Eyal Weizman : « Il n’y a pas de science sans activisme »
Qu’est ce qui rapproche une frappe de drones au Pakistan, la torture de prisonniers dans les geôles syriennes, la mort d’un enseignant palestinien tué par l’armée israélienne, l’incendie de la tour Grenfell à Londres en 2017 ou la mort d’Adam Traoré en France ? À priori rien, si ce n’est que dans tous ces cas une vérité officielle s’oppose à la vérité des victimes. L’autre point commun, c’est que toutes ces situations, et bien d’autres, ont fait l’objet d’enquêtes empruntant aux techniques de « l’architecture forensique ». Le concept est développé depuis 2010 par Eyal Weizman, au sein de son laboratoire du Goldsmiths College à Londres, en collaboration avec des juristes, des artistes, des scientifiques… L’objectif, créer un nouveau régime de preuves construites avec les techniques de l’architecture : chercher des preuves visibles dans l’urbanisme et les bâtiments, mais aussi se servir de la spatialisation, de maquettes, pour faire advenir la vérité. La démarche est scientifique, elle est aussi politique, militante, activiste : il s’agit de faire apparaître les mensonges et la domination exercés par les États. RB
Vous avez forgé le concept d’architecture forensique, de quoi s’agit-il ? D’une méthode d’enquête pour la justice ? D’un domaine de recherche universitaire ? D’un outil pour les militants politiques ?
Tout cela à la fois, je suppose. Quand j’ai écrit le livre en anglais, j’ai évidemment dû produire ce travail de définition en examinant la façon dont mes schémas de pensée et mon expérience personnelle en matière de politique et de conflits m’avaient conduit à développer ce concept. Je ne sais pas si ce chapitre a été inclus dans la version française. Il faut donc commencer par dire que j’ai grandi et évolué dans le giron de la lutte anticoloniale en Palestine. J’avais deux passions dans ma jeunesse. D’abord la politique, parce que j’ai été élevé dans un système inégalitaire, qui a créé un environnement pour contrôler et tenir les Palestiniens à l&r