Cinéma

Castaing-Taylor et Paravel : « Nous avons zéro degré de séparation avec le réel »

Journaliste

Nouvel opus des cinéastes Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, De Humani Corporis Fabrica plonge littéralement dans les entrailles des corps brisés qui peuplent l’hôpital, cet autre corps qu’ils auscultent à leur manière, en anthropologues et témoins attentifs à la complexité du monde.

Leur nouveau film sort en salles le 11 janvier, après avoir été un des événements du dernier Festival de Cannes (à la Quinzaine des réalisateurs). Comme leurs précédentes réalisations, De Humani Corporis Fabrica ouvre des chemins inédits, tant par ses conditions de tournage que par l’expérience proposée aux spectateurs ou à la manière dont il envisage la place du cinéma vis-à-vis du réel.

Évitant de se définir comme cinéastes tout autant que comme scientifiques, Véréna Paravel and Lucien Castaing-Taylor déploient depuis plus de dix ans de nouvelles voies pour le documentaire, en phase avec les avancées de la pensée contemporaine héritée du pragmatisme, incarnées notamment par Bruno Latour, et de nature à ouvrir d’autres perceptions et d’autres compréhensions du monde que nous habitons. Ils avaient déjà réalisé des films, chacun de son côté – parfois avec quelqu’un d’autre. Sweetgrass de Lucien Castaing Taylor (2009) comme Foreign Parts de Véréna Paravel (2010) témoignaient de leur capacité à voir autrement.

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Ensemble, lui qui a fondé et dirige le programme d’études d’anthropologie visuelle Sensory Ethnography Lab (SEL) à l’université de Harvard et elle qui en a été l’étudiante avant d’y devenir enseignante, n’ont cessé de développer des méthodes de recherche par les moyens du cinéma – image, son, montage. L’extraordinaire expérience sensorielle et cosmique de Leviathan (2012), qui a connu un succès mondial, est devenu un manifeste pour de nouvelles manières de représenter la complexité du monde.

Mais il n’est pas qu’une réponse possible, et depuis, somniloquies ou Caniba ont exploré d’autres voies, tout aussi originales et fécondes. Le premier est une proposition à partir des enregistrements d’un homme qui parlait en dormant, enregistrements effectués durant les années 60 et conservés à Harvard qui ont été ensuite souvent utilisés par des chercheurs en psychologie. Les moyens du cinéma, notamment la vision de multiples corps endormis pendant qu’on entend de


[1] Sur la pratique de l’anthropologie partagée par Rouch, lire par exemple « La ciné-transe, une pensée fertile » de Marc-Henri Piault

[2] De Humani Corporis Fabrica est un ensemble de livres sur l’anatomie humaine écrit par Andreas Vesalius (1514-1564) et publié en 1543, qui est considéré comme un tournant dans la compréhension du corps humain et l’établissement de la médecine moderne. Basé sur la pratique de la dissection, l’opus magnum de Vésale présente un examen minutieux des organes et de la structure complète du corps humain, y compris des gravures sur bois utilisant des techniques nouvelles pour l’époque, capables de fournir des illustrations supérieures à toutes celles produites précédemment.

[3] François Crémieux, également membre du comité de rédaction de la revue Esprit, est aujourd’hui directeur des Hôpitaux de Marseille.

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Notes

[1] Sur la pratique de l’anthropologie partagée par Rouch, lire par exemple « La ciné-transe, une pensée fertile » de Marc-Henri Piault

[2] De Humani Corporis Fabrica est un ensemble de livres sur l’anatomie humaine écrit par Andreas Vesalius (1514-1564) et publié en 1543, qui est considéré comme un tournant dans la compréhension du corps humain et l’établissement de la médecine moderne. Basé sur la pratique de la dissection, l’opus magnum de Vésale présente un examen minutieux des organes et de la structure complète du corps humain, y compris des gravures sur bois utilisant des techniques nouvelles pour l’époque, capables de fournir des illustrations supérieures à toutes celles produites précédemment.

[3] François Crémieux, également membre du comité de rédaction de la revue Esprit, est aujourd’hui directeur des Hôpitaux de Marseille.