Art contemporain

Laura Lamiel : « Je ne me situe jamais dans la narration »

Critique d'art

Rétive à l’analyse, l’œuvre de Laura Lamiel traverse plus de quarante années de sculpture et d’histoire de l’art, oscillant entre le pictural et le volume, entre les murs et les sols ; et, cette fois, les sous-sols du Palais de Tokyo – qui accueillent l’exposition « Vous les entendez ? » pour offrir un regard panoramique sur le parcours de cette artiste radicalement inclassable qui affirme travailler sans le langage mais accepte d’en parler.

Les sous-sols du Palais de Tokyo ont récemment vu l’ouverture de l’exposition « Vous les entendez ? » de Laura Lamiel. Une exposition que l’artiste souhaite « plus introspective que retrospective », bien qu’elle offre un regard panoramique sur son œuvre. Auteure radicalement inclassable, on sait aujourd’hui encore peu de chose d’elle notamment sur sa formation, ses affinités ou encore sur ce qui anime ses sculptures et tableaux. En se refusant à la narration, elle nous donne une construction-muette qui évoque sans cesse les récits. Nathalie Sarraute à qui le titre de l’exposition est emprunté, Raymond Roussel dont l’ombre plane sur l’exposition ou encore Georges Perec dont le W est, à son tour omniprésent.

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En s’interrogeant lors de notre rencontre sur « comment elle a écrit certaines de ses expositions », il s’agit également de revenir sur le parcours biographique et artistique d’une figure manquante, d’un être en absence qui nous suit pas à pas. Rétive à l’analyse, son œuvre traverse plus de quarante années de sculpture et d’histoire de l’art oscillant entre le pictural et le volume, entre les murs et les sols. Le parcours d’un artiste s’écrit aussi dans les conditions de travail qui sont les siennes comme elle aime à le rappeler et c’est, en cela, une mise en abyme de l’essai Une chambre à soi de Virginia Woolf qui se déroule face au spectateur. Le dessin comme lieu périphérique, le tableau comme espace du contenu, puis enfin, le rêve de se réaliser dans le volume et au sein de l’atelier tant attendu. L’itinéraire proposé dans l’exposition exacerbe la « mise en tension » souhaitée par l’artiste entre l’espace, l’œuvre et son contenu. Difficile à saisir, l’espace que l’artiste saisit n’en est pas moins éloquent notamment par le biais des matériaux qu’elle utilise, détourne ou recouvre. LGD

Vos travaux font régulièrement référence à des espaces de travail, à vos ateliers ou encore à des zones présentées comme réfléchies pour la production de pensées ou d’images. Comment tentez-vous de transposer vos différents « studios » dans l’exposition, notamment ici, dans l’exposition « Vous les entendez ? » au Palais de Tokyo. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
C’est un travail en strates. Il y a toujours un commencement, je cherche et je tâtonne. Mon travail est pensé et réalisé à l’échelle 1 et aucune de mes pièces ne quitte l’atelier sans qu’elle n’ait été longuement façonnée, transformée, pendant parfois 6 mois ou 1 an. Et cela, justement, dans l’atelier, comme vous l’évoquez. Une œuvre, je tourne autour, je la complexifie et j’y apporte, au fur et à mesure, plusieurs niveaux de lecture, de compréhension. Ce travail d’atelier est, en réalité un travail de temporalité. C’est à dire qu’il s’agit d’une expérience, laquelle donne à son tour une autre approche de l’œuvre avec sa durée qui inclut son temps de réalisation. C’est ce qui permet, selon mon expression, de « serrer les concepts sur l’œuvre », c’est à dire d’en rendre possible des lectures. Dans un second temps, la question de l’espace, que vous posez, a d’abord pour origine le lieu qui m’est proposé, des paramètres de l’identité de là où on l’on expose. Dans notre cas, il s’agit des sous-sols du Palais de Tokyo.

En effet, votre exposition ici s’inscrit, ou épouse si l’on veut, les espaces du Palais, dans les souterrains du Centre d’art.
Oui, j’ai aimé prendre ces espaces qui servent aussi parfois de lieu de stockage, proches de l’atelier en fait. Les sous-sols du Palais m’ont paru plus justes pour ce projet, moins muséaux et aveuglants pour les pièces que les salles du haut. Ils m’ont permis une expérimentation plus audacieuse.

Les espaces du haut sont marqués par l’arrondi de l’architecture d’André Aubert et de Marcel Dastugue qui définit l’histoire de l’espace et des expositions avec des précédents marquant.
C’est un espace très beau mais qui est fermé cette saison. De fait, c’est au sous-sol que l’on peut avoir de l’air. On y est mieux, avec un mouvement entre les espaces, contrairement à l’étage qui souffre dorénavant fortement lors des canicules.

Pourtant, les souterrains sont aussi marqués par la dureté du béton, ce sont des espaces où la réhabilitation des architectes Lacaton et Vassal est très visible pour des salles très dénudées.
Oui et cela m’a pris beaucoup de temps pour l’élaboration de « Vous les entendez ? », car la demande, dans cet espace brut, est de penser la justesse de chaque installation. J’ai envie d’absorber les murs plus que de me faire absorber par l’architecture et c’est un travail en tension que d’y parvenir. L’expérience est rendue possible par la circulation des pièces entre elles. Les œuvres ici sont très autonomes mais il y a une circulation qui se fait, un dialogue qui s’installe.

La circulation est en effet visible bien que dans la pénombre.
Oui, c’est un paramètre que je n’avais pas prévu et qui est assez miraculeux : on voit certaines pièces à travers les autres. Cela donne une impression d’infini, de dialogue, comme si tout était connecté.

Il y a une grande porosité entre les travaux. Toutes les cimaises sont ouvertes pour permettre une ouverture sur l’espace suivant. C’est très étonnant et cela laisse passer le regard, cela donne des zones de fuite.
Oui, et il y a là une question philosophique selon moi qui se penche sur l’humain, sur la pluralité des identités, de nos identités. En tant qu’observatrice, il m’arrive de partir dans des directions qui se font antagonistes c’est aussi cela l’ambiguïté d’une proposition. Certaines pièces sont méditatives à l’image de l’œuvre Du miel sur un couteau qui ouvre l’exposition. C’est une pièce polyphonique.

On retrouve de nombreuses singularités dans vos approches des éléments picturaux, et cela avec des pièces plus anciennes, d’autre manière de travailler voire de penser. Prenons pour exemples les Démarouflages qui, dès 1982, étendent le champ de la critique de la peinture et cela en proposant un rythme plus qu’un sens pour le regardeur.
Ce sont des pièces très anciennes ! Je cherchais alors à travailler, à agencer des sortes de peaux. J’achetais des supports de toile et je travaillais par recouvrement. Je les déchirais par superposition et cela me permettait d’avoir une sorte d’écorché que je montrais, que j’accrochais, et qui laissait voir une certaine légèreté sensible. Avec ces pièces, je proposais une autre approche du mur.

C’est une première approche du pictural, du sens que vous souhaitez donner à l’accrochage et de ce que vous souhaitez en retirer, y cacher.
Je voulais avec ces pièces être dans l’énergie de la couleur, une énergie forte et sensible. Dans mon travail, je ne me situe jamais dans la narration. Déjà à cette époque, je travaille un vocabulaire de formes. Je place celui-ci en contexte dans l’espace d’exposition et la composition prend la suite. Ce qui est frappant c’est que je compose mes sculptures d’aujourd’hui comme je pouvais le faire avec les travaux des années 80, à l’image des Démarouflages. C’est ici aussi que cette question de l’échelle intervient dans mes travaux, dans les formes. Je retire un élément, je le déplace et le repositionne, c’est un travail de composition.

En 2000 vous êtes invitée au Musée de Grenoble pour une exposition personnelle qui aura, j’ai l’impression, un fort impact sur votre carrière. À l’invitation de Serge Lemoine, vous investissez une grande partie de l’institution et vous ouvrez ainsi une nouvelle dimension avec les modules, la maison et les cellules qui occupent aujourd’hui encore une place à part dans votre œuvre. Qu’est-ce qui se raconte dans ce passage du pictural à l’espace, du plat au volume ?
En effet c’est une exposition très importante pour moi. À la suite des recouvrements et notamment du travail de l’émail j’ai découvert mon intérêt pour la lumière, pour l’impact de la lumière sur les œuvres que l’on produit. Je cherchais comment être radicale avec le blanc, comment être plus rigoureuse et comment maitriser la lumière, être au maximum de la lumière, de l’incandescence, via des cuissons à 1000°.

Ces « recouvrements » de matériaux par des émaux, cette couche sur la matière rendait également possible la diffusion et diffraction de la lumière.
Oui et cette exposition à Grenoble m’a donné la possibilité de mettre en tension mon vocabulaire. Il y a les premières œuvres avec les gants, les collectes. J’applique ce vocabulaire « pauvre » mais qui ouvre des possibles dans l’exposition, quelque chose aussi de plus organique dans la construction des œuvres et des projets.

Selon vous cette exposition à Grenoble a rendu possible de nouveaux gestes ?
Je n’ai jamais perdu après cela ce rapport constructiviste, le volume et les modules. Cette exposition m’a donné la force de construire par ajouts. Ce fut aussi, et nous y revenons, la première exposition pour laquelle j’avais un atelier dans lequel je pouvais travailler le volume.

On retrouve ainsi votre pratique plus actuelle de prise de vue qui serait retranscrite sur l’email, ces travaux que l’on voit notamment dans certaines pièces de Vous l’entendez ?
Cette pratique est un peu kamikaze (rires). Il y a l’idée de la photographie à la chambre et c’est ensuite une mise à distance du sujet qui se place de nouveau sous tension. L’image devient ici très légère. Dans cette pratique d’impression j’ai toujours gardé ce sentiment particulier du sujet. Il y a dans ces œuvres cette volonté de rappeler que le sentiment de la réalité est diffus et interrogateur.

C’est ce que l’on retrouve aussi dans les œuvres les Passeurs ou dans Opposer les contraires en toute clarté que vous présentez en 2009 à Rio de Janeiro et à Sao Paulo au Brésil.
Peut-être. J’ai eu cette proposition incroyable d’exposer au Musée d’art Moderne de Rio, l’un des plus beaux musées que je connaisse, construit en 1955 par Alfonso Eduardo Reidy. Ce musée est pensé comme un geste de béton, très audacieux et, de fait, tout y est extraordinaire. Le musée dans sa dimension organique ressemble à la ville. Je prenais beaucoup de photographies et restais très attentive à l’environnement, à l’urbain. Un jour, dans une épicerie j’ai vu un savon orange, très translucide et qui m’intéressait beaucoup car il était daté et qu’il laissait voir le Corcovado en filigrane. Il y avait pour moi dans la couleur et l’objet un condensé de Rio. De ces savons j’en ai acheté, cinq puis dix,… puis cent. J’ai ensuite demandé au producteur s’il pouvait m’en fournir plus. Il m’en a donné deux tonnes pour construire un espace en savon. De nouveau, ce matériau me permettait de penser ce qu’avait été l’expérience de la lumière, la radicalité du blanc et j’ai mis les deux pièces en face à face. C’est devenu l’exposition Opposer les contraires en toute clarté, comme deux identités qui se font face. Les Brésiliens et les cariocas se sont véritablement emparés de cette œuvre. On pouvait entrer dedans, certains sont venus prier dans cette structure en savon. C’était très étonnant.

Puis sont venus les Passeurs à Sao Paulo.
Oui cette expérience brésilienne a été constitutive et charnière, c’est certain. Car après Rio j’ai exposé à Sao Paulo. C’est l’endroit où j’ai travaillé pour la première fois sur un « sol » : une excavation dans laquelle j’ai glissé les valises des immigrants et dans laquelle de nouveau j’utilise et je compose mon vocabulaire de formes avec tout ce que je ramasse, ce que je récolte, ce qui m’accompagne, ce qui n’a l’air de rien mais qui pour moi fait signe.

D’une certaine manière c’est ici un des points de départ de vos « sols » que l’on retrouvera ensuite dans les expositions du Parc Saint Léger (La vie domestique, coll. 2015) ou encore à la galerie Marcelle Alix (Séquence I. II, 2014).
Les « sols » sont des pièces que j’ai faites pour la première fois, en tant que telles, chez Marcelle Alix à Paris puis j’ai fait une version de 200 m2 à Sète. Chez Marcelle Alix j’ai toujours été marquée par le carrelage au sol de la galerie. Il est emblématique du lieu mais son motif m’a souvent embêté pour travailler. Je me demandais ce que cela symbolisait pour une sculptrice de travailler sur un motif. Et j’ai eu une intuition en pensant à la nouvelle de Henry James, Le motif dans le tapis (1896). Je pensais aussi à cette question de comment il serait possible de voir la peinture autrement. Alors j’ai totalement recouvert le sol de l’espace. Ensuite j’ai cadré le motif du carrelage à la manière d’une peinture.

Effectivement, le lien avec l’œuvre de Sao Paulo est sensible à cet endroit.
Oui cela reprend ici la question du tableau, du lieu de l’attention. On me demandait chez Marcelle Alix si j’avais creusé le sol alors que j’avais surélevé le visiteur. C’est une question de perception de l’espace.

Le commissaire de l’exposition Arte fragil, Resistencias à Sao Paulo, Jacques Leenhardt, écrit dans un texte les mots suivants : « Il se pourrait bien que le dessin ait, pour Laura Lamiel, un pouvoir salvateur de recommencement ». Il se trouve que l’exposition du Palais de Tokyo offre une place inattendue à vos dessins. Quelle est la place occupée par ces derniers dans votre pratique ?
J’ai toujours dessiné. Puis il y a eu un arrêt dans cette pratique, une coupure. C’est revenu il n’y a pas si longtemps. J’appelle toujours cela mes « périphéries » mais le dessin permet une forme de vision, comme si je lisais l’encre. Le dessin est pour moi visionnaire.

Cet espace consacré à vos dessins dans l’exposition « Vous les entendez ? » est peut-être le lieu où la présence de l’atelier ressort le plus. Le mobilier est celui de votre atelier même, on découvre par ce biais l’environnement du dessinateur ou du coloriste.
Oui, je présente dans l’exposition ma table aux encriers. Je fais cela parce que c’est une métaphore du travail pour moi. Je travaille avec énormément d’encre, laquelle donne cette empreinte rouge, dans mon atelier, sur la table, partout. Cela m’accompagne toujours. Cette pratique du dessin est aussi une opportunité pour moi de lâcher prise dans la figuration, de m’échapper, notamment via une mise à distance analytique qui accompagne le geste. C’est le protocole dans le dessin qui me permet d’être très analytique.

On sent qu’il y a dans votre manière de faire une mise en avant du « travail » dans le sens du temps passé à la réalisation d’une pièce, comme si la place de l’artiste était dans son atelier…
Il s’agit pour moi de la question de la profondeur, c’est-à-dire que je ne veux pas, je ne peux pas lâcher les pièces si ces dernières n’ont pas une certaine profondeur. C’est comme une exigence entre elles et moi. Lorsque je glisse des détails, la pièce me demande d’aller plus loin, plus loin dans la mémoire ou dans un geste sensible ou radical. C’est aussi ce que l’on retrouve dans l’usage du gant qui est fait dans certaines œuvres. Il renvoie au travail manuel comme à l’aspect poétique.

C’est à dire ?
J’ai circulé, pendant une dizaine d’années, quotidiennement à vélo et je ramassais les gants écrasés. Ces gants prenaient des formes tout à fait stupéfiantes et j’avais toujours l’impression d’avoir ramassé quelque chose d’incroyable, une œuvre en devenir. Alors, j’ai rendu possible la rencontre de ces gants trouvés avec les gants que j’utilise pour travailler dans mon atelier. J’aime la rencontre de ces usages multiples. Ensuite, je les présente sur table ou socle comme des oiseaux de Braque, légers et énigmatiques. C’est comme une rédemption pour moi, entre le travail et la souffrance, je veux que ces oiseaux s’envolent.

On retrouve une part de cette poésie dans les travaux de l’exposition Noyau dur et double foyer à la Galerie de Noisy-le-Sec (2014) et dans les œuvres produites pour la Biennale de Lyon La Vie Moderne (2015). Il me semble que ce vocabulaire de formes prend une complexité et un récit sur notre temps d’une importance toute particulière.
En effet, à ce moment une difficulté nouvelle émerge pour moi dans la sculpture. Une difficulté dans la réalisation à laquelle répond, peut-être, une difficulté dans la compréhension. Ces œuvres sont nées de la rencontre avec un matériau, le miroir-espion. Il s’agit du miroir que l’on utilise dans les commissariats, mais qui renvoie aussi à la position du voyeur. Ces œuvres ont été difficiles à réaliser notamment à Noisy-le-Sec, dans l’espace domestique de ce centre d’art, qui est l’ancienne résidence d’un notaire avec son parquet, ses moulures. Il s’agissait également pour moi de poser un espace politique dans ce lieu. À l’intérieur, le blanc vient poser la question de la clôture et de la division. De l’autre côté se compose un espace domestique où figurent des objets du quotidien. Enfin, s’est ajouté à cela une dimension inattendue car, en travaillant avec le miroir-espion une circulation s’est écrite entre intérieur et extérieur, une dimension d’infini. Dans ces œuvres présentées au Palais de Tokyo, on voit très très très loin. Cette ouverture est devenue métaphysique dans mon travail.

L’œuvre Vous les entendez (2015) comme l’installation Du miel sur un couteau (2023) qui ouvre l’exposition du Palais de Tokyo font apparaître un siège vide, une assise qui laisse penser à une présence en absence.
Comme je vous le disais, je ne suis pas une artiste engagée dans la narration et les chaises sont ici montrées pour faire état de la présence du corps. Il s’agit, comme vous le dites, d’un corps absent. C’est un corps qui, à sa manière, pose une situation. Cette chaise de même que différents éléments de l’installation permettent de réfléchir la mise en tension entre l’espace architectural et l’objet infime, presque invisible.

Du miel sur un couteau (2023) est une installation réalisée avec du tesson de verre mais aussi avec des capsules de gaz qui jouxtent de nombreux collèges et lycées en France. Il y a une pluralité de lecture ici entre l’attraction lumineuse, la dangerosité et la référence à l’addiction, à la toxicité.
Exactement ! L’œuvre rayonne, elle coupe, elle séduit mais on y retrouve des lames ou des tiges en métal. J’ai écouté un jour un moine tibétain à qui l’on demandait : qu’est-ce que la sexualité ? Il a répondu : « c’est du miel sur un couteau ». C’est-à-dire que la jouissance est inassouvie, parfois, et qu’elle peut être un état duquel on ne sort pas.

Émilie Notéris, dans un texte sur votre travail, construit un pont entre votre œuvre et l’écriture de Virginia Woolf dont j’extrais la phrase suivante : « Il faut tuer l’Ange du foyer ». L’exposition du Palais de Tokyo est-elle le prolongement de cette injonction ?
Je ne crois pas que je tue l’Ange. Je préfère l’ambiguïté, ce qui est rendu possible par son usage dans le vocabulaire, dans les formes et dans la polysémie. Je me risque dans d’autres domaines sans sensiblerie mais comment pourrait-on tuer l’Ange si l’on pense que l’Ange est la lumière ?

À l’image des chaises dans l’exposition qui sont toujours en équilibre…
Oui, la forme donne une dynamique. Sans la chaise, l’œuvre que je réalise est moins dynamique. Le concept est aussi la possibilité pour une œuvre au sol d’y ajouter une oblique. La parole est toujours complexe, et je suis heureuse que l’exposition s’ouvre sur les mots de Nathalie Sarraute « Vous les entendez ? » (1972). De mon côté, je travaille de manière très intuitive et la parole vient après, en écoutant les lectures qu’en font les regardeurs. Je ne travaille pas avec le langage. Je peux rester des jours, dans mon atelier, sans parler.

« Vous les entendez ? » de Laura Lamiel, Palais de Tokyo (Paris), du 16 juin au 10 septembre. 


Léo Guy-Denarcy

Critique d'art