tango ou cha-cha… J’étais fasciné par l’objet, j’en jouais dès qu’on me laissait faire. Mon goût pour les claviers et les boîtes à rythmes vient de là. Le premier album, c’est un hommage à ce son. Sinon, je ne suis pas fétichiste au niveau des instruments, à part ma Telecaster. Pour quelqu’un dont c’est le métier, je ne possède que le minimum : j’aime n’avoir que peu de jouets à ma disposition, ça délimite mieux mes chansons. Deux guitares, deux claviers, ma drum-machine allemande : ça suffit amplement pour faire un disque.

Peux-tu être geek ?
Ah non, pas du tout. Je fonctionne presque comme avant l’arrivée d’internet. Je n’ai pas de smartphone, j’ai enregistré le nouvel album en numérique, sans le moindre ordinateur. J’ai vraiment du mal avec ces conversations permanentes qu’ordonnent les smartphones… Je passe déjà assez de temps à répondre à mes e-mails : avec un smartphone, je serais perdu pour l’humanité !

Tu es revenu vivre à Nantes, ville de musique mais aussi de bourgeoisie très codifiée…
A Nantes, je suis depuis toujours une pièce rapportée. Quand j’y suis arrivé, c’était effectivement une ville de droite, bourgeoise… Mais il suffit de traverser en tramway la ville d’Ouest en Est pour faire voler ce cliché en éclats. Ce qui m’importait en débarquant à 15 ans, c’était de trouver des musiciens, ma bande. Et l’accueil n’a pas été cordial. J’avais l’impression d’être à part. Il y avait des dizaines de groupes, des lieux où jouer… J’avais l’impression de savoir la musique qu’il fallait faire, mais personne ne partageait ma vision. Je n’ai trouvé ma voie qu’en partant en solo au début des années 90.

C’est là que tu rencontres Katerine, les Little Rabbits ?
J’ai rencontré Philippe Katerine en 1990 et j’ai appris à aimer les Little Rabbits à force de les côtoyer, car au départ, je les considérais comme un groupe pop sans envergure. On se croisait au Floride, au Flesselles, à l’Olympic, mais nous ne formions pas une scène. Nous étions juste tous lecteurs des Inrockuptibles.

A Nantes, tu as fréquenté des familles comme les De Ligonnes ?
Des familles bourgeoises qui abritent le mystère et le mensonge ? Oui, bien sûr. C’est le propre de ces familles. Même si on n’en finit pas fatalement par ces extrêmes. J’ai en fait très peu suivi cette affaire, ça ne me fascine pas. Mais sinon, oui, j’ai parfois eu du mal avec ces classes sociales huppées. Je me souviens de soirées où ces fils de notables frimaient en écoutant la même musique que moi, alors que je sentais bien que ce n’était qu’une pose, que ça leur passerait avec leur carrière, que ce n’était pas vital pour eux… Ils me volaient ma musique, je les considérais comme des usurpateurs. Alors que moi, j’étais le véritable gardien du temple (rires)…

Tu viens d’écrire un petit livre en hommage à Philippe Pascal, le chanteur décédé de Marquis de Sade et Marc Seberg. Pourquoi ?
J’ai toujours trouvé le scène rennaise plus riche que celle de Nantes. Au départ, il y a un sentiment d’urgence dans ce texte, c’était ma façon d’encaisser le choc de sa disparition. Je m’interrogeais en direct sur les raisons pour lesquelles j’étais à ce point bouleversé. Pourquoi faire un tel deuil d’une personne que je ne connaissais finalement peu, même si nous devions travailler ensemble ? Qu’est-ce que ça réveille ? Je me fichais qu’il soit publié ou pas, je devais l’écrire. C’était une façon d’évoquer mon rapport à la jeunesse, à ces émotions inaltérables. Une manière d’explorer ce moment où de simple auditeur, on devient musicien. Sa mort m’a choqué, de manière diffuse, ça a été comme un adieu à la jeunesse. A ses funérailles, c’était clairement palpable : on enterrait nos eighties. Son manque de succès est assez symptomatique de la médiatisation de la musique : il faut distraire les gens avant de les toucher. J’avais déjà ressenti ce besoin d’écrire à la disparition de Leonard Cohen : j’ai fait la chanson La Poésie le lendemain de sa mort. “La poésie s’en est allée…” Il l’incarnait.

Vie étrange, c’est ton ressenti sur le confinement ?
Quelle est la vie étrange, quelle est la vie normale ? Le confinement, créativement, ne m’a pas bridé. La vie étrange, c’est d’exister en ne pensant qu’à la maladie qui rôde, tout le temps. On ne peut plus vivre inconsciemment, tu es sans répit informé sur les conditions mêmes de ton quotidien. La vie étrange, c’est une vie sur-consciente d’elle-même. J’avais, avant la pandémie, décidé de disparaître jusqu’en 2022, le temps d’essayer des choses. Bizarrement, cette liberté m’a bloqué. Jusqu’au confinement, je peinais. Il m’a forcé à revenir à ce que je ne m’autorisais plus. Les circonstances m’ont autorisé à revenir à un travail en solitaire, sans la moindre mauvaise conscience. Je sentais que ça serait ma planche de salut. Ça m’a permis de jeter ce que j’essayais de faire, des chansons très élaborées, à la genèse laborieuse. Je suis reparti du point de départ, de la boîte à rythmes, des synthés, des structures simples… En cette période de confusion totale, j’avais besoin d’une sorte de confort, que le sol se stabilise sous mes pieds. Pourtant, comme en 1991, je suis parti sans plan de vol, tout seul, sans même savoir que ces chansons finiraient sur un album. C’est un album que je ne me suis pas vu faire. Il s’est fait dans de telles conditions précaires, dans un tel dépit du bon sens que j’ai pendant des mois eu du mal à le considérer comme un vrai album. Je voulais même qu’il ne sorte qu’en série très limitée, juste en vinyl. Mais le public l’a adopté, c’est un album rassurant, qui assure la fonction première d’un disque : mettre du baume au cœur.

Qu’est-ce qui te rend heureux ?
Fondamentalement, hormis les relations humaines et intimes, ce qui me rend le plus heureux, c’est de sentir toujours chez moi du désir créatif. Surtout quand je sais qu’il existe autour de moi des gens qui ne demandent qu’à le relayer. C’est un immense source de bonheur. Presque à la hauteur des relations intimes.

 

 


JD Beauvallet

Journaliste, Critique

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