Art contemporain

Pierre Huyghe : « J’espère que l’œuvre se situe en amont du langage »

Critique d'art

After UUmwelt, tel est le titre de la dernière exposition de Pierre Huyghe qui vient d’ouvrir, à la Fondation Luma (Arles), itération de Uumwelt présentée à la Serpentine Gallery (Londres) en 2018. L’artiste français apparaît toujours à la recherche d’une œuvre « sans réel début ni fin ». Dans un échange diachronique, il revient sur les différentes étapes de sa carrière, mettant en lumière les cohérences mais aussi la passionnante diversité qui la compose à travers sa sensibilité.

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Aujourd’hui exposé au sein du Parc des Ateliers de la Fondation Luma avec l’exposition After UUmwelt, Pierre Huyghe a construit une œuvre radicalement ouverte, qui traverse les méandres de notre monde contemporain, sa poésie et sa complexité. S’il est souvent présenté comme un artiste « de l’humain et du non-humain », force est de constater qu’il explore, depuis toujours, les questions de l’hybridation qu’il a pu, auparavant, placer au cœur de son propos avec les termes de variation ou de bifurcation.

Depuis l’analyse de la construction des narratologies (Blanche Neige, 1998), la mélancolie patente de Streamside Day (2005) et l’énigme comportementaliste de Human Mask (2014), l’art de Pierre Huyghe en général diffuse une forme d’insatisfaction à l’égard de ce désir de croire en un présent continu, politiquement institué. Ainsi, la recherche d’une œuvre « sans réel début ni fin » nous invite à perdre le fil du temps pour mieux en saisir sa polysémie.

After UUmwelt nous propose, aujourd’hui, de nous placer en face d’un surplus d’image, de voir un excédent qui n’est pas forcément « en trop » et qui en dit beaucoup sur notre temps. Il s’agit également de mettre le spectateur devant une œuvre en constante évolution et qui n’est jamais, à sa manière, la même. Revenir avec Pierre Huyghe sur une trentaine d’années de création est également une opportunité de regarder comment s’écrit le vocabulaire d’un artiste, les différences et parfois les répétitions qui composent la force d’une recherche au temps présent. Alors, dans cet itinéraire d’un auteur doué, vient aussi s’écrire une volonté de faire bégayer le récit pour mieux l’empêcher de se répéter.

 

On retrouve dans le circuit de référence de vos œuvres quelques travaux méconnus ou inattendus, comme ceux de l’intelligence artificielle, de la pensée architecturale moderniste, de la recherche en neuroscience ou encore sur Bruno Bettelheim et son ouvrage Psychanalyse des contes de fées. Que nous raconte ce faisceau étonnant de votre approche de la création contemporaine et des arts visuels ?
Ces références appartiennent à une époque et à un moment où je me suis intéressé aux structures narratives. Vous évoquez Bettelheim, il y avait aussi Vladimir Propp avec Travelling With Narratives et On the Origine of Stories, Evolution, Cognition and Fiction de Brian Boyd qui dévoile le lien entre développement cognitif et structures narratives, ou comment les histoires influencent notre comportement. Récemment, j’ai suivi l’arrivée des intelligences artificielles, qui en soi ne m’intéresse pas, mais la capacité d’apprentissage de la machine fait sens par rapport à ce que je travaille, le récursif plus que le répétitif. Ça amène à After UUmwelt (ndlr : projet présenté à la Fondation Luma, Umwelt signifie « environnement » en allemand).

Il me semble que l’œuvre The Host and the Cloud (2011) est une charnière dans votre parcours et j’aime le commentaire qu’en propose Emmanuelle Lequeux, « une créature fictive saisie en plein discours indirect libre, une révolution du mode romanesque du courant de conscience… ». Pouvez-vous me dire le rôle qu’a joué cette pièce dans la suite de votre œuvre, notamment dans la perception temporelle de l’exposition, du musée mais aussi dans la perception intrinsèque de l’œuvre ?
Effectivement, ça a été un moment important. The Host and the Cloud est un rituel qui se déroulait au sein du Musée, fermé, des Arts et Traditions Populaires à Paris. Pendant un an, j’ai mené une expérience live dans ce musée, avec un groupe de personne exposées à différentes influences culturelles qui, d’abord séparées, se reconfiguraient sans fin. En circulant librement dans le bâtiment, les personnes faisaient face accidentellement à différentes situations qu’elles pouvaient répéter, réinterpréter, d’autres les observant pouvaient ensuite rejouer leurs répétitions et ainsi de suite, produisant d’infinies bifurcations, variations. Il y avait au départ une règle très simple comme dans un algorithme et cela s’est déployé dans le temps de manière imprédictible. Par la suite, j’ai fait entrer des témoins qui ne pouvaient faire l’expérience live que d’une fraction infime de ce qui se déroulait, il y avait donc une perte systématique de l’expérience dans son ensemble. Cela a aussi été pour moi l’opportunité de trouver une méthode, la dimension imprédictible inhérente à l’œuvre, la façon qu’elle a de s’auto-générer, d’être indifférente au regard, de se modifier.

Pourquoi fallait-il que cela se passe dans un musée ?
Avec The Host and the Cloud je voulais réaliser une navigation dans le temps et au sein du Musée des Arts et Traditions Populaires. J’ai identifié certains évènements mineurs ou historiques des dernières années, des moments que j’ai séparés, comme si on avait décousu ce qui tisse un sujet avec son milieu, les liens de certains moments de l’histoire récente. Il s’agissait par-là, d’une certaine manière de « découdre » les liens narratifs. En cela, la coquille vide de ce musée était utile, elle pouvait être remplie, occupée de façon différente.

Dans le catalogue de l’exposition de 2013 au Centre Georges Pompidou, vous consacrez les premières pages aux Actions des années 1980 et à À part (86/87), des œuvres qui sont intimement liées à votre passage à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (Ensad) et aux résidences artistiques qui ont suivi et qui ont quasiment disparues par la suite. Pourquoi les avoir fait ressortir ici, dans ce catalogue ?
Le Centre Pompidou m’avait invité pour une rétrospective en 2013. Plutôt que d’échapper à ce format conventionnel d’exposition au sein d’une structure qui ne le permet pas vraiment, je l’ai conservé mais joué avec des hybridations de mon travail et avec des passés : comme avec l’exposition précédente qui était celle de Mike Kelley, en ré-utilisant la même scénographie de l’espace ou encore en déplaçant une sculpture publique abandonnée de Parvine Curie qui était dans la cour de mon lycée. Il m’a paru également intéressant de faire ressortir des œuvres comme À part ou Actions, car elles montrent des trajectoires qui sont en partie pertinentes aujourd’hui : le travail en collaboration avec d’autres artistes, l’hybridation de certaines productions. Les Actions (1985) étaient à leur manière des protocoles, elles apparaissaient et disparaissaient, étaient fugitives et cela reste présent dans ce que je fais.

Le milieu des années 1990 est marqué dans votre œuvre par une ouverture vers une pratique du « reenactement » et de la réinterprétation avec les œuvres Remake (1994), Conical Intersect (1996) ou encore Dubbing (1996) parmi d’autres. Ces œuvres semblent faire état d’une relation entre l’histoire de l’art, la mémoire d’un récit et la question de l’Auteur. Comment s’est construit dans votre parcours la relation entre ces différents points ?
Il y avait des idées, des images qui étaient fixées et je souhaitais les réactiver, en faire quelque chose qui puisse toujours se prolonger, se continuer, en faisant bégayer l’histoire, l’empêcher d’être stable par des répétitions, des remakes, des reenactements, jusqu’à de possible bifurcations. Cela pour faire apparaitre des variations, des écarts. Ce que je fais aujourd’hui prolonge la question de la variation, en trouvant des récursivités, des contingences et non plus une répétition, c’est une façon de générer des possibles, une recherche d’infinis dans des structures finies.

Il y aussi la question du lieu. Particulièrement pour Light Conical Intersect au sein de la rue Beaubourg.
Pour Light Conical Intersect le lieu était important mais c’est avant tout une question temporelle, le travail de Gordon Matta-Clark est comme répété par sa représentation, Matta-Clark avait découpé un trou, une perspective dans un building, quelqu’un en avait fait un film qui documentait l’évènement. J’ai projeté ce film à l’endroit même où Matta-Clark a réalisé l’œuvre, la nuit, sur le bâtiment ayant remplacé l’ancien, cela faisait une percée lumineuse avec le trou fantôme de Conical Intersect. Il y a confusion dans la linéarité temporelle, l’image est plus que la capture de l’évènement, elle le fait réapparaitre phénoménologiquement.

En 2011, à l’occasion de l’exposition Influenced à la galerie Esther Shipper, vous avez réalisé l’œuvre éponyme qui consistait en la présence d’un homme atteint du virus de la grippe dans l’espace d’exposition. Cette œuvre nous paraît forcément déconcertante aujourd’hui. Quel regard l’artiste du vivant que vous êtes porte-il sur la catastrophe sanitaire en cours ?
Je travaille avec la contamination, la propagation des choses, ce qui est perméable, poreux. Pour Influenced, il y avait une rencontre non consciente avec un évènement, un temps d’incubation et sa réapparition sous forme de symptôme. J’utilise les processus biologiques de la maladie comme une méthode d’exposition et un lien avec d’autres œuvres. Dans cette exposition, quelqu’un annonçait le nom des visiteurs à l’entrée de la galerie, l’exposition semblait vide, puis on pouvait découvrir qu’il y avait des insectes, des fourmis descendant depuis un trou dans le mur, des araignées à l’angle du plafond. Il y avait différents « Umwelten » qui ne se rencontraient pas. Il y avait un même monde mais chacun faisait l’expérience de ce monde de manière différente.

À propos du virus, on parle d’incertitude, de vulnérabilité, qu’il faudrait soudainement intégrer comme si elles n’avaient pas existé auparavant. Il y a une naïveté quant à notre capacité de nous séparer, alors qu’il n’y a que continuité et porosités entre humain et non-humain. Tant qu’il y aura séparation, il y aura incompréhension.

L’histoire d’un sentiment (1997) est le titre d’une de vos œuvres réalisées avec Philippe Parreno, c’est-à-dire le récit d’un personnage dont l’histoire est en train d’être écrite, de s’écrire. On retrouve dans cette démarche le personnage d’Annlee, que vous avez commandé puis mis en récit avec plusieurs autres artistes. Que signifie pour vous, à cette époque, cette démarche, le regard que vous portez sur la narration ?
Le projet No Ghost Just A Shell s’articulait autour d’un signe vide, Annlee, qui est d’abord une image, une image faible, et chacun des artistes invités parlait à travers ce signe, il s’agissait de faire émerger une imagination collective et de donner existence à ce signe en le chargeant d’un ensemble d’histoires, de procédures. Même s’il a une existence polyphonique, le personnage, le signe, l’ensemble de récits ne le complètent jamais. Il reste toujours énigmatique, en construction, constamment inachevé.

Oui, on retrouve ici cette idée d’une œuvre en perpétuelle construction, omniprésente dans vos travaux. Cette œuvre toute en variation et qui n’aurait ni véritable début, ni fin.
Oui. Nous avons décidé avec Philippe Parreno de donner le copyright au signe lui-même. C’était une première parce que, poétiquement, un signe pouvait s’appartenir, il détenait son propre copyright. À partir de là, on ne pouvait plus le représenter. En 2016, Tino Seghal, lors de son exposition Carte blanche au Palais de Tokyo, de manière intelligente, ne le représentait pas, mais faisait incarner ce signe par une jeune fille qui interprète Annlee, parlant des deux auteurs, disant qu’ils n’ont plus le temps de s’occuper d’elle.

Plus tard, en 2019, vous êtes directeur artistique de l’Okayama Art Summit avec un projet intitulé If The Snake qui met en lumière les collaborations entre un ensemble d’intelligences, d’entités biotiques ou abiotiques, hors d’une production de l’homme. Ainsi, une nouvelle fois, avec If The Snake, vous semblez contredire le rituel de l’exposition mais aussi ce qui serait un fil rouge de votre démarche artistique : la temporalité de l’exposition.
If The Snake a commencé par une fiction spéculative, qui pourrait être l’existence d’une exposition comme organisme vivant, une entité milieu, pas des choses dans un espace ni même une chose-espace, pas même une entité s’auto-générant ou générant une relation à son milieu mais une entité milieu se modifiant. Dans cette entité, différents aspects naviguent et sont en coopération, chaque aspect est une pratique singulière, qui émane d’un·e artiste invité·e à cette exposition. C’est un ensemble de méthodologies hétérogènes et j’ai essayé de voir s’il pouvait y avoir des perméabilités entre ces pratiques et des situations dans le temps, voir comment les œuvres pouvaient s’affecter, générer des possibles ou se modifier de façon interne.

Par exemple, Matthew Barney, que j’avais invité, jouant le jeu, m’a invité à produire une extension de mon travail par rapport à ce que lui avait présenté. Les acteurs de Tino Sehgal circulaient autour du serpent robotique et de la piscine couleur peau de Pamela Rosenkranz dans laquelle se reflétait une simulation de John Gerrard, Annlee parlait face à BOB de Ian Cheng. On passait du monde de Fabien Giraud et Raphaël Siboni qui avait envahi une école abandonnée à celui de Tarek Atoui, interrompu par la mort de moustiques électrifiés par une machine de Fernando Ortega. L’entité exposition produit des continuités, tisse une forme de rituel à l’échelle d’une ville. Ceci étant dit, l’ensemble des contraintes liées à un évènement type triennale nous rattrape, durées de présentation, visiteurs plutôt que témoins (que je voudrais avoir). Le monstre est vite dompté. Il faut inventer son propre milieu.

En visitant l’exposition UUmwelt à Arles, on peut trouver ce qui s’appelle parfois des « affinités électives », c’est-à-dire la rencontre de deux corps ou plutôt, comme le dirait les alchimistes médiévaux, une vertu selon laquelle deux substances « se recherchent, s’unissent et se retrouvent ».  J’ai trouvé dans cette exposition un écho à ce « concept » biologique qui serait actualisé en 2021. Est-ce qu’il s’agit ici d’une relecture du Manifeste du Cyborg (1984) de Donna Haraway ou la matérialisation d’une crainte, d’un cauchemar d’une symbiose entre la nature et le rebut ?
After UUmwelt à la Fondation Luma est la seconde itération de UUmwelt présentée à la Serpentine en 2018. Ce sont des idées qui s’imagent. Il s’agit d’une co-production d’imagination entre humain et machine. Une intelligence artificielle reconstruit les images mentales qu’une personne imagine. À partir d’une IRM du cerveau, un signal est récupéré puis confronté à un réseau antagoniste génératif (GAN), lequel tente de deviner les images.

Dans After UUmwelt, ce même algorithme continue à générer des images, cette fois en capturant le visage des visiteurs à l’aide d’une reconnaissance faciale, il incorpore l’environnement immédiat des écrans et génère un excès d’image. Un incubateur contenant des cellules cancéreuses, dont le développement varie en fonction de facteurs extérieurs, déclenche l’apparition de ce surplus d’images. De fait, ces images, en incorporant le milieu, vont s’incorporer dans le milieu, dans un double mouvement. Il y a poussée vers l’extra-diégétique.

Et les sculptures qui sont présentées devant en émanent ?
Ce sont plutôt des artefacts du champ imaginaire. Elles sont directement issues des images mentales, le même modèle d’apprentissage profond produit de manière volumétrique les données qui apparaissent et qui s’incorporent dans le milieu. Un échange mental se manifeste, devient tangible, et apparaît sous forme d’agrégat et de matériaux. Pour revenir à Donna Harraway, il y a quelque chose de queer avec ce travail. Le queer est hybridation, il trouble les catégorisations.

Est-ce que cela se révèle dans cette mise en tension entre individuation et indifférenciation que l’on retrouve dans votre travail ?
Avec The Host and the Cloud (2009) ou Untilled à la Documenta 13 (2012), il s’agissait en partie de dissoudre des dualismes, de trouver d’éventuelles continuités. Cela peut résonner avec la dimension politique du Manifeste du Cyborg de Donna Haraway qui ouvre sur la question du monstre organique et mécanique, lequel permet d’échapper aux assignations de genre et de penser autrement ces catégorisations. Mais il y a une tension qui apparaît entre individuation et indifférenciation, parfois un paradoxe, et c’est ce dilemme qui m’intéresse.

Vous ouvrez l’exposition UUmwelt à Londres avec cette phrase : « Je ne veux pas exposer quelque chose à quelqu’un, mais plutôt l’inverse : exposer quelqu’un à quelque chose. » De fait, la mise en espace au sein de la Grande Halle semble mettre en action ces quelques mots et poser symboliquement une sculpture, pardon, un artefact d’imaginaire, en spectateur de la pensée en mouvement. Est-ce cela « exposer quelqu’un à quelque chose » ?
Non ce n’est pas ça. Je pense que la distinction sujet-objet est obsolète. Dans les protocoles d’exposition conventionnel et d’hystérisation de l’objet, il y a dans un même mouvement d’ouverture, une séparation, elle assigne le sujet et l’objet à une définition. Ce que j’ai voulu dire par cette phrase, c’est qu’il n’y a plus d’un côté un objet et de l’autre un sujet qui serait lui-même définit par son rapport à l’objet. Dans la dissolution de ce dualisme, l’objet n’a pas besoin d’être hystérique, il n’a pas besoin d’être regardé pour exister. Et le sujet n’est pas lui-même obligé d’être spectateur, peut-être qu’il y est un témoin sauvage et actif.

De fait, dans cette redéfinition des rôles du spectateur, des objets mais aussi des « témoins » vous réinventer le rapport de la rencontre, à l’instant de l’exposition. Vous semblez y réinventer le temps de la visite, mais aussi du statut du spectateur. J’y vois un parallèle avec Marcel Broodthears et son Musée d’art Moderne – Département des Aigles mais aussi dans la lecture que ce dernier propose de Stéphane Mallarmé et de son Livre où il fait état de son rêve d’inclure « toute l’histoire dans une histoire ». Est-ce que je me trompe ?
Lorsque Mallarmé dans le Livre parle d’inclure toute l’histoire dans une histoire, il veut introduire toute la littérature dans un procédé d’écriture. Ce qui m’y intéresse c’est qu’il pose la question des infinis dans un fini. Je m’intéresse à des structures qui ont plusieurs modalités d’infinis, particulièrement à la simulation, et j’ai du mal avec l’idée d’un objet ou un évènement qui aurait une fin.

Ce sont effectivement ces enjeux que l’on retrouve au cœur des artefacts d’imaginaires qui sont présentés à Arles.
Peut-être. Ils ont une dynamique, ce sont des agrégats de matières biologiques et synthétiques qui continuent à se modifier durant le temps de l’exposition et ont une existence en dehors de celle-ci. De façon générale, cela ne veut pas dire qu’on élimine celui qui fait l’expérience, mais on le transforme, en changeant les conditions de la rencontre, en décentralisant les protagonistes. Pour exister, la chose doit être indifférente au regard et développer une capacité de sentience, devenir sensible, être affectée par son milieu, c’est ce vers quoi je tends.

Si on retrouve une part d’échange dans vos œuvres, notamment marquées par le collectif et parfois la co-création, force est de constater que la parole en est relativement absente. Quel rapport entretenez-vous avec le langage ?
Je pense que mon rapport avec le langage ne s’inscrit pas dans l’œuvre. J’espère que l’œuvre se situe en amont du langage, en amont d’un enfermement dans le langage. J’espère qu’elle est pré-langage. Cela ne veut pas dire que le langage n’a pas de place dans mon travail, au contraire. Je conçois mon travail avec le langage, la lecture, l’écriture, la formulation des idées me permet de passer à une forme d’acte. Mais ce n’est pas toujours déterminé par le langage.

 


Léo Guy-Denarcy

Critique d'art