Cinéma

Claire Denis : « Le cinéma peut faire se rencontrer des gens très différents »

Journaliste

Deux films de Claire Denis seront à l’affiche en 2022, Stars at Noon et Avec amour et acharnement, ce dernier en salles ce 31 août. Comme deux pôles de l’ensemble d’un travail de cinéma qui, depuis le premier long métrage, Chocolat, en 1988, comporte une dimension très intime, au plus proche des émotions physiques, et une attention sans équivalent dans le cinéma français aux formes d’existences non eurocentrées, non occidentales. Deux propositions nouvelles d’adaptation, d’un roman de Denis Johnson pour l’un et d’un roman de Christine Angot pour l’autre. Avec, toujours, des mises en scène déplaçant les repères, esquivant ou questionnant les clichés, des compositions ouvertes, inquiètes, troublantes.

Dix jours plus tôt, lors de la cérémonie de clôture du Festival du Cannes, elle a reçu le Grand Prix du jury pour son vingtième long métrage, Stars at Noon. Cette rencontre avec Claire Denis dans un café parisien se produit au terme d’une séquence particulièrement intense. La cinéaste a en effet enchaîné la réalisation et la postproduction de deux films, Avec amour et acharnement, qui obtenu l’Ours d’argent de la meilleure réalisation au Festival de Berlin et qui est sorti dans les salles françaises le 31 août, et l’adaptation du roman de Denis Johnson situé au Nicaragua mais tourné au Panama, dans des conditions particulièrement difficiles, présenté en compétition officielle à Cannes.

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Le premier film, inspiré d’un livre de Christine Angot, raconte une crise d’un couple de quinquagénaires parisiens (Juliette Binoche et Vincent Lindon) lorsque la femme recroise un ancien amant (Grégoire Colin). Stars at Noon accompagne la tentative désespérée d’une jeune journaliste américaine (Margaret Qualley) pour sortir du Nicaragua devenu une dictature et qui, sans un sou, se prostitue mais éprouve un sentiment amoureux très intense pour un Anglais (Joe Alwyn) au statut ambigu, en qui elle voit son possible sauveur.

Ces deux films représentent deux pôles de l’ensemble d’un travail de cinéma qui, depuis le premier long métrage, Chocolat, en 1988, comporte une dimension très intime, au plus proche des émotions physiques, et une attention sans équivalent dans le cinéma français aux formes d’existences non eurocentrées, non occidentales. Le parcours personnel de Claire Denis depuis son enfance en Afrique, sa formation au cinéma en partie menée en Amérique aux côtés notamment de Wim Wenders et de Jim Jarmusch, sa sensibilité particulière à des propositions formelles et narratives venues d’Asie participent de cette trajectoire singulière. Elle n’exclut pas la proximité avec les grands auteurs européens, et notamment français, de la part de la réalisatrice de Jacques Rivette


[1] Dirigé par Daniel Ortega, ce mouvement a été la principale force d’organisation de la lutte populaire contre la dictature de la famille Somoza soutenue par les États-Unis, lutte qui s’est transformée en insurrection armée dans tout le pays en 1979 et qui a entrainé le renversement de Somoza. En 1984, le FSLN remporte une victoire massive aux élections, les États-Unis organisent une contre-insurrection armée et instaurent un blocus strict du pays. Évincé du pouvoir en 1990, Ortega y revient en 2006 et dirige depuis le pays de manière dictatoriale avec son épouse Rosario.

[2] Dans le roman de Denis Johnson, les personnages principaux n’ont pas de nom.

[3] En 2014, Claire Denis a réalisé le court métrage Voilà l’enchaînement sur des dialogues de Christine Angot, qui a ensuite été la scénariste de Un beau soleil intérieur en 2017.

[4] En 1978, Koltès a voyagé au Nicaragua et dans plusieurs autres pays d’Amérique centrale ainsi qu’au Brésil. Plusieurs de ses œuvres, dont La Nuit juste avant les forêts qui s’intitulait initialement La nuit juste avant les forêts du Nicaragua, ainsi que sa correspondance, conservent les traces de ce périple.

[5] Cinéaste et producteur, Davy Chou a réalisé auparavant Le Sommeil d’or (2012) et Diamond Island (2016), et produit Last Night I Saw You Smiling (le documentaire dont parle Claire Denis) et la fiction qui en est inspirée, White Building, sorti en 2020, tous deux de Kavich Neang.

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

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Notes

[1] Dirigé par Daniel Ortega, ce mouvement a été la principale force d’organisation de la lutte populaire contre la dictature de la famille Somoza soutenue par les États-Unis, lutte qui s’est transformée en insurrection armée dans tout le pays en 1979 et qui a entrainé le renversement de Somoza. En 1984, le FSLN remporte une victoire massive aux élections, les États-Unis organisent une contre-insurrection armée et instaurent un blocus strict du pays. Évincé du pouvoir en 1990, Ortega y revient en 2006 et dirige depuis le pays de manière dictatoriale avec son épouse Rosario.

[2] Dans le roman de Denis Johnson, les personnages principaux n’ont pas de nom.

[3] En 2014, Claire Denis a réalisé le court métrage Voilà l’enchaînement sur des dialogues de Christine Angot, qui a ensuite été la scénariste de Un beau soleil intérieur en 2017.

[4] En 1978, Koltès a voyagé au Nicaragua et dans plusieurs autres pays d’Amérique centrale ainsi qu’au Brésil. Plusieurs de ses œuvres, dont La Nuit juste avant les forêts qui s’intitulait initialement La nuit juste avant les forêts du Nicaragua, ainsi que sa correspondance, conservent les traces de ce périple.

[5] Cinéaste et producteur, Davy Chou a réalisé auparavant Le Sommeil d’or (2012) et Diamond Island (2016), et produit Last Night I Saw You Smiling (le documentaire dont parle Claire Denis) et la fiction qui en est inspirée, White Building, sorti en 2020, tous deux de Kavich Neang.