Numérique

ChatGPT : « Le futur sera très différent du présent »

Historien

Même pour les amateurs de science-fiction, ChatGPT apparaît peut-être comme une étonnante concrétisation. L’historien Pierre-Antoine Marti s’entretient directement avec l’agent conversationnel au sujet de son thème de recherche, la littérature d’anticipation. Que dit ChatGPT lui-même de la SF ? du télécran de 1984 ? et des questions éthiques qu’il soulève ? Une conversation aux allures de mise en abyme aussi fascinante que déconcertante.

L’irruption de ChatGPT dans l’actualité, et pour beaucoup dans notre quotidien, fait partie de ces phénomènes à résonances science-fictionnelles dont nous devenons coutumiers. J’y suis particulièrement sensible depuis que j’ai initié ma thèse en histoire sur le thème de la littérature d’anticipation[1]. J’utilise et étudie ChatGPT dans un cadre professionnel, et je joue parfois avec à titre personnel. Je n’avais étrangement pas pensé à m’entretenir avec lui au sujet de mon travail de recherche universitaire, peut-être parce que l’idée était trop évidente, ou trop bizarre, mais lorsqu’elle m’est venue, je m’y suis immédiatement attelé.

On critique souvent l’intelligence artificielle pour ses « biais », mais il faut admettre ici que cet entretien est lui-même biaisé. Je n’ai pas questionné ChatGPT pour me divertir, chercher des informations ou m’aider à trouver des idées : je l’ai questionné pour le tester, pour mener avec lui une sorte d’expérience linguistique et philosophique.

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J’étais d’abord curieux de savoir ce qu’il avait à dire sur mon sujet de recherche, notamment pour voir dans quelle mesure il le maîtrisait et comment il le traitait, et pour considérer ses réponses avec un regard universitaire. On s’alarme beaucoup du fait que ChatGPT et les agents conversationnels de son calibre seraient sur le point de bouleverser notre rapport au savoir et à la création : qu’en était-il dans mon domaine ? Il s’est rapidement avéré que cette préoccupation avait un intérêt limité, mais que, par contre, la science-fiction offrait un excellent terrain de jeu pour comprendre et éprouver cette IA d’un nouveau genre.

Au fil de cet entretien dont j’ai essayé de peser chaque « prompt », chaque « invite », comme manifestement il est déjà convenu d’appeler ces demandes ou remarques soumises aux IA dites génératives, j’ai exposé ChatGPT à de nombreuses références SF qui le concernaient au premier chef puisque, en un sens, elles l’ont annoncé, peut-être même suscité, et ont


[1] À l’EHESS, au sein du Groupement interdisciplinaire sur l’histoire du littéraire (Grihl). Voir pour plus d’informations. La direction de ce travail est assurée par Dinah Ribard.

[2] Ces deuxième et troisième questions étaient de vraies « colles », inspirées de l’amalgame fait dans la première réponse entre littérature d’anticipation et science-fiction. Le rapport ambigu entre littératures d’anticipation et de science-fiction est important dans mes travaux, qui me poussent à penser qu’il n’y a pas d’équivalence totale entre elles. Il est vrai que la différence est « subtile », mais à mon sens elle n’est pas correctement exprimée par ChatGPT. L’anticipation littéraire n’est pas à proprement parler un genre mais un procédé narratif : il s’agit de raconter une histoire qui se passe dans le futur. La science-fiction est bien un genre, c’est-à-dire une catégorisation éditoriale. Si beaucoup d’œuvres de science-fiction se déroulent dans le futur, bien d’autres ne s’y aventurent pas. À l’inverse, beaucoup de romans d’anticipation ne sont pas publiés dans des collections ou maisons spécialisées, pensons par exemple à certains textes de Houellebecq ou à La Route, de Cormac McCarthy. Mais avec le temps et à l’usage, science-fiction et anticipation sont plus ou moins devenues synonymes dans le langage courant, et ChatGPT se fait l’écho de cette confusion. Ce sujet peut sembler anecdotique, mais il ne l’est pas : l’agent conversationnel déploie un argumentaire bien articulé et très affirmatif, mais ce qu’il écrit n’est pas vraiment valable (et donc, faire de la recherche demeure une activité qui en vaut la peine, ne serait-ce que pour alimenter les futures réponses de ChatGPT). Une fois ce sujet traité, l’exploration de la dimension science-fictionnelle de l’IA s’est avérée un exercice plus intéressant.

[3] HAL est plutôt une création commune d’Arthur C. Clarke et de Stanley Kubrick, qui ont longuement travaillé ensemble à l’élaboration du scénario du film 2001, lui aussi so

Pierre-Antoine Marti

Historien, Doctorant à l'EHESS (CRH - Grihl)

Notes

[1] À l’EHESS, au sein du Groupement interdisciplinaire sur l’histoire du littéraire (Grihl). Voir pour plus d’informations. La direction de ce travail est assurée par Dinah Ribard.

[2] Ces deuxième et troisième questions étaient de vraies « colles », inspirées de l’amalgame fait dans la première réponse entre littérature d’anticipation et science-fiction. Le rapport ambigu entre littératures d’anticipation et de science-fiction est important dans mes travaux, qui me poussent à penser qu’il n’y a pas d’équivalence totale entre elles. Il est vrai que la différence est « subtile », mais à mon sens elle n’est pas correctement exprimée par ChatGPT. L’anticipation littéraire n’est pas à proprement parler un genre mais un procédé narratif : il s’agit de raconter une histoire qui se passe dans le futur. La science-fiction est bien un genre, c’est-à-dire une catégorisation éditoriale. Si beaucoup d’œuvres de science-fiction se déroulent dans le futur, bien d’autres ne s’y aventurent pas. À l’inverse, beaucoup de romans d’anticipation ne sont pas publiés dans des collections ou maisons spécialisées, pensons par exemple à certains textes de Houellebecq ou à La Route, de Cormac McCarthy. Mais avec le temps et à l’usage, science-fiction et anticipation sont plus ou moins devenues synonymes dans le langage courant, et ChatGPT se fait l’écho de cette confusion. Ce sujet peut sembler anecdotique, mais il ne l’est pas : l’agent conversationnel déploie un argumentaire bien articulé et très affirmatif, mais ce qu’il écrit n’est pas vraiment valable (et donc, faire de la recherche demeure une activité qui en vaut la peine, ne serait-ce que pour alimenter les futures réponses de ChatGPT). Une fois ce sujet traité, l’exploration de la dimension science-fictionnelle de l’IA s’est avérée un exercice plus intéressant.

[3] HAL est plutôt une création commune d’Arthur C. Clarke et de Stanley Kubrick, qui ont longuement travaillé ensemble à l’élaboration du scénario du film 2001, lui aussi so