Écologie

Kate Brown : « Nous n’avons tiré aucune leçon de Tchernobyl »

Journaliste

Le 26 avril 1986 survenait la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le 11 mars 2011 celle de Fukushima… C’est d’une certaine manière ce double anniversaire des 35 et 10 ans qui invite ces jours-ci à se poser la question : qu’a-t-on appris de ces événements ? Peu de choses, à en croire Kate Brown, professeure de « Sciences, Technologies, et Société » au MIT. Pour cette spécialiste de l’histoire environnementale, l’ampleur de ces catastrophes continue d’être sous-estimée, et notamment les effets des faibles doses d’irradiation. Avec Tchernobyl par la preuve, elle livre les résultats de dix années d’enquête.

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Dans sa version originale, le nouvel ouvrage de Kate Brown, Tchernobyl par la preuve : vivre avec le désastre et après (paru en mars aux éditions Actes Sud), s’intitule Manual for Survival: A Chernobyl Guide to the Future (W. W. Norton & Company, 2019), un manuel et un guide donc pour survivre dans un monde marqué par la catastrophe nucléaire. C’est l’apport essentiel de Kate Brown, professeure au MIT, connue pour son travail en histoire environnementale comparée, et pour ses études des réactions de différentes communautés humaines aux effets transformateurs de l’industrie et des technologies : montrer que nous subissons tous sur la planète l’effet des retombées radioactives de plus d’un demi-siècle de choix nucléaires. Après dix ans d’enquête sur le terrain, entre l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie, dans plus de 25 fonds d’archives, cette russophone a pu montrer que, contrairement à ce que le pouvoir soviétique mais aussi les instances internationales comme l’ONU ont cherché à faire croire, les conséquences de l’accident du 26 avril 1986 ne sont absolument pas circonscrites à la « zone d’exclusion » qui entoure l’ancienne centrale nucléaire. Or, le débat fait rage sur l’effet à long terme d’une exposition dite à des « faibles doses » de radioactivité. Cela touche en effet au sujet sensible de la dangerosité des choix politiques qui ont été faits en matière civile comme militaire, de l’énergie aux essais nucléaires, dont Kate Brown remet en cause la sacro-sainte distinction. RB

De quoi Tchernobyl est-il le symptôme ? Pourquoi est-il si important d’y revenir, 35 ans après la catastrophe ?
Le désastre de Tchernobyl est important car c’est un indicateur à l’échelle mondiale, en tant que pire accident nucléaire que l’humanité ait connu, au cours duquel X personnes sont mortes. Ce nombre X a été instrumentalisé, politisé jusqu’à devenir un argument à la fois des partisans et des détracteurs de l’énergie nucléaire. Si vous partez sur la base des 33 à 54 vict


[1] Deux rapports de l’ONU : celui d’avril 2006 sous la houlette de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) qui dénombre 47 morts directs et au total 4000 décès futurs, et celui de 2008 piloté par l’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants) qui estime le nombre de des décès attribuables « de façon fiable » au rayonnement produit par l’accident à 62.

[2] Kate Brown, Plutopia: Nuclear Families, Atomic Cities, and the Great Soviet and American Plutonium Disasters, Oxford University Press, 2015. Non traduit en français.

[3] Erik M. Conway et Naomi Oreskes, Les Marchands de doute, ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique (Merchants of Doubt), Le Pommier, 2012 (1ere éditon 2010 [en anglais]).

[4] Médecin expert en médecine nucléaire et agrégé de biophysique, il est directeur du service central de protection contre les radiations (SCPRI) à l’époque de la catastrophe en France.

Raphaël Bourgois

Journaliste

Mots-clés

Nucléaire

Notes

[1] Deux rapports de l’ONU : celui d’avril 2006 sous la houlette de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) qui dénombre 47 morts directs et au total 4000 décès futurs, et celui de 2008 piloté par l’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants) qui estime le nombre de des décès attribuables « de façon fiable » au rayonnement produit par l’accident à 62.

[2] Kate Brown, Plutopia: Nuclear Families, Atomic Cities, and the Great Soviet and American Plutonium Disasters, Oxford University Press, 2015. Non traduit en français.

[3] Erik M. Conway et Naomi Oreskes, Les Marchands de doute, ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique (Merchants of Doubt), Le Pommier, 2012 (1ere éditon 2010 [en anglais]).

[4] Médecin expert en médecine nucléaire et agrégé de biophysique, il est directeur du service central de protection contre les radiations (SCPRI) à l’époque de la catastrophe en France.