Stefan Aykut : « Après la COP21, nous avons basculé dans une économie de la promesse perpétuelle »
Lorsque la COP21 a démarré à Paris en décembre 2015, Stefan Aykut venait tout juste de publier avec Amy Dahan un ouvrage de référence : Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales. C’est donc en observateur avisé et informé de ces rendez-vous planétaires réguliers suscitant autant d’attentes que de désillusions qu’il a suivi ces négociations réputées historiques. Cinq ans plus tard, le professeur associé à l’Université de Hambourg et chercheur associé au LISIS (Université Paris Est) confirme le constat mitigé de l’époque : faute d’être contraignants, les objectifs fixés à Paris sont loin d’avoir été atteints (comme le rappellent régulièrement l’ONU ou les rapports du GIEC), mais la question climatique s’est belle et bien installée dans de nombreuses sphères de la vie publique, forçant des acteurs parfois assez éloignés des enjeux écologiques à s’y intéresser. C’est ce que Stefan Aykut appelle la « climatisation du monde ». RB
Cinq ans après la signature des accords de Paris, quel regard portez-vous sur la COP 21 ?
Il faut se remettre dans l’esprit de l’époque. Nous étions six ans après la COP de Copenhague, qui s’était soldée par un véritable fiasco pour les politiques climatiques. L’impression générale était que ce processus international porté par l’ONU allait droit dans le mur. Et puis, il y a eu ce sursaut du multilatéralisme. C’était ça, l’accord de Paris : une promesse faite par la communauté internationale, dont on doute toujours qu’elle existe vraiment, d’atteindre des objectifs très ambitieux. Il faut rappeler aussi que l’objectif le plus connu, limiter le réchauffement à 1,5 degrés Celsius, était complètement inattendu. Ce n’était pas une proposition inédite, elle avait une histoire, mais peu d’observateurs pensaient avant la conférence qu’elle pourrait faire partie de l’accord final. Cependant, si l’accord de Paris affichait des objectifs ambitieux, ses mesures de mises en œuvre n’étaient que très faiblement contraignantes. On dira que c’était le prix du consensus international, qu’il était impossible d’aller plus loin. Mais le résultat, rétrospectivement, c’est que les promesses n’ont pas été tenues. Pire, nous avons basculé dans une sorte d’économie de la promesse perpétuelle, un récit qui est toujours réactualisé par des annonces, comme récemment celle de Xi Jinping fixant un objectif de neutralité carbone à horizon 2060 pour la Chine. Mais, dans le même temps, nous restons très en-dessous dans la mise en œuvre des décisions qui font mal ; je songe, par exemple, aux mesures financières qu’il faudrait accorder aux pays les plus pauvres pour qu’ils aillent vers un développement bas carbone. Il faut donc considérer que l’accord de Paris prend acte de ce qui était possible à ce moment-là, plutôt que comme un aboutissement.
Dans vos travaux, à propos notamment de cette COP21, vous avez évoqué une « climatisation du monde ». Qu’entendez-vous par-là et où en sommes-nous cinq ans plus tard ?
C’est un concept plus opérant que jamais. Pour le comprendre, il faut commencer par dire ce qu’il n’est pas, ou ce qu’il n’essaye pas de dire : il ne s’agit en aucun cas de désigner la recherche d’une gestion efficace du changement climatique. C’est plutôt le constat que les enjeux climatiques débordent leurs frontières stricto sensu, que les problèmes politiques, sociaux, économiques, entrent en contact avec la question climatique et sont en quelque sorte attirés dans son giron. De ce fait, certains types de langage, de façons de faire, d’expertises scientifiques et d’acteurs qui étaient jusque-là cantonnés aux sujets environnementaux se retrouvent dans d’autres arènes. La COP21 a été un moment très important, le climat est devenu cette année-là une priorité présidentielle et on a vu un grand appétit de compréhension pour mieux cerner le sujet afin de pouvoir se positionner dans le débat. C’est cela qu’on a appelé la climatisation des discours : jusque-là il fallait parler de développement durable, désormais il faudrait parler de climat. Malheureusement, on a pu constater, dès cette époque, combien la climatisation est d’abord et avant tout symbolique et combien elle passe par un processus d’adaptation du langage. Le discours se verdit, mais y a-t-il vraiment des pratiques qui changent, des moyens mis en œuvre ? Il faut noter également la réversibilité du processus perceptible après la COP21, lorsque l’attention médiatique est retombée et que tout un ensemble d’acteurs ont quitté l’arène climatique dans laquelle il venaient pourtant juste d’entrer. Il y a toutefois eu un effet cliquet, et ce recul n’est pas parvenu à effacer complètement le climat des discussions – comme on peut, d’ailleurs, le constater dans la période que nous traversons puisque la pandémie de Covid-19 n’a pas fait disparaître le climat de l’agenda. Contrairement à ce qui se passait entre les années 1980 et 2000, nous n’assistons plus à des hauts et des bas médiatiques. Une hypothèse que je formulerais pour l’expliquer, c’est que le climat a pris une valeur journalistique et politique plus stable puisqu’il offre désormais de multiples angles possibles : on peut parler de météo, d’événements extrêmes, d’urbanisation, d’agriculture, d’élections… tout est susceptible de susciter une discussion sur le climat. Comme le disait Naomi Klein dans un essai paru en 2014, This Changes Everything : Capitalism vs. The Climate, cette question change tout.
Cela change tout, mais comme vous l’avez fait remarquer, en l’absence d’objectifs contraignants, il n’y a pas de véritable traduction concrète des engagements. L’un de vos objets d’études, c’est justement la question des limites, celles du système terre mais aussi celles qu’on se fixe collectivement dans ce cadre.
Oui, la question des limites a historiquement accompagné la montée des questions environnementales comme dans le fameux rapport Meadows de 1972 Les Limites à la croissance (The limit to growth). On la retrouve dans l’approche malthusienne de l’environnement, qui appelle à limiter la population mondiale car les ressources planétaires elles-mêmes sont limitées. Ce n’est pas mon approche. On ne peut pas, selon moi, s’appuyer sur l’évolution des stocks de charbon ou de pétrole pour espérer une réduction mécanique de l’exploitation, car en réalité nous en avons trop. Cela peut sembler contre-intuitif, tant les discours environnementaux sont hantés depuis des décennies par l’idée du pic pétrolier, ce moment où l’exploitation du pétrole aura atteint son maximum avant de décliner. Mais en réalité, les contraintes climatiques actuelles ne permettent pas de compter sur ce phénomène, d’attendre ce moment pour passer à l’après-pétrole. Il faut donc accepter de nous fixer nous-même des contraintes, des limites autres que celles fixées par l’état des ressources. Or ces questions ne sont jamais abordées par la gouvernance globale. On ne parle pas de limite, on ne parle pas de ressources fossiles, on ne parle même pas d’énergies de manière explicite, on parle d’émissions. C’est l’ancien paradigme qui prime encore, des politiques en fin des tuyaux pour réguler les émissions d’azote, de soufre, de CO2… Il me semble que la question climatique nécessite, puisqu’elle est tellement énorme, qu’elle touche à tellement de problèmes au cœur de nos modes de vie, une approche en amont, qui ne régule pas seulement en fin de tuyaux, mais qui régule ce qui entre dans le moteur et le moteur lui même, si l’on veut filer la métaphore.
Or, cette question de la limitation de l’extraction des énergies fossiles qui font marcher nos économies reste largement impensée. Ce qui est un vrai problème puisque la possibilité de réguler le réchauffement climatique en dépend. On voit là, au passage, à quel point le cadre conceptuel qu’on se donne, les instruments intellectuels qu’on mobilise, déterminent notre capacité d’agir. Par exemple, l’instrument fétiche de toutes ces discussions depuis des années, c’est la taxe carbone, l’idée de réguler les émissions par une taxe ou par un marché du carbone comme on le fait en Europe. Ce n’est pas mauvais, les marchés carbone ont leurs problèmes, mais c’est mieux que rien. Mais cela ne règle en rien la question du commerce des ressources fossiles, de leur exploitation. Or, il faudrait vraiment trouver une façon de parler de la fin de l’exploitation des ressources fossiles. Ce sont des questions qui sont mises sur l’agenda par les mouvements activistes contre l’extractivisme, mais politiquement il n’y a que des coalitions très précaires autour de ces questions. Il faut en faire un enjeu beaucoup plus politique.
Le président Emmanuel Macron a pris un certain nombre d’engagements dans cette voie, il a, par exemple, mis récemment en avant, la fermeture des centrales à charbon ou la fin de l’exploitation des hydrocarbures. Cette volonté de s’attaquer au problème en amont, et pas seulement aux émissions de gaz à effet de serre, n’est pas limité aux discours activistes…
Pour savoir si la France veut vraiment prendre cette question au sérieux, il faut plutôt regarder les stratégies de planification de Total, par exemple, et comment l’État français compte accompagner cette entreprise dans l’après-pétrole. Or, je n’ai pas l’impression qu’il y ait aujourd’hui de discussion sérieuse sur ce sujet. Parler de la fin des centrales à charbon en France, c’est plus simple que dans beaucoup d’autres pays. Ce qui l’est moins apparemment, c’est de dire à EDF d’arrêter d’en construire à l’étranger, même s’il y a eu des décisions prises par la France d’arrêter ce type d’investissement. Par ailleurs, l’après-fossile suppose de repenser largement le commerce international, en termes de volumes et en termes de valeur. Mais il n’y a pas de volonté cohérente de le faire. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce que font les différents ministères : quand l’Environnement prend des mesures pour limiter les émissions, les Transports construisent des autoroutes… Ce qui manque pour atteindre les objectifs de transformation et de décarbonation profonde de l’économie, de nos modes de vie, c’est vraiment une mise en cohérence des politiques publiques dans leur ensemble, y compris au niveau international. Comment réguler le commerce international ? Comment réguler le marché des ressources premières et anticiper sur cette question de l’après-pétrole de façon stratégique ?
Mais l’approche multilatérale n’a-t-elle justement pas montré ses limites avec la Cop21 ? Vous croyez encore à la gouvernance climatique internationale ?
Tant que l’on parle de politiques climatiques internationales, il est probable qu’on ira pas très loin. Ce dont il faut vraiment parler, c’est des politiques économiques et de commerce, d’énergie… On ne peut pas inventer le monde décarboné dans l’arène de la gouvernance climatique avec l’Arabie Saoudite, en tout cas pas encore. Ce qu’il faut, c’est commencer avec de plus petites coalitions de pays volontaires, sur des sujets spécifiques. On a déjà mentionné l’alliance informelle sur les questions de l’après-charbon, on pourrait faire de même à propos du ciment, de l’acier, des marchés du pétrole, du gaz, etc. Il faut bâtir ces coalitions de pays qui pourraient se mettre d’accord pour se donner des conditions préférentielles en termes de commerce international, mais qui s’engageraient aussi, par exemple, à s’interdire mutuellement d’importer du charbon, et à ne plus vendre. Je prône donc cette approche sectorielle, sur des questions spécifiques, si l’on veut dépasser ce qu’on a pu faire dans le cadre de l’accord de Paris. Après, rien n’empêche de rapatrier ces initiatives dans le cadre de la gouvernance climatique.
La COP21 a aussi vu la montée en puissance d’une société civile internationale qui prend position sur les sujets climatiques, incarnée aujourd’hui, par exemple, par Greta Thunberg. Au lieu de trop attendre des États, ne faut-il pas davantage se tourner vers la société civile ?
C’est évident. On a vu ces deux dernières années des avancées non négligeables sur des objectifs à long terme, comme le Green Deal européen, la sortie du charbon négocié en Allemagne, la Convention Citoyenne pour le Climat en France – malgré toutes les discussions en ce moment sur sa mise en œuvre. Quand on compare à la situation d’il y a trois ou quatre ans, on voit que les sujets climatiques sont bien installés. Or, dans tous ces pays, y compris par exemple en Chine, les politiques publiques ne sont souvent pas initiées par les États, mais sont l’aboutissement d’un processus issu de la société civile, c’est-à-dire des manifestations, de décisions prises au niveau local, des résultats d’élections qui poussent à formuler des politiques climatiques plus ambitieuses. Si je dis y compris en Chine, c’est qu’on oublie souvent que depuis des décennies l’un des sujets politiquement les plus explosifs pour le Parti communiste chinois, ce sont les questions de pollution locale. Ce sujet est déclencheur de mouvements sociaux au niveau local, parfois par pétitions, parfois de façon violente, ce qu’un régime comme celui de Pékin redoute par-dessus tout. En Europe, évidemment, il y a eu le mouvement des jeunes mené par Greta Thunberg, le Sunrise Movement aux Etats-Unis. Ces mouvements sociaux sont extrêmement importants, mais ce n’est pas soit l’un, soit l’autre. Ils rendent possibles des politiques plus ambitieuses, mais on sait très bien, grâce aux sciences sociales, que ces mouvements doivent s’institutionnaliser à un moment ou à un autre pour vraiment avoir un impact sur la longue durée.
Les engagements ne sont-ils pas de toute façon voués à décevoir, compte tenu de l’énormité des enjeux ? Vous parlez à ce propos de “schisme de réalité”, qu’entendez-vous par là ?
Il n’est pas inutile en effet de revenir sur cette notion de schisme, et sur ce qu’elle voudrait dire aujourd’hui puisque c’est une idée que nous avions formulée en 2014, avant l’accord de Paris. À l’époque, notre constat se nourrissait d’abord de ce sentiment très étrange qui nous habitait de retour de COP où l’on pouvait voir tous ces chefs d’État et de gouvernement nous dire combien le climat était important, tout ce qu’il était prêt à faire pour le climat et pour l’humanité, pour sauver la planète. Puis, de retour chez soi, on ouvrait le journal et on lisait que tel État a investi dans un secteur peu respectueux de l’environnement, un nouveau traité sur le charbon, l’objectif de croissance avant tout. Il y a une sorte de hiatus qui se crée dans le vécu. Il y a d’ailleurs un rapport annuel de l’action climatique mondiale, publié par l’ONU, qui mesure concrètement cet écart entre ce qui est promis et ce qui est réalisé. On le sait, il faudrait que les engagements de réduction soient beaucoup plus ambitieux qu’ils ne le sont aujourd’hui pour rester sous la barre des 2 degrés et a fortiori de 1,5 degrés de réchauffement à la fin du siècle. Mais c’est plus qu’un hiatus ou un écart, c’est vraiment d’un schisme qu’il s’agit, de quelque chose de très profond, une séparation d’ordre presque institutionnelle entre les instances internationales qui s’occupent de climat et d’environnement (la Convention cadre des nations unies sur les changements climatiques, le protocole de Kyoto), et les instances qui s’occupent de l’économie, de la croissance, de l’énergie, des finances (l’OMC, la Banque mondial, le FMI). Il y a bien des évolutions positives comme la Banque mondial qui fait des investissements bas-carbone. Mais si les politiques économiques se sont en partie climatisées par nécessité et par intérêt, réduisant donc le schisme d’un côté, il s’accentue de l’autre à la faveur d’un phénomène nouveau : la politique d’annonce permanente sur les questions de climat. Le marketing politique pousse à fixer des objectifs à long termes, en 2030, 2050, mais pas à se mettre en conformité sur le terrain avec les belles histoires qu’on se raconte. En termes d’infrastructures, par exemple, on ne planifie pas aujourd’hui pour un monde bas carbone. En tout cas, je ne le vois pas. Réduire le schisme aujourd’hui, ça serait vraiment penser le monde après carbone en termes d’infrastructures, en termes de nouvelles installations économiques, industrielles, etc. Et pas seulement en terme d’objectifs bas carbone en 2050.
La période actuelle, marquée aussi évidemment la crise sanitaire, voit nos dirigeants, en Europe en tout cas, se référer à la communauté scientifique pour prendre des décisions. Peut-on faire un parallèle, ou plutôt marquer un contraste, avec la façon dont les recommandations du GIEC ne semblent pas énormément affecter les choix politiques ?
Je trouve que la comparaison est intéressante. On peut se demander d’ailleurs si on écoute vraiment les épidémiologistes dont on nous dit qu’ils sont tellement importants. Car s’il y a un phénomène qui réunit les deux crises, c’est la politisation de la parole scientifique. Il y a bien un consensus, mais il n’est évidemment jamais total puisque c’est comme ça que fonctionne la science. Il est donc possible de jouer là-dessus, de mettre en branle ce même système d’annonces permanentes, et de se détourner de ce qu’on sait être efficace. Pour combattre une pandémie, c’est la nécessité d’agir tôt et de manière ferme, de prendre un certain nombre de mesures comme le port du masque. Or, sur ce sujet, on a assisté à une mise en cause de la parole scientifique, souvent aussi liée à des positionnements politiques et à des intérêts économiques. On le voit de façon caricaturale aux États-Unis où la gestion de la pandémie est devenue une question idéologique, exactement comme la question climatique. Cette politisation constante des questions scientifiques, et cette façon de les rendre idéologiques est communes aux deux. Mais il y a aussi une différence de taille : Donald Trump peut bien nier l’épidémie de Covid, les gens meurent tout de même et cela se voit. Cela renforce la crédibilité de la parole scientifique médicale puisque la réalité observée et les paroles de déni se contredisent. Alors que dans le cas du climat, le discours des faits alternatifs est très difficile à contredire. Un cyclone, une vague de chaleur, c’est plus difficile à imputer directement au changement climatique, même si la probabilité qu’il y ait un lien s’avère très élevée. Les effets du changement climatique, et les effets des politiques climatiques, se font sentir sur des temporalités très longues et soumettent la parole scientifique aux « marchands de doute » comme l’ont analysé Naomi Oreskes et Erik Conway. Je tiens toutefois à dire qu’il me semble normal que les démocraties ne suivent pas les experts. Finalement, ce qu’il faut faire ne relève pas des experts, mais de la délibération démocratique, des combats politiques, de la confrontation des intérêts. Le problème n’est donc pas tellement le fait de ne pas assez écouter les scientifiques, mais plutôt que nos démocraties sont gangrénée par des lobbies économiques, et notamment par des lobbies d’énergies fossiles. Le problème, ce n’est pas qu’on ne sait pas, mais qu’il y a des blocages politiques à chaque fois qu’on veut avancer au niveau de l’énergie, du commerce, de l’agriculture, des transports… car on se heurte à des lobbies très forts.
Quelles seraient, selon vous, les conditions d’une gouvernance du climat à peu près satisfaisante dans les années qui viennent ?
Le Green Deal européen ou la Convention Citoyenne pour le Climat sont à mon avis des directions intéressantes. Le premier objectif, c’est de mettre toutes les politiques publiques en adéquation avec le climat. Sur le modèle de ce qu’on a fait jusqu’à présent pour l’économie, puisque toute l’action publique est au service de l’idée de croissance. Il faut que ça soit la même chose pour le climat, que toutes les politiques publiques soient mises au service de la transition et de la transformation bas carbone de l’économie. Il ne faut plus se focaliser sur la pointe de l’iceberg si l’on veut de vraies politiques de réduction des émissions, de soutien aux énergies renouvelables. Il faut exposer la face cachée des politiques climatiques, les politiques économiques et fiscales, le commerce extérieur, le droit, les transports qui ne sont jamais mis sur le devant de la scène. La Convention citoyenne pour le climat a fait un premier pas dans cette direction, et c’est en cela qu’elle est intéressante. Mais de manière beaucoup plus générale, il faut engager toute la société dans cette transformation tellement profonde qu’elle est impensable politiquement, ce serait même suicidaire, de l’engager de manière verticale, du haut vers le bas. D’autant qu’on ne sait pas aujourd’hui de quoi aura l’air cette société en 2050. C’est quoi, une société décarbonée ? On ne le sait pas puisque nos institutions se sont bâties sur des énergies fossiles pas chères. Dans cette voie vers cette société décarbonée, nous allons forcément faire des erreurs, il va y avoir des impasses, on ne peut pas tout planifier d’aujourd’hui à 2050. Et puis, il y aura aussi des gagnants et des perdants. Nécessairement. En Allemagne aujourd’hui se pose la grande question de ce qu’on fait des anciennes régions charbonnières. Engager les citoyens, c’est faire en sorte que le chemin choisi soit démocratiquement légitimé, mais aussi les associer aux risques et aux bénéfices de la transition, puisqu’il y a certaines personnes qui vont gagner beaucoup d’argent, et d’autres qui vont en perdre. Autre point sur lequel j’insisterais, c’est malgré tout la nécessité d’un système international, qui doit être repensé autour de la question climatique. On ne peut plus se contenter d’avoir des clauses environnementales dans les traités de commerce. Mais dans la perspective d’un économie et d’un commerce mondial qui respecte la contrainte climatique il semble inévitable de devoir repenser cette globalisation où un produit fait trois fois le tour du monde avant d’arriver chez le consommateur. En tout cas, si l’on veut rester sous les 1,5 degrés de réchauffement. Dernier point, ces dernières années, on ne cesse de nous parler de crise migratoire. On sait qu’avec avec le réchauffement les tensions augmentent dans beaucoup d’endroits du monde : sur les ressources, les sécheresses, les catastrophes naturelles… Dès lors, une politique de paix et de stabilité internationale doit inclure aussi la question de l’adaptation. Il faut aider les populations du Sud à s’adapter aux changements climatiques parce que c’est dans notre intérêt, pas parce qu’on est charitables.