Jean-Pierre Mignard : « Macron n’est plus un projet politique, c’est un pass sanitaire »

Journaliste

Grand juriste de gauche, proche de François Hollande, Jean-Pierre Mignard fut l’un des premiers soutiens du candidat Emmanuel Macron. Il fut aussi, en 2005, l’avocat des familles de Zyed et Bouna, morts électrocutés après avoir été pourchassés par la police à Clichy-sous-Bois. Dans un long entretien, il revient sur la montée en puissance de l’idéologie sécuritaire dont témoigne la présence aussi ahurissante qu’effrayante de responsables politiques de gauche à une manifestation de syndicats policiers organisée devant l’Assemblée Nationale et en présence du ministre de l’Intérieur.

publicité

Ce qui s’est passé devant l’Assemblée Nationale le mercredi 19 mai en début d’après-midi est extrêmement grave. Non pas seulement les policiers qui, à l’appel de leurs syndicats, choisissent de manifester devant la représentation nationale. Non pas seulement le ministre de l’Intérieur décidant de se joindre à cette foule qui prend place face au parlement. Bien plus encore les nombreux responsables de la gauche, issus de différentes organisations politiques, du Parti socialiste au Parti communiste en passant par Europe Écologie Les Verts. Sans doute faut-il revenir sous la IVe République, au moment de la guerre d’Algérie, de Guy Mollet et de la SFIO pour retrouver pareille compromission. C’est cet événement anti-républicain majeur, dont la mesure ne semble pas vraiment avoir été prise, qui m’a donné envie de donner la parole à Jean-Pierre Mignard. Nous nous sommes rencontrés en 2005, après le drame de Clichy-sous-Bois, la mort de Zyed et Bouna, deux enfants électrocutés dans un transformateur électrique après avoir été coursés par la police. Me Mignard était l’avocat des familles et ne savait pas encore combien cette affaire pourrait être considérée bien plus tard comme le début d’une nouvel époque en matière sécuritaire. Les émeutes provoquées dans les banlieues en cette fin 2005 par les mensonges policiers ayant suivi le drame de Clichy-sous-Bois furent, en effet, l’occasion d’expérimenter de nouvelles techniques de maintien de l’ordre, celles-là même que l’on verra, par exemple, à l’œuvre lors des manifestations de Gilets jaunes. Quel regard le juriste Jean-Pierre Mignard porte-t-il sur toute cette période ? Comment l’un des premiers soutiens d’Emmanuel Macron dès 2016 explique-t-il, en matière de libertés publiques, de laïcité, la mise en œuvre de politiques diamétralement opposées aux positions défendues par le candidat Macron ? SB

 

Quel regard portez-vous sur la récente manifestation de policiers devant l’Assemblée nationale ?
Cette manifestation n’a pas été analysée comme elle se devait par les responsables politiques. Ce n’était pas une manifestation de la police mais une manifestation de syndicats de police qui, du fait de leurs caractéristiques doctrinales très assurées à propos de la délinquance, du danger de leur fonction ou des objectifs de sécurité les font appartenir à ce qu’on pourrait appeler le « camp sécuritaire ». Les propos qui ont été tenus étaient parfaitement prévisibles. Les dirigeants qui se sont exprimés, on les connait, n’ont jamais tu leur position. On sait très bien qu’ils estiment que la subtilité des procédures de justice, que les arbitrages, tant au plan de la loi que par les juges, se font en défaveur de l’efficacité de l’action policière et en faveur, trop évidente à leurs yeux, des délinquants… Rien de nouveau sur ce point. Mais cette manifestation a eu lieu à proximité de l’Assemblée nationale, et non au Trocadéro, à la Concorde ou à la Bastille… C’est-à-dire qu’elle a eu lieu là où se fait la loi. Inutile d’en rajouter. Ainsi, des saynètes se sont déroulées, des discours ont été tenus qui ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agissait d’une manifestation de pression sur l’institution judiciaire et sur le gouvernement, avec l’accord explicite de certains membres de ce dernier, à commencer par le ministre de l’Intérieur.

Voilà une chose nouvelle que la présence du ministre de l’Intérieur…
Le ministre de l’Intérieur est devenu un nouveau dirigeant syndical… Mais le ministère de l’Intérieur n’est pas le syndicat de la police, et Monsieur Darmanin ne peut pas être pas le dirigeant d’une organisation syndicale. C’est un piège, largement relayé par les médias, qui n’ont aucune retenue, qui cèdent à l’émotion. Avec une forme de duplicité d’ailleurs de la part d’un certain nombre de chaînes d’info en continu, parce que les choix ne sont jamais innocents. Tout cela fait qu’on ne sait plus très bien si c’est « la police » ou « des syndicats de policiers », si c’est un hommage aux victimes, aux policiers morts et à leurs familles ou si c’est une grande manifestation de protestation, comme il y en a eu dans les années 1982-83, lorsque les syndicats de police manifestaient place Vendôme contre Robert Badinter. Je me souviens que les lignes de service d’ordre se rompaient très facilement pour laisser passer leurs collègues en civil. C’était d’ailleurs aussi une époque où Gaston Defferre défendait des positions plutôt sécuritaires et où Robert Badinter défendait des positions libérales, au sens du libéralisme politique. Avec Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, on retrouve les mêmes figures qu’entre Robert Badinter et Gaston Defferre. Cette chorégraphie vaut ce qu’elle vaut, elle a déjà été largement utilisée… Mitterrand était un orfèvre quand il s’agissait de savoir à quel moment l’un ou l’autre rentrait et sortait. Et si vraiment la situation était insupportable sur le plan de la doctrine à défendre, on se doute que l’un s’effacerait au bénéfice de l’autre, ou demanderait sa démission. Ce n’est pas le cas, c’est une saynète. La confusion que cela engendre est très inquiétante.

L’autre nouveauté, majeure et gravissime, de cette manifestation c’est que des responsables politiques de gauche, nombreux, et de différentes organisations, du Parti socialiste au Parti communiste en passant par EELV, y ont pris part…
Il me semble que cela montre surtout l’extraordinaire faiblesse politique de la gauche française, une faiblesse qui se traduit par la crainte de la force, c’est-à-dire des policiers. Les policiers sont les seuls fonctionnaires, avec les militaires, à être des fonctionnaires armés. Et si, en l’espèce, ils ne l’étaient heureusement pas, on voit bien que la sollicitation de la force, la pression de la force se fait sentir facilement sur les socialistes. Des socialistes qui devraient y réfléchir parce qu’il y a bien une histoire de l’autoritarisme et de la rupture du droit au sein du socialisme français. C’est une évidence. La guerre d’Algérie, c’était le gouvernement Guy Mollet, c’était la S.F.I.O, la Section française de l’Internationale ouvrière. Il n’y a certes rien de comparable aujourd’hui, et il faut faire attention aux analogies mais quand on commence à dire que les policiers pourraient avoir un droit de regard sur les positions des magistrats… Oui, en effet, à Alger, durant la bataille d’Alger, lorsque la torture était systématiquement utilisée, le pouvoir civil comme les magistrats n’avaient plus aucun pouvoir sur la conduite de certains secteurs militaires. Le Parti socialiste unitaire (PSU) s’est créé contre cela. Le PS aussi d’ailleurs, il voulait faire litière de ce passé pénible. Nous n’en sommes pas là, heureusement, mais de glissement en glissement, si l’on ne tient pas fermement sur un certain nombre de constructions d’ordre constitutionnel, alors tout est permis. Ça aussi, c’est très inquiétant. Cela signifie aussi que la gauche, et pas seulement la gauche, les libéraux, les démocrates, n’ont pas réfléchi à la situation que traversait la France, la situation d’un pays en déclin.

De quand dater la dérive sécuritaire d’une gauche qui s’était pourtant en grande partie reconstruite, dans les années 70, contre les compromissions de la guerre d’Algérie ? Du fameux colloque de Villepinte en 1997 ?
On ne peut pas reprocher à la gauche d’avoir voulu disposer d’accords doctrinaires sur la question des politiques de sécurité. Je ne pense pas que l’on puisse reprocher à Lionel Jospin une soumission aux conceptions les plus autoritaires, les plus sécuritaires de l’ordre. Ce serait faux. D’ailleurs, c’est lui qui avait largement inspiré les politiques dites de proximité, dans lesquelles les policiers remplissaient autant une fonction d’encadrement bienveillant des jeunes des banlieues  que de stricte répression. Il était à mon avis utile que la gauche veuille se doter d’un corps de doctrines sur la sécurité car c’est une question qui se trouve, depuis le milieu des années 70, au cœur du dispositif des politiques néoconservatrices dans l’ensemble de l’espace occidental. Ainsi qu’en témoigne le rapport de la Commission Trilatérale, et sur ce point les conservateurs n’ont jamais bougé.

Ce fut aussi, par exemple, la théorie du carreau cassé…
Oui la théorie du carreau cassé et même, au début, les théories d’une « Crisis of Democracy », l’idée que la démocratie n’est plus gouvernable. Voilà la petite musique qu’on entend derrière ces rassemblements de policiers. Si l’on n’est pas très strict, à la fois intellectuellement et éthiquement, sur des questions d’ordre public alors en effet, c’est la glissade assurée. Sur ce point, Manuel Valls a défendu une politique de franchissement de tous les repères comme on ne l’avait jamais imaginé à gauche depuis longtemps. Mais dès lors que l’on désigne un ennemi et que l’on se déclare en guerre, le droit de la guerre se substitue au droit commun.

Cela veut dire que la gauche manque de figures, de prises de parole pour rappeler ces bornes, ces principes éthiques ?
La gauche ne peut pas se contenter de réciter des psaumes mille fois répétés… mais quelle est la part de foi, quelle est la part de conviction, quelle est la part de rafraîchissement même de la pensée ? La gauche n’est pas à la hauteur de ce qui se passe dans l’ensemble du monde développé ou du monde tout court. Elle répète, elle rabâche et régulièrement se donne bonne conscience en estimant que le social, c’est elle. C’est sympathique, mais ce n’est absolument pas productif d’idées ni de solutions pratiques et politiques aux questions contemporaines, nées avec les crises financières, de compétitive meurtrière des économies et enfin des crises sanitaire et climatique.

Pour en terminer avec cette manifestation, que penser des derniers épisodes : la plainte de Darmanin contre Audrey Pulvar puis l’annonce de son retrait ?
Darmanin est le relais empressé de certains syndicats de police, qui ont pris et occupent le ministère de l’Intérieur. Ils ne l’occupent pas au sens physique, comme des manifestants occupent un squat, non : c’est une occupation politique de cette fonction, le ministre de l’Intérieur devenant une sorte de relais docile des vœux exprimés par les plus conservateurs des syndicats de police. Donc on dépose plainte… Peut-être d’ailleurs que certains syndicalistes plus subtils auraient pu lui dire que ce n’était ni bon ni le moment ni le bon moyen… Mais comme Darmanin est docile, peut-être voudra-t-il en faire encore plus que demandé pour les satisfaire. C’est très dangereux parce que l’exécutif a donné la main, là il donne le bras, et bientôt c’est le corps entier qui risque d’être emporté. Et ce ne sont pas les protestations de Dupond-Moretti qui empêcheront quoi que ce soit. On voit bien que l’un est là pour calmer le tempérament libéral d’un certain nombre d’électeurs d’Emmanuel Macron, en disant « ce n’est qu’une parenthèse et je suis là ». Ce n’est pas sérieux. La politique, c’est une physique. À la fin, les forces qui soutiennent dictent leur loi à ceux qui sollicitaient leur soutien. Voila pourquoi Emmanuel Macron connait un conflit avec les électeurs, de gauche souvent, qui avaient appuyé sa candidature.

Cela dépasse, semble-t-il, le ministère de l’Intérieur : au détour d’un article de Mediapart, on a appris il y a quelques jours que le chef de cabinet de la ministre de la Recherche a participé à Nice à la manifestation de ces policiers municipaux qui ont déposé leurs menottes et que, par ailleurs, c’est lui qui est à l’origine de la polémique sur le supposé islamo-gauchisme qui « gangrène » les universités…
Cette manifestation de Nice, c’était pour protester contre la décision du Conseil constitutionnel à propos de la Loi Sécurité Globale. Constatons d’ailleurs qu’après les magistrats de l’ordre judiciaire, ce sont dorénavant les membres du Conseil constitutionnel qui font l’objet d’attaques : ces images de policiers municipaux qui déposent des menottes pour dire que le Conseil constitutionnel les empêche de travailler sont des images répugnantes dans une République. Alors, si en plus y participe un membre de cabinet important d’une ministre qui d’ailleurs se trouve être professeure à l’université de Nice, dont elle fut en plus présidente, ceci illustre bien la collusion entre la ligne politique que représente M. Estrosi et certains membres du gouvernement. Par ses déclarations, M. Estrosi a en effet toujours illustré le courant néoconservateur et sécuritaire que j’évoquais à l’instant. Il faut dire qu’à Nice, c’est la course aux extrêmes.

La première fois que nous nous sommes rencontrés, c’était en 2005 après la mort à Clichy-sous-Bois de Zyed et Bouna, dont vous étiez l’avocat des familles. Quel regard portez-vous sur la période qui s’est ouverte à ce moment-là, avec ces morts tragiques et l’émeute qui a suivi ? Où en sommes-nous en matière de relations entre la police et la population, en particulier les jeunes de certains quartiers ?
D’abord il faut rappeler que c’est une époque où Nicolas Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur, rompt radicalement avec la politique de Lionel Jospin en matière de police de proximité. Il a d’ailleurs eu des propos humiliants pour des policiers qui faisaient leur métier et qui pensaient le faire bien. Ensuite on peut dire qu’avec Clichy, on est vraiment dans une situation qui rappelle les opérations, non couronnées de succès d’ailleurs, du général Custer contre les tribus indiennes révoltées. Et pour certains, ça doit même rappeler l’action dans les mechtas. Je suis très dur sur ce point car s’il y a eu des émeutes urbaines en 2005, c’est parce que des enfants se sont précipités dans une centrale électrique et qu’on n’a rien fait pour les sauver. Deux morts, des enfants. Mais pourquoi les émeutes ? Parce que pendant une semaine, on a menti. On a menti publiquement sur ce qui s’était passé. Pour montrer combien tout cela est complexe, je pense même qu’on a menti à Dominique de Villepin et à Nicolas Sarkozy. Je pense, je suis certain que les services départementaux de police leur ont menti. Sur ce point, je pense que Sarkozy et Villepin ont été sincères l’un et l’autre. Sincères et abusés. Sincères, niais et instrumentalisés. J’en suis pour ma part convaincu, ne serait-ce qu’à la suite de la réunion que j’avais eue au ministère de l’Intérieur à Beauvau en présence de Nicolas Sarkozy et où, très embarrassés, les services de l’Inspection générale des services (IGS, aujourd’hui IGPN) indiquaient que oui, 17 fonctionnaires avaient été concernés par la course poursuite, sur place et par communication radio. Alors que pendant une semaine, il avait été affirmé qu’il n’y avait pas eu de course poursuite et qu’il s’agissait de délinquants… Il n’y a guère que le procureur Molins à l’époque pour avoir dit qu’il n’y a rien à leur reprocher sur le plan pénal.

Il ne s’agissait pas d’un complot du pouvoir politique, lequel s’était mis dans la main des policiers comme le pouvoir politique d’alors était dans la main des militaires d’Alger. C’est très important. C’est-à-dire que le pouvoir de la force, le pouvoir des policiers et militaires, est un pouvoir tel qu’à la fin, il s’impose aux toges. Comme dit Cicéron, cedant arma togae, les armes doivent céder aux toges. Et bien là, c’est les armes qui prennent des toges. On s’empare d’elles. C’est un jeu exceptionnellement dangereux de gens qui n’ont manifestement aucune histoire, aucune connaissance, aucune culture, qui jouent avec le pouvoir et ses leurres. C’est extrêmement dangereux. Je pense que si un jour nous avons des affrontements civils en France – il y en a qui en rêvent et qui les préparent – ce sera évidemment dans les banlieues, où l’on reprendra des opérations de type Custer ou de conquêtes de mechtas en Algérie. Je le pense.

Il faut donc être infiniment prudent. C’est pourquoi je fais beaucoup de reproches à la gauche. Et pas seulement à la gauche d’ailleurs : la démocratie n’est pas la propriété de la gauche, il y a beaucoup de démocrates hors de la gauche. Le libéralisme politique n’est pas une invention de la seule gauche. Montesquieu ou Tocqueville seraient ahuris de découvrir tout cela. Donc je dirais que c’est le rôle des démocrates, tout simplement, d’être très vigilants sur tout cela et de dire non. Quant à Emmanuel Macron, il est des sujets sur lesquels le « en même temps » n’est pas possible. Il faut faire des choix. Surtout dans des sociétés en grande difficulté comme la nôtre, où des écarts sont très vite commis, où un incident peut mettre le feu. Ce qui se passe est très grave.

Des incidents, il semble qu’il s’en produise beaucoup et souvent. Médiapart a récemment révélé comment les PV d’auditions avaient été trafiqués à Viry-Châtillon. S’agit-il d’un événement rare, exceptionnel ?
J’ai défendu les familles de pauvres gamins brûlés vifs à Clichy. J’ai reproché à la police de ne pas leur avoir dit « faites attention », pour les mettre à l’abri du danger. Je n’allais pas plus loin, j’étais en plein bon sens. Beaucoup de gens ont compris – et d’ailleurs la moitié des magistrats puisque la magistrature s’est coupée en deux là-dessus, et je veux ajouter que la première réaction des policiers enquêteurs a été implacable vis-à-vis de leurs collègues – ce qui est quand même significatif et qui montre quand même qu’heureusement, tout n’est pas fini. Mais, indépendamment de Viry-Châtillon, je vais vous confier une anecdote, que je rends publique ici pour la première fois. C’était lors de la première reconstitution de l’affaire de Clichy, avec le seul survivant. Il est là, 17 ans, brûlé, en mauvaise situation psychique, en présence du juge et doyen des juges d’instruction de Bobigny, Oliver Géron, un homme bien – et pour la première fois, mon jeune client va voir les policiers de la BAC, ceux qui le poursuivaient, qu’il n’avait donc jamais vus, puisque lui et ses amis s’engouffraient dans le poste électrique avec les policiers à leurs trousses. Et là, dans un moment de rage, mais de rage, de colère qu’il ne peut pas contrôler, il dit : « C’est vous, mais je vous reconnais. Vous êtes ceux qui sont toujours en train de me contrôler. » C’est-à-dire que les policiers qui avaient poursuivi les gosses, dont deux étaient morts, malgré tous les procès qui avaient lieu, malgré les campagnes de presse, les émeutes, ces policiers continuaient à harceler ce gosse en lui demandant sans arrêt ses papiers, en sachant très bien qui il était. C’est tout. Je ne vais pas aller plus loin. Ça, c’est l’apartheid. Point. C’est une manifestation d’apartheid.

Ce qui s’est passé dans les banlieues après ces émeutes ce fut aussi la mise en place d’un laboratoire en matière de politique de maintien de l’ordre, politique dont on a vu les effets ces dernières années lors des manifestations, notamment celles des Gilets jaunes…
Je suis parfaitement d’accord. Je n’avais pas une sympathie absolue pour les Gilets jaunes. Mais, simplement, j’avais parfaitement identifié les Gilets jaunes comme appartenant à des catégories sociales en souffrance, souvent provinciales, et rurales, à qui l’on impose une taxe sans même leur avoir demandé leur avis mais, au contraire, dans la méconnaissance totale de ce que peut être la vie en province et la nécessité de prendre une voiture. Et on leur laisse les Champs-Élysées, ce qui est une aberration. Alors pour le coup, si j’avais été ministre de l’Intérieur, j’aurais interdit de manifester sur les Champs-Élysées et offert d’autres lieux de Paris. C’est à se demander à quel degré de bêtise ou d’aveuglement était parvenu le cerveau du maintien de l’ordre, et c’est aberrant. Bref, on les frappe. J’avais d’ailleurs ironiquement remarqué à l’époque qu’il y avait une progression de l’égalité en France puisque pour la première fois, on frappait des Blancs comme on avait l’habitude de frapper des Noirs ou des Arabes… Mais en effet, ces événements sont très révélateurs d’une politique de maintien de l’ordre brutale et irréfléchie. Et une parole politique inaudible. Bref, il y a dans la police des comportements inacceptables… D’ailleurs est-ce la même chose dans la gendarmerie ? Non. Une politique républicaine devrait d’ailleurs veiller strictement à une distinction entre gendarmerie et police.

Oui, mais Nicolas Sarkozy a mis la gendarmerie sous les ordres de la police…
Nicolas Sarkozy aura été le grand perturbateur. C’est lui le fabricant de clivages, comme lors de son discours de Grenoble sur l’identité nationale ; l’homme de la confusion, c’est lui bien sûr.

Mais alors comment fait-on pour transformer la culture professionnelle de la police ?
Lors de la campagne d’Emmanuel Macron, puisque j’avais été l’un des co-animateurs sur ce sujet, j’avais proposé – et cela n’avait pas été retenu d’ailleurs, j’avais compris qu’il y avait des lignes très différentes dès la campagne elle-même –, notamment, que soit mis en place un corps de référents éthiques dans toutes les compagnies, dans tous les commissariats, etc. C’est-à-dire des fonctionnaires initiés à l’éthique, au dialogue, à la distance, à l’indépendance pour résoudre les questions de choix, pour faciliter des retours d’expériences, les bonnes conduites et les gestes inappropriés, etc. Il me semblait qu’un tel dispositif pourrait permettre une prise de maturité, une prise de conscience, et une transformation du comportement de la police que les policiers demandent des comptes à propos de l’usage que l’on fait de leur exposition au danger, quand la politique fait défaut et c’est normal. Il faut pouvoir leur répondre, et réinstaller le dialogue.

Il faut surtout se demander où est le danger dans la société. Et, de ce point de vue, il faut toujours revenir à la question sociale parce c’est elle qui nous permet de comprendre bien des choses. On a fait une loi sur le séparatisme… Si l’on retient le mot alors, dans ces conditions, la séparation est partout. Nous vivons dans des sociétés de séparation, des sociétés de consommation, de surcroît inégale en quantité et qualité, de marchés, dans lesquelles l’acte d’acheter et de vendre est presque devenu l’acte social majeur. Mais d’acheter et de vendre, ce n’est pas un projet. Le lien social, le lien éthique, le lien philosophique s’effacent au profit de la satisfaction quelquefois sommaire de ses besoins, au détriment de tous les autres. Il y a pourtant, on l’a bien vu lors de la pandémie, une grande demande d’altruisme. Mais les États n’y répondent pas, leurs préoccupations demeurent le PIB et la consommation. Tout cela nous ramène au choix ultra-libéral et sécuritaire qui fut fait en 1975 au moment de la Commission Trilatérale. Il y avait pourtant un choix alternatif possible, celui du MIT, celui du Club de Rome, de Boston. Robert Kennedy a fait toute sa campagne sur cette alternative, inspirant d’autres modes de production, de croissance, etc. Mais il a été assassiné avant même d’être désigné candidat démocrate en 1968. Ce sont les idées de la Trilatérale qui ont alors triomphé, son analyse consistant à déclarer qu’avec le renchérissement du prix du pétrole, l’État-providence était fini car trop coûteux, qu’il allait donc falloir substituer la sécurité à l’allocation sociale, les dépenses régaliennes de sécurité aux dépenses sociales.

Avec la réduction du rôle de l’État, les services publics et sociaux seront mis en grande difficulté et donc, pour que la société tienne bon, il allait falloir lui offrir en sécurité ce qu’on ne lui offrait plus pas par ailleurs. Ce qui veut dire aussi lui faire peur. L’idéologie de la sécurité, c’est l’idéologie entretenue de la peur. C’est le rêve de Goethe : « Quand je me lève et que je vois des pendus devant ma porte, je me rassure ». Il fallait donc d’une certaine manière rassurer les gens par l’exemple de la sanction, de la peine, voire de la souffrance. Tout le débat qui se réinstalle aujourd’hui sur la prison est typique d’une remise en cause des politiques de défense sociale nouvelle de la Libération, de la politique de de Gaulle et du Conseil national de la Résistance.

Cette phrase terrible de Goethe me semble parfaitement éclairer une évolution inquiétante : le désir de plus en plus partagé de punir ne semble plus l’apanage de la droite, on le trouve de plus en plus à gauche aussi.
La gauche et les intellectuels libéraux démocrates n’ont pas vu venir les choses. Ils n’ont pas compris ce qui s’est mis en place avec la Commission Trilatérale, le rapport de Michel Crozier, les travaux de Samuel Huntington, de Joji Watanuki – ce n’était pas n’importe qui, Raymond Barre, futur Premier ministre, participait aux travaux de la Trilatérale. Ce n’est pas du tout un complot, simplement le fait qu’à l’époque les conservateurs libéraux – Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski etc. – réfléchissaient, analysaient et bâtissaient une doctrine. Pendant que l’on était dans l’espace de la libération sociale, et des mœurs – et alors même que l’on aurait dû être un peu méfiants en voyant ce qui se passait aux États-Unis, notamment lors de la convention démocrate de 1968 – ces conservateurs, anticipant la nouvelle donne économique née du prix de l’énergie, travaillaient à faire avancer l’idée que la démocratie, c’était fini. C’est fondamental. Ce qui est en jeu derrière tout ça, et qui est le produit d’une longue réflexion, d’un long travail qui, d’ailleurs, occasionne quelquefois des disputes entre ceux qui partagent ce sentiment – « jusqu’où va-t-on mettre le curseur ? » – c’est le produit d’un très long travail qui a conduit néolibéraux et néoconservateurs sécuritaires à partager l’idée dorénavant profondément ancrée en eux qu’une certaine forme de démocratie est devenue un luxe coûteux. La question n’est donc pas simplement répression ou prévention mais démocratie ou pas. Voilà ce qui est en jeu, et ce que je reproche aux libéraux politiques comme à la gauche c’est de ne pas avoir préparé de réponse, autrement qu’avec des slogans. Comment analyser la crise de la société ? Macron lui-même l’analyse plutôt bien, puisqu’il dit clairement que le capitalisme financier vit son agonie… Mais attention : lors d’une agonie, on brûle, on se débat, on ne supporte pas… Attention à ce qui est en train de se passer. Je prends un autre exemple : à Madrid au début des années 1980, c’était la Movida ; maintenant, c’est la droite populaire et les franquistes qui vont gouverner… C’est une situation générale. Entretemps, on a eu Berlusconi, puis Salvini : un mussolinien en Italie. On a tout eu et on n’a pas encore tout vu. L’Europe est traversée par de multiples courants, il ne s’agit pas seulement de l’illibéralisme de l’Est, c’est aussi l’ordre sécuritaire néolibéral, avec une libido malsaine de détestation, d’ennemi intérieur, alors qu’ils ne s’étonnent pas ensuite si triomphent ceux qui ont dans leur histoire, et leur ADN, comme projet politique de vaincre les ennemis intérieurs et extérieurs. Car, en France, les enfants de Maurras sont nombreux. Les petits malins qui jouent avec la sécurité ou les propos de M. Darmanin – qui n’est ni malin et cultivé mais qui tout à fait dangereux – contribuent à faire monter le score du Rassemblement National à la prochaine élection.

Mais qu’est-ce qui différencie le Front national d’un certain nombre d’autres partis lorsque des responsables publics participent à une manifestation comme celle des syndicats de police devant l’Assemblée nationale ? On a l’impression que le réflexe contre le RN, c’est quasi pavlovien. Mais, je leur pose la question : qu’est-ce qui vous différencie sur le plan des idées ou du comportement ? Rien, la preuve : ils se retrouvent tous ensemble à écouter les propos antirépublicains d’un certain nombre de dirigeants et de syndicats de police. Le problème n’est d’ailleurs pas que des membres du RN participent également à la manifestation – laissons ça aux platitudes de Dupond-Moretti… Pas besoin de lire Gramsci pour savoir que les cerveaux sont d’abord occupés avant qu’on tienne les administrations et les institutions… C’est plutôt Merlin l’enchanteur, le seau et les balais vont se multiplier au point qu’ils vont leur échapper. C’est ce qui se passe : nous sommes face à un courant identitaire nationaliste qui vit d’ailleurs des difficultés du marché mondial, de l’organisation défectueuse du multilatéralisme, etc. On verra ce que la présidence Biden qui va peut-être à contre-courant de cela pourra offrir. Il s’agit de la seule éclaircie perceptible. C’est donc une question de régime.

Vous avez été l’un des premiers soutiens d’Emmanuel Macron en 2016 puis contribué à sa campagne en 2017. Parmi les raisons principales que certains, venus de la gauche, pouvaient avoir de soutenir ce candidat il y avait le libéralisme politique, sa conception de laïcité aux antipodes de celle d’un Manuel Valls, par exemple.
C’était une des raisons de mon choix.

Mais alors qu’en penser aujourd’hui ? Macron n’a pas du tout fait ce qu’il avait dit qu’il ferait, mais le contraire…
Non. Le problème, c’est que si les politiques mises en œuvre ne sont pas portées par des forces sociales et politiques, par des courants de pensée ou idéologiques très forts, elles ne pèsent rien. Je pense qu’Emmanuel Macron était sincère. Il vaut mieux d’ailleurs, pour son propre confort personnel, être un laïque ouvert, promouvoir la vie sociale des jeunes gens des quartiers… Mais les choix économiques qu’il a fait l’ont inéluctablement jeté dans les bras d’un capitalisme français qui n’a jamais été exagérément progressiste, c’est le moins. Et ces choix l’ont ainsi amené à affronter le peuple en direct, comme lors du mouvement des Gilets jaunes. Ce qui est terrible à propos des Gilets jaunes, c’est qu’on a voulu les faire passer pour des fascistes, des antisionistes ou je ne sais trop quoi… Les Gilets jaunes, c’est une partie du peuple, le peuple du Peuple – c’est une jacquerie du XXIe siècle. On les a traités comme les Jacques à leur époque, c’est-à-dire avec une brutalité sans nom, une brutalité de classe, il faut la qualifier comme elle est. Les bases sociales et les forces sociales – je suis désolé, c’est très, très rudimentaire – sont plus fortes que les meilleures volontés du monde, sauf pour des personnalités charismatiques, assez hautes, qui peuvent s’affranchir de leurs préjugés. Enfin, n’est pas Gandhi qui veut, n’est pas de Gaulle qui veut, n’est pas Churchill qui veut et n’est pas Mandela qui veut. On ne peut pas construire des politiques sur l’héroïsme personnel ou la vertu personnelle ou la sainteté de trop rares personnages. Sans base sociale et électorale rompue à la culture républicaine, en épousailles des valeurs de la République, tout dirigeant est très vite un bouchon de liège à la surface des flots, et c’est ce qui, je pense, est survenu en partie à Emmanuel Macron.

Mais cela n’était-il pas présent dès le départ, inscrit aussi dans la drôle de conception qu’il a, par exemple, de l’histoire de France, qui tient à la fois de l’Ancien régime et de la Révolution ?
Il n’y a pas de « en même temps » en histoire. Il y a des temps qui se succèdent avec la dominante d’un temps sur l’autre. Il y a des tendances, c’est autre chose.

Mais il a voulu donner à le voir.
Oui, parce que son projet n’est pas là, qu’il pense que l’histoire, l’idéologie, tout ça fait perdre du temps, qu’il s’agit d’être pratique, de résoudre les questions de manière pragmatique. L’histoire devient donc gênante, tout ce qui fait qu’on ne sait pas si dans la figure de Pétain il faut voir le traître de 1940 ou le général de 14/18. Ou Napoléon… D’ailleurs, j’ai remarqué qu’on avait reculé très vite à propos de Napoléon – j’ai adressé un texto pour mettre en garde a ce propos. A la fin de l’Empire des troupes cosaques russes bivouaquaient sur les Champs-Élysées, ce qui n’est pas le signe d’une très grande réussite stratégique de l’Empereur…

Il faut préciser, à la décharge de Macron et de ses prédécesseurs que notre système qui personnalise à outrance le pouvoir est absurde. Et, comme il n’y a pas de projet, nous sommes parfois obligés de nous agripper à des oripeaux dont on perçoit très vite qu’ils sont comme les vieux rideaux d’un théâtre poussiéreux qui n’a pas donné de représentations depuis longtemps : on s’accroche et le rideau tombe. Je pense que la France ne sait plus quel pays elle est depuis 1940. Il faut relire Marc Bloch, L’Étrange Défaite. Voilà la vérité, c’est profond, très ancien. Et ce pays connaîtra un inévitable déclin, provoquant de plus en plus de choses très détestables, sauf si l’on parvient à faire ce que les Allemands ont fait, c’est-à-dire une sorte de psychanalyse du pays sur lui-même, une analyse de sa psyché afin de savoir prendre les bonnes parts de lui-même et laisser les autres. Rien à voir avec un déboulonnage de statues.

Les Allemands ont compris qu’il fallait bloquer le démon de puissance de leur Nation, ils ont donc coalisé au sommet, créé des Länder, mis en place une justice indépendante, une presse libre, ils ont tout fait pour le bien démocratique.

Vu son âge, sa génération, Macron aurait dû poser la question : « Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». La France a beaucoup d’ingénieurs, beaucoup de chercheurs et s’il s’agit de produire un renouveau, de créer de la richesse pour venir en aide à quantité de gens, les petits-enfants des indigènes souvent, pour les aider à grandir dans ce pays, alors, plutôt que de célébrer Napoléon, c’est d’une vraie politique de la recherche, de l’éducation, de la culture, bref de l’accompagnement social solidaire et humain que nous avons besoin. De politiques scientifiques, sociales. Il ne faut pas se complaire d’être dans un command car le 14 juillet sur les Champs-Élysées… Mais tous ses prédécesseurs faisaient la même chose, ça c’est la Ve République. Deux seuls ont été à peu près au-dessus du lot : Mitterrand et de Gaulle, parce qu’ils en avaient tellement vu et connu l’un et l’autre… Et surtout ils avaient avalé la poussière de la débâcle, l’humiliation de la défaite. La question de la personnalisation du pouvoir et de la Constitution de la Ve République est, à mes yeux, un des éléments majeurs à régler pour qu’on sorte de ce qui est peu à peu en train de devenir un chaos. Or, les Français recèlent des potentialités considérables. Il s’agit de ne pas leur mentir.

En 2017, je pouvais entendre les raisons qui vous conduisaient à soutenir Emmanuel Macron, des raisons qui tenaient au libéralisme politique, à la critique de la déchéance de nationalité, à la conception de la laïcité qu’il défendait alors contre Manuel Valls et toute la droite. Mais j’avais déjà une crainte majeure : faire du clivage entre lui et le Front National le clivage structurant de la politique allait mécaniquement, du fait du jeu régulier de l’alternance dans nos démocraties, porter un jour l’extrême-droite au pouvoir.
C’est en effet un risque. Et c’est une facilité, dont ses prédécesseurs ne s’étaient pas privés. Mitterrand fut le premier : SOS Racisme, c’était ça, une facilité. Au lieu d’insérer dans l’encadrement politique du pays toutes les jeunes filles et jeunes garçons qui avaient organisé la marche des beurs, on a agité le chiffon noir du racisme ou du fascisme. Mais je crois qu’en 2022 l’échec politique de Macron ne sera pas son échec électoral. Je voterai pour lui, contre le RN mais ce sera un échec politique parce qu’en 2017 nous avions voté pour lui précisément afin de ne plus nous trouver dans la situation où l’extrême droite est au second tour de l’élection présidentielle. Car cela nous place dans le monde, et vis-à-vis de nous-mêmes, dans une situation terrible, c’est épouvantable. Emmanuel Macron n’est plus un projet politique, c’est un pass sanitaire. C’est tout. Il sera utilisé comme cela. Mais dans quelle situation allons-nous nous retrouver le lendemain de la prochaine élection ? Est ce qu’il y aura une majorité parlementaire ? Macron élu, il faut aller le voir dès le lendemain matin pour lui dire : « Monsieur le président, vous n’avez pas de majorité. Donc, s’il vous plait, vous allez laisser au Parlement le soin de conduire la politique du gouvernement. Vous n’avez pas d’autre solution. » Mais qui va avoir le courage, à gauche et à droite, de dire ce genre de choses ? Je pense que c’est à la gauche d’être motrice. Et les partis politiques, au lieu de gémir, de bavasser comme ils le font, ce qui est sans intérêt, feraient bien, effectivement, y compris à l’intérieur de la gauche, de la gauche et la droite, de demander à ceux qui ne veulent pas que le pays s’affronte – car quand même, des votes comme ça, ce n’est pas bon signe – : sur quoi pouvons-nous reprendre ? Il faut nous tourner vers ce qui fut l’inspiration de Moulin, de de Gaulle et du Conseil national de la Résistance, chercher ce qu’il y a de meilleur dans le pays. Se demander quelles sont les trois ou quatre grandes questions sur lesquelles, effectivement, on peut se retrouver pour que ce pays ne sombre pas, à commencer par refonder une économique compatible avec le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité.  Ils disent tous qu’ils sont patriotes, qu’ils le démontrent ! On ne peut pas accepter que toute une partie de la population verse dans un ravin de la relégation, ce qui se passe.  Et arrêtons de nous en remettre à l’Europe comme une dévote pourrait s’en remettre à la Vierge à Lourdes… ou ailleurs aux flots sacrés du Gange. Confions à l’Europe ce qu’elle peut faire et faisons le reste, peut-être le plus important.

Autre grand sujet, il faut lever l’hypothèque de nos guerres coloniales. Il va falloir, dans la lucidité – il ne s’agit pas d’enlever les statues, c’est ridicule – accueillir des regards nouveaux sur notre histoire, non seulement les accueillir mais les solliciter. Si nous voulons changer, nous avons besoin de ces regards différents de gens, dont les parents, dont les grands-parents étaient des indigènes. Et puis se voir sans cette complaisance qui paralyse. Le discours juste sur le fond et la forme d’Emmanuel Macron à Kigali est sur ce point une avancée.

Mais quand on pense qu’on butte même sur la panthéonisation de Gisèle Halimi…

C’est une grande bataille, dont je suis convaincu qu’il ne faut pas la lâcher. Gisèle Halimi s’en moquerait peut-être de voir ses cendres transférées au Panthéon, mais être l’occasion d’une grande dispute, cela lui plairait beaucoup. Et elle le mérite, parce qu’elle n’a jamais concédé. Femme, juive, avocate du droit des femmes, et quelle avocate… militante de l’anticolonialisme en Algérie, ou de détenus palestiniens, d’antifascistes grecs ou espagnols durant la dictature, une figure pour des milliers de jeunes avocats, quelle allure il aurait, son cortège rue Soufflot !


Sylvain Bourmeau

Journaliste, directeur d'AOC