Art contemporain

Fabrice Hyber : « Quand on refuse de donner aux vivants, on meurt »

Critique

Sise dans un mini-parc arboré, la Fondation Cartier accueille une autre forêt : « la Vallée » de Fabrice Hyber, un territoire que l’artiste plante et cultive depuis 1997 dans le bocage vendéen. Celle-ci n’est pas directement présente bien sûr, seulement évoquée par une soixantaine de tableaux dont vingt réalisés spécifiquement pour cette monographie. Où il est question de don, d’incessante mutation et de la juste mesure de la non-intervention, en art comme en sylviculture.

Fabrice Hybert a supprimé la dernière lettre de son patronyme à l’âge de 42 ans, témoignant ainsi qu’il était, sans T, « en pleine santé ». On suppose que cela facilitait aussi toute une série de jeux de mots mêlant « cyber » et « hyper », deux préfixes qui lui conviennent à merveille et dont il a tiré l’exposition « Hybermarché » au Musée d’Art moderne de Paris (1995) ou le jeu C’hyber Rallye en 2001. Quand on le rencontre, un matin de février dans son atelier-maison parisien (il a dessiné jusque sur le mur du salon), on ne peut s’empêcher de le trouver en effet « hyberactif », parlant rapidement, pensant encore plus vite et, surtout, ne cessant de griffonner ou dessiner pendant tout le temps de l’entretien.

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Fabrice Hyber, c’est l’ensemencement tous azimuts. Son Homme de Bessinnes (1995), par exemple, est un humain-fontaine vert qui crache, pisse ou éjacule par tous les trous et quand on en installe plusieurs à la fois, c’est une immense et joyeuse partouze fertilisatrice. Cette sculpture fait aussi partie des POF, « Prototypes d’objet en fonctionnement » que l’artiste définit comme pouvant provoquer chez les visiteur·es d’exposition « des facultés, des aptitudes ou des attitudes inattendues. » Un des plus connus est sans doute le POF n°65, un ballon carré qui permet de réinventer les règles du football. L’Ouvrapo (OUvroir d’ARt POtentiel) n’existe pas mais Fabrice Hyber pourrait en être le chef et il est déjà maître en Oujapo (OUvroir de JArdinage Potentiel) : depuis 1997, il expérimente la création d’un écosystème forestier dans sa propriété de Vendée, sous le nom de « La Vallée ».

C’est l’objet de cette exposition à la Fondation Cartier, à Paris, qui rassemble essentiellement des paysages d’arbres dessinés et peints. Dans ces tableaux aux couleurs simples et translucides, il met en scène des circulations impossibles entre l’humain et le non humain : ainsi dans Grain de sable (2022) où les mots « sand » et « seed » (en français « sable » et « graine »)


Éric Loret

Critique, Journaliste