Hadjithomas & Joreige : « On ne fait pas des images de guerre, on montre ce que la guerre fait aux images »
Pendant la guerre civile libanaise dans les années 80, Joana Hadjithomas a échangé tous les jours lettres, photos, cahiers et cassettes audio avec sa meilleure amie partie vivre à Paris. À partir de cette correspondance devenue formidable archive, elle a imaginé avec Khalil Joreige leur nouveau film, Memory box, puissant voyage dans les méandres mémoriels d’une famille, d’un pays, et dans l’histoire des images. Occasion de parler avec eux du Liban d’hier et d’aujourd’hui, de mémoire et d’histoire, d’art et de politique, et de leur façon d’envisager leur travail où forme et fond constituent un tout organique. SK

Memory box est construit à partir de votre mémoire, y compris au sens de traces concrètes telles que vos photos, vos cassettes et cahiers d’adolescence qui figurent dans le film.
Joana Hadjithomas : Ce qui a déclenché ce film, c’est que j’ai retrouvé après vingt-cinq ans ces cahiers, cassettes et lettres que j’avais envoyés à une amie très proche. Elle avait dû quitter le Liban dans les années 80 pour aller vivre en France, en raison de la guerre civile. On s’était juré de s’écrire tous les jours, moi de Beyrouth, elle de Paris. Et on s’est écrit en effet tous les jours, de 1982 à 1988. On s’est ensuite perdues de vue pendant vingt-cinq ans, puis, lors de nos retrouvailles, nous avons constaté que nous avions toutes les deux tout gardé cette correspondance. En retrouvant cette matière, ces cahiers, ces cassettes, on s’est remises en contact avec un tas d’histoires oubliées, de détails précis… C’était comme ouvrir la boite de réminiscences, tout est revenu. On avait là des archives exceptionnelles par leur régularité et leurs mille détails concrets. Ça ne racontait pas nécessairement les évènements libanais avec une rigueur d’historien mais ça disait bien les effets que ces évènements avaient provoqué dans nos vies. Quand nous avons retrouvé ces archives, Khalil et moi avions une fille, Alia, qui avait l’âge que j’avais au moment d’écrire ces archive