Cinéma

Apichatpong Weerasethakul : « Tout est dans la présence »

Journaliste

Tourné en Colombie où il a réuni Tilda Swinton et Jeanne Balibar, Memoria a reçu le prix du jury à Cannes en juillet dernier. À quelques jours de sa sortie sur les écrans et avant que ne se termine « Periphery of the Night », l’exposition qu’il a conçue pour l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, Apichatpong Weerasethakul évoque avec minutie ses pratiques artistiques multiples.

Cela s’est passé l’été dernier. Il était environ 17h45 ce 15 juillet, le 74e Festival de Cannes allait bientôt se terminer, et le générique de Memoria, le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul, finissait de défiler sur l’écran géant du Grand Auditorium Lumière, la salle la plus vaste du Palais des festivals. Saluant le réalisateur, ses interprètes et de son équipe, les applaudissements ont été immédiatement très nourris, ce qui n’a rien de rare à la fin de la présentation d’un film en compétition officielle.

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Plus inhabituelles sont bientôt apparues l’intensité et surtout la durée de l’ovation, qui semblait ne plus vouloir s’arrêter. Le public saluait un film magnifique, bien sûr, mais c’était aussi comme si, en ce moment si particulier où le cinéma esquissait une renaissance après la longue immobilisation due au Covid, tous les présents, artistes, professionnels, officiels du Festival, critiques, spectateurs en tous genres célébraient une très haute idée de ce que peut être un film, sa richesse, son ambition, sa délicatesse, son étrangeté et sa pertinence. Tandis que le toujours discret « Joe » Weerasethakul frémissait d’embarras d’être l’objet d’une telle ferveur, on put songer alors, aussi étrange que cela puisse paraître, que cette communauté s’applaudissait aussi elle-même, applaudissait l’ensemble des conditions qui rendent possible l’existence d’une œuvre aussi remarquable que Memoria – les festivals et la présence d’un public faisant partie de ces conditions.

Mais incontestablement, ce moment exceptionnel rendait aussi justice à une œuvre exceptionnelle. Avec Memoria, nouveau temps fort dans l’œuvre du cinéaste et artiste visuel thaïlandais consacré à Cannes avec la Palme d’or d’Oncle Boonmee en 2010, l’auteur de Blissfully Yours, de Tropical Malady, de Syndromes and a Century et de Cemetery of Splendour, également concepteur de grandes propositions muséales, dont « Periphery of the Night » qui se tient à l’Institut d’art contemporain de Villeurb


[1] Lui aussi intitulé Memoria, un livre magnifique publié en anglais par les éditions Fireflies Press (Berlin) donne accès à un considérable ensemble de documents de travail (pages de scenarios, carnets, documents, photos de repérage et de tournage, dessins,…) ayant accompagné la création du film.

[2] Distribué en France sous le titre Vaudou, ce film situé aux Caraïbes raconte une histoire centrée sur la possible transformation en zombie d’une femme blanche nommée Jessica Holland, à laquelle le personnage joué par Tilda Swinton doit son nom.

[3] Ancien directeur du Festival de Rotterdam, le producteur britannique Simon Field a produit, outre des films de Tsai Ming-liang et de Mahamat Saleh Haroun, tous les films d’Apichatpong Weerasethakul depuis Syndromes and a Century en 2006, ainsi que les propositions de celui-ci pour les galeries et les musées.

[4] Le cinéaste japonais Shinsūke Ogawa (1935-1992) est considéré comme le chef de file d’un mouvement de cinéma documentaire engagé, au plus près des luttes étudiantes puis paysannes des années 1960-1990.

[5] A rubber band snaps on a drum
a loud bang
a metallic ball shatters a rock to pieces
liberating its memory
Smoke clouds over a burning ship
A tint of orange before nightfall
echoes a daybreak that looms like the face of a tiger

He turns towards the periphery of the night
With the eyes closed
I walk the dream

(Un élastique claque sur un tambour / une détonation / une balle métallique réduit un rocher en morceau / libérant sa mémoire / Des nuages de fumée au- dessus d’un navire en feu / Une teinte orange avant la tombée de la nuit / fait écho à l’aube menaçante telle la tête d’un tigre / Il se tourne vers la périphérie de la nuit / Les yeux fermés / Je parcours le rêve)

[6] Présentée notamment au Théâtre de Nanterre Amandiers en 2016 dans le cadre du Festival d’automne.

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Notes

[1] Lui aussi intitulé Memoria, un livre magnifique publié en anglais par les éditions Fireflies Press (Berlin) donne accès à un considérable ensemble de documents de travail (pages de scenarios, carnets, documents, photos de repérage et de tournage, dessins,…) ayant accompagné la création du film.

[2] Distribué en France sous le titre Vaudou, ce film situé aux Caraïbes raconte une histoire centrée sur la possible transformation en zombie d’une femme blanche nommée Jessica Holland, à laquelle le personnage joué par Tilda Swinton doit son nom.

[3] Ancien directeur du Festival de Rotterdam, le producteur britannique Simon Field a produit, outre des films de Tsai Ming-liang et de Mahamat Saleh Haroun, tous les films d’Apichatpong Weerasethakul depuis Syndromes and a Century en 2006, ainsi que les propositions de celui-ci pour les galeries et les musées.

[4] Le cinéaste japonais Shinsūke Ogawa (1935-1992) est considéré comme le chef de file d’un mouvement de cinéma documentaire engagé, au plus près des luttes étudiantes puis paysannes des années 1960-1990.

[5] A rubber band snaps on a drum
a loud bang
a metallic ball shatters a rock to pieces
liberating its memory
Smoke clouds over a burning ship
A tint of orange before nightfall
echoes a daybreak that looms like the face of a tiger

He turns towards the periphery of the night
With the eyes closed
I walk the dream

(Un élastique claque sur un tambour / une détonation / une balle métallique réduit un rocher en morceau / libérant sa mémoire / Des nuages de fumée au- dessus d’un navire en feu / Une teinte orange avant la tombée de la nuit / fait écho à l’aube menaçante telle la tête d’un tigre / Il se tourne vers la périphérie de la nuit / Les yeux fermés / Je parcours le rêve)

[6] Présentée notamment au Théâtre de Nanterre Amandiers en 2016 dans le cadre du Festival d’automne.