Art contemporain

Céline Poulin : « Ouvrir le paysage de l’art : c’est un enjeu éthique »

Journaliste

De ses premières expériences professionnelles dans l’éducation populaire, la nouvelle directrice du Frac Île-de-France, Céline Poulin, a hérité de la conviction qu’en matière d’art la médiation s’avère centrale. Pour fêter les 40 ans des Frac, elle a invité quatre jeunes commissaires à proposer leur regard sur les questions de la co-création. Leur exposition, Gunaikeîon, est conçue autour d’une idée qui lui est chère : la déhiérarchisation des espaces et des pratiques.

Nouvelle directrice du Frac Île-de-France depuis le printemps dernier, Céline Poulin revisite la collection dans une exposition collective, Gunaikeîon, à Romainville, dans ses Réserves et dans les murs de la Fondation Fiminco, pour laquelle elle a invité quatre jeunes commissaires à proposer leur regard. Une manière collaborative de travailler, à la mesure de tout ce qu’elle défend depuis vingt ans sur la co-création, l’éducation populaire, la diversité. JMD

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Le Frac Île-de-France dont vous avez pris la direction au printemps dernier sort les réserves de sa collection dans une exposition à Romainville, Gunaikeîon, à l’occasion des 40 ans des Frac, conçus à l’époque pour soutenir la création contemporaine et la diffuser dans les régions. Qu’est ce que vous avez envie de faire aujourd’hui du Frac Île-de-France ? 
Je suis arrivée au Frac (Fonds régional d’art contemporain) avec un projet que j’avais intitulé « Mille et un plateaux », comme un croisement de références entre les Mille Plateaux de Deleuze et Guattari et les Mille et Une Nuits. Avec cette idée directrice de déhiérarchiser les espaces et les pratiques. Ce qui est important pour moi en travaillant dans un Frac, c’est de pouvoir faire des expositions dans des lieux différents, à l’attention de publics assez divers. Déhiérarchiser les espaces et les pratiques, cela implique de mettre sur le même plan un lieu comme le Plateau (espace d’exposition du Frac rue des Alouettes à Paris), les Réserves à Romainville ou un collège, un lycée, une chapelle… Il s’agit de penser la question de l’exposition en-dehors du « white cube ». Je tiens à faire le plus de ponts possibles entre la médiation, la communication et la production artistique. Je m’intéresse aussi à des artistes qui se situent dans leurs pratiques à la croisée de ces domaines-là. J’accorde une attention très forte à la question du graphisme, aux dispositifs de médiation. Je vais donc concevoir mes projets d’exposition et de structures avec cette idée en arrière-fond de déhiérarchisation des espaces et des pratiques. Penser la question de l’exposition par sa réception, cela n’empêche pas de s’intéresser à des pratiques artistiques autonomes, mais j’avoue que les œuvres qui m’intéressent intègrent souvent la question de l’adresse.

Vous étiez jusque-là directrice du CAC Brétigny, où vous aviez déjà mis en pratique ces réflexions sur la manière d’exposer de l’art et le faire circuler. Vous situez-vous dans le prolongement de ce travail mené depuis une dizaine d’années ?
J’étais arrivée au bout de mon projet à Brétigny, à l’échelle de ce centre d’art. J’ai accompli ce que j’avais prévu de faire, en allant même un peu plus loin, à travers la création d’un projet de recherche de l’école, en déployant des pratiques collaboratives avec les équipes et des personnalités du territoire local. J’avais envie de changer d’échelle. La question de la collection m’intéresse beaucoup. J’ai commencé comme commissaire avec le collectif Le Bureau/, structure de recherche sur les pratiques curatoriales, constituée notamment d’Émilie Villez, Aurélien Mole, Garance Chabert et Marc Bembekoff ; or, ensemble, on a beaucoup travaillé sur les collections, comme celles du Cnap ou du Frac Franche-Comté. Cette construction de récit qui sert d’entrée dans l’exposition du Frac, on l’a beaucoup expérimentée. C’est très riche de travailler sur une collection ; cela permet de déployer un propos. Et puis, dans cette question de l’adresse aux personnes qui regardent, se loge la question de l’interprétation. Ce qui est génial avec une collection, c’est qu’on peut montrer une œuvre plusieurs fois dans des contextes différents et dans des narrations différentes. C’est l’idée fondatrice de l’exposition Gunaikeîon : créer des récits de collection, avec des commissaires invités qui vont tisser des liens à partir d’œuvres de la collection, en résonance avec des œuvres hors collection. Cela s’inspire en partie d’un projet que l’on a fait avec le Bureau/, en partenariat avec le Frac Franche-Comté, L’institut français de Prague et la galerie Klatovy / Klenová en 2011 qui s’appelait Uchronie ou des récits de collection.

D’où vient votre attention à la question de la réception de l’œuvre d’art ? Qu’est-ce qui a nourri dans votre parcours de commissaire cette volonté de prendre soin du regard du public ? 
Je viens de l’éducation populaire, au départ. Parallèlement à mes études de philosophie, j’étais bénévole dans un festival de bande-dessinée, qui s’appelait BD Boum, créé par la Fédération des Œuvres Laïques (FOL), un réseau d’éducation populaire. J’y ai travaillé ensuite comme responsable du service jeunesse. La bande dessinée, la philosophie, l’éducation populaire : je viens de la rencontre entre ces trois univers, pas du monde de l’art stricto sensu. J’ai découvert l’art contemporain par la suite ; j’ai fait un DESS (Master 2) « Art de l’exposition », au sein de l’UFR de philosophie à Nanterre, que dirigeait Catherine Perret, elle-même spécialiste de l’œuvre de Fernand Deligny. La question de l’exposition m’a donc intéressée au plus près ; on a travaillé avec des personnalités du monde de l’art comme Christian Bernard ou Claire Le Restif qui vient elle aussi de la médiation et qui dirige le Credac à Ivry. J’ai choisi, contre l’avis de certains professeurs, de commencer, tout en étant parallèlement commissaire indépendante, à travailler dans la médiation. J’étais animée par l’idée de Barthes ou d’Eco d’œuvre ouverte ; c’est le regard du public qui finit l’œuvre.

La médiation est devenue un enjeu central aujourd’hui dans toutes les institutions, non ?
Oui, mais ce n’était pas le cas à l’époque. Quand j’ai commencé en 2003, tout le monde considérait cela comme une voie sans issue.

Comment expliquez-vous alors que la médiation intéresse désormais autant ? 
Cela vient d’abord des artistes, de la production. De plus en plus d’artistes se sont intéressés à ces pratiques. Ce mouvement s’inscrit aussi dans ce qu’on appelle le pedagogical turn  théorisé par Claire Bishop notamment. On commence alors à intégrer dans la pratique artistique des questions de pédagogie. J’ai rencontré Marie Preston notamment, artiste travaillant en co-création, qui a fait une thèse à Paris 8 sur la question des pratiques collaboratives. D’autres artistes, pas forcément éduqués à la création contemporaine, sont entrés aussi dans le jeu. Des commissaires ont eu envie d’être compris par des personnes extérieures au monde de l’art.

Ce mouvement vous semble-t-il former une bascule par rapport aux décennies précédentes ? 
C’est, je pense, plutôt un retour aux années 1970. Dans l’histoire de la revue October, fondé en 1976 pour rendre compte des innovations dans les pratiques artistiques contemporaines, il y a eu une scission entre deux camps : ceux qui considèrent que l’artiste doit être engagé dans la société et ceux qui pensent que l’art est autonome. Cette idée de l’autonomie de l’art va présider dans les années 1980 : on estimait alors qu’il suffisait de mettre les publics au contact des œuvres pour transmettre le goût de l’art. C’est dans ce cadre qu’on a créé les Frac en 1982. Et puis on s’est aperçu que cela ne fonctionnait pas aussi simplement que cela : la rencontre entre l’art et le public exige des outils de médiation. Mais on était dans une conception de la médiation considérée comme secondaire. Avec le pedagogical turn, mais aussi la redécouverte de pratiques artistiques des années 70, ou encore l’accession aux écoles d’art de nouvelles générations d’étudiants, notamment issus des secondes vagues d’immigration, une nouvelle attention va se créer de manière spécifique sur les questions de médiation. Et surtout, on va inventer des nouveaux formats, à la frontière des deux. La « Documenta 15 », en 2022 à Cassel, a été de ce point de vue un moment de consécration de ce mouvement. Pour la première fois dans un événement international aussi prestigieux, la question de la collaboration a été célébrée de manière forte. On a exposé des œuvres se situant entre l’art et autre chose, on ne sait pas trop quoi. Car la question du statut est remise en cause par les pratiques collaboratives. Cela a été bien sûr critiqué par des commissaires qui regrettaient que la « Documenta 15 » propose des espaces de conversation parfois non activés. On a vu des choses dont on ne sait pas si c’est de l’archive, du document, un objet d’art marchand, un espace de discussion… C’était la première fois que je voyais autant d’espaces de cette nature, où la question du statut de l’objet était mis à mal.

Est-ce le signe que ce que vous défendiez à la marge du champ de l’art est devenu central ? Ou vous sentez-vous encore un peu à part dans le champ de l’art ? 
Quand j’ai commencé à travailler sur les pratiques collaboratives il y a vingt ans, je me sentais marginale. Mais aujourd’hui, plus du tout. Des personnes, au départ indifférentes à ces enjeux, s’y intéressent désormais. Il y a une nouvelle considération pour cette question.

L’art serait-il en train de changer de ce point de vue ? 
Oui, je le pense. La question des droits culturels a obligé les institutions à s’intéresser à ces pratiques collaboratives, aux pratiques amateur, d’inclure des communautés et des cultures minoritaires dans les institutions. C’est la base de la co-création : faire se rencontrer des artistes et des non-artistes, produire quelque chose ensemble, créer des dialogues entre des cultures et des langages différents. Cela a poussé les institutions à créer des espaces de médiation différents de ce qui existait il y a vingt ans.

Mais ces pratiques de co-création là sont-elles aussi présentes que cela dans les centres d’art ? Je n’ai pas l’impression d’en voir tant que cela. 
Certes, dans les foires internationales, comme Paris+ par Art Basel, il n’y en a pas beaucoup. Mais dans les centres d’art, à Noisy-le-sec, à la Ferme du Buisson, à la Villa du Parc à Annemasse, à la fondation Kadist, cela s’organise. Mon amie Stéphanie Airaud, qui vient d’être nommée à la direction du Musée d’Art Contemporain de Marseille (mac), après avoir été durant quinze ans responsable des publics au MAC VAL, s’intéresse de près à ces pratiques. Marie Preston, qui travaille sur la co-création et avec qui je travaille régulièrement, a vu son travail acquis par le Cnap il y a plusieurs années. On est quand même beaucoup à travailler sur ces pratiques : Virginie Bobin, Camille Louis, Mathilde Villeneuve, Véronique Goudinoux, Florence Jou, Maude Mandart… Je pense aussi à Madeleine Planeix-Crocker qui s’occupe de la chaire « Troubles, dissidences et esthétiques » aux Beaux-Arts de Paris. Mais c’est sûr que cela n’est pas très marchand.

Pourquoi sont-ce surtout des femmes qui travaillent sur ces enjeux ? Où sont les hommes ?
Il y en a, Grant H. Kester (théoricien) ou Pablo Helguera (artiste et théoricien), que je cite souvent, sont assez pionniers sur ces questions. Je pense à Thomas Conchou, qui dirige la Ferme du Buisson. Je conseille son exposition actuelle, « Quotidiens communs », dans laquelle je vais intervenir le 16 décembre prochain avec Marie Preston. On peut penser aussi à Grégory Castéra pour les commissaires, ou Sébastien Rémy, parmi les artistes, qui travaille beaucoup sur l’intégration de la parole des autres dans ses œuvres.

Comment analysez-vous le malaise, sinon la colère, dans les écoles d’art depuis des mois ? Au moment où l’on se félicite de tous côtés de la vitalité du marché de l’art, de la nouvelle attractivité de Paris sur la scène mondiale, des foires qui carburent, comment comprendre ce décalage ?
L’éducation est essentielle. Il existe un lien fort entre les pratiques collaboratives et les questions de pédagogie et de bien-être au travail ; il s’agit toujours de relations. A partir du moment où l’on ne prend pas soin des étudiants et des enseignants, cela ne va pas. Certains choix, surtout en matière d’éducation, devraient pouvoir échapper aux logiques de rentabilité. Il est important que les étudiants puissent avoir accès aux ateliers techniques, à du matériel, et que des artistes soient invités pour des workshops. En Île-de-France, il est vrai qu’on a des écoles d’art qui marchent très bien – Cergy, les Beaux-Arts de Paris, Arts déco…–, on a de la chance. Mais en région, c’est plus difficile ; les collectivités locales ont beaucoup de charges, leur contexte financier est très compliqué.

Vous parlez beaucoup de relations dans votre pratique de commissaire et de directrice d’institution. Est-ce que le mouvement théorique des années 1990 baptisé « l’esthétique relationnelle » vous a nourrie ? 
Beaucoup. Marie Preston analyse l’esthétique relationnelle dans sa thèse sur les pratiques collaboratives. Mais le déplacement que l’on a opéré par rapport à ce mouvement théorique des années 1990, théorisé par Nicolas Bourriaud, c’est que l’oeuvre d’art n’est pas que le moment pour nous. Car il peut entraîner une réification de la relation. La relation est donnée à voir et devient un objet potentiellement marchand, et un objectif en soi. Alors que dans les pratiques de co-création, l’objet résulte de la relation ; cela peut être une proposition plastique, une archive, une vidéo, ou rien. L’échec potentiel est essentiel à mon avis : il faut pouvoir rater. C’est cela qui est compliqué pour le marché et les institutions ; car il ne faut pas mettre de pression pour que cela réussisse. Si vous fixez un objectif a priori, la rencontre est prédéfinie. Alors que, selon moi, c’est la rencontre qui crée quelque chose. Ce sont souvent des malentendus qui sont à l’origine d’une chose ; pour reprendre une expression de Jacques Lacan, on donne quelque chose qu’on n’a pas à des personnes qui n’en veulent pas ; cela produit quelque chose qu’on n’a pas prévu au départ. C’est cela qui distingue les pratiques collaboratives de l’esthétique relationnelle, même si sans elle, je pense que les pratiques de co-création actuelles ne seraient pas ce qu’elles sont.

L’exposition des 40 ans du Frac s’intitule « Gunaikeîon ». Pourquoi ce titre étrange ?
Gunaikeîon, cela veut dire gynécée en grec. J’avais envie d’un titre mystérieux, qui soit un point de départ d’un récit sans que l’on sache parfaitement où il nous conduit. J’aime cette idée qu’il ne faut pas trop en dire parfois. On est cinq commissaires femmes, Camille Martin, Elsa Vettier, Jade Barget, Daisy Lambert et moi. Les collections françaises sont constituées principalement par des artistes masculins, comme partout dans le monde. Le directeur du Stedelijk Museum d’Amsterdam me disait récemment qu’il n’y avait que 4 % d’artistes femmes dans les collections du musée quand il est arrivé. J’avais donc envie de mettre en avant un regard de commissaire femme ; aussi parce que ce sont des commissaires que je suis depuis plusieurs années, avec lesquelles j’avais parfois travaillé à Brétigny. Et puis j’ai réfléchi à la question du quartier culturel de Romainville où se trouvent les réserves du Frac Île-de-France. Le Gunaikeîon était un lieu refermé sur lui-même, parce que les femmes n’avaient pas droit de participer à la vie de la cité et n’avaient pas accès à la rue ; il était coupé de la société civile, mais les femmes s’y retrouvaient et y discutaient. C’était un lieu concerné par les affaires de la cité, sans pouvoir y participer. J’aime précisément l’idée d’ouvrir le gynécée, d’ouvrir le quartier culturel à son environnement, aux habitants proches, de Romainville ou de Pantin. J’ai pensé un projet ouvert sur la société locale et sur des questions sociétales d’aujourd’hui.

Vous les connaissiez bien les Réserves du Frac Île-de-France ?
Oui. J’avais beaucoup suivi la programmation de Xavier Franceschi, directeur du Frac pendant seize ans.

Comment avez-vous travaillé avec vos commissaires invitées ? 
J’ai eu envie de choisir des personnalités avec des regards artistiques différents du mien. Elles ont toutes les quatre un lien fort à l’Île-de-France, deux sont nées en Essonne, une dans les Yvelines, et la quatrième est venue à Paris faire ses études. C’était important d’avoir une réflexion sur les questions climatiques avec Jade Barget, qui est très proche d’une jeune scène internationale, notamment berlinoise. Daisy Lambert est une commissaire très connectée à la jeune scène francilienne, et notamment des personnes afro-descendantes ; c’était important d’avoir son regard sur la collection. Camille Martin aussi a un regard personnel sur la question de la figuration et son actualisation chez les jeunes artistes d’Île-de-France. Quant à Elsa Vettier, j’avais suivi son travail à la Maison Populaire, notamment ses interrogations sur les images contemporaines. Je trouvais que tous ces regards pouvaient s’entrechoquer avec mes obsessions sur les pratiques collaboratives. Cela ouvrait à des récits pluriels, centrés sur des œuvres très diverses de la collection. C’est une manière d’actualiser en fait la collection. Cela permet de montrer comment les œuvres acquises depuis quarante ans peuvent avoir une forme de contemporanéité ; une manière aussi de les relier à des enjeux très actuels : la relation aux autres, le rapport au climat, la question de la représentation, la technologie. Comment on se projette aussi. Daisy Lambert a travaillé sur la science-fiction, ce qui est une manière de parler de l’actualité ; c’est une façon d’ouvrir des perspectives à l’institution. J’avais envie de proposer des nouveaux chemins à la collection.

Diriez-vous que ce sont des oeuvres en avance sur leur temps ? Ou est-ce le présent qui éclaire différemment les œuvres ? 
Un peu les deux. La série sur les centrales électriques de Jurgen Nefzger est très reliée au présent ; l’esthétique de ces images, liée au moment où il les a produites, est rattrapée par des questions très actuelles. Je pense qu’il y a quand même une forme de relecture des commissaires devant des œuvres que l’on voit aujourd’hui d’une autre manière ; c’est cela le mystère et la magie de l’art ; cela nous échappe toujours un peu. L’artiste produit une forme, qui a une vie autonome ; et si elle est réussie, elle est suffisamment profonde pour pouvoir entrainer plein d’interprétations. On l’a bien vu avec Marcel Duchamp : on ne s’arrêtera jamais d’en parler. Des chefs-d’œuvre, ce sont des œuvres qui s’actualisent avec le temps, car elles ont tellement de couches qu’on n’a jamais fini de gratter.

Mais la quête du chef-d’œuvre, ce n’est pas ce vous intéresse le plus ? 
Non, c’est certain (rires). Je m’intéresse surtout aux artistes qui ne cessent jamais de creuser, de ne jamais s’arrêter à un objet fini, comme on l’avait évoqué dans une exposition montée avec le collectif le Bureau/ à la Villa du Parc, Le syndrome de Bonnard. Il faut toujours être en mouvement. Ce qui n’empêche pas de reconnaître que certaines oeuvres vous transportent.

Quelles artistes ont compté le plus dans votre travail depuis quinze ans ? 
Beaucoup ; j’ai par exemple travaillé lors d’une exposition collective à la Box à Bourges avec une artiste allemande, Peggy Buth qui m’avait passionnée ; Sandra Patron l’a ensuite invitée pour un solo show exceptionnel au Parc Saint Léger, cette exposition curatée par Sandra reste une émotion très marquante . Une artiste comme Liz Magic Laser, que j’ai invitée à Brétigny. Nuria Güell, aussi, très forte personnalité. Ou encore Ndayé Kouagou, jeune artiste autodidacte exposé en ce moment au Plateau.

Quels sont vos projets d’acquisition ? 
J’ai proposé quatre axes à la collection. Pour se concentrer sur les questions de la co-création, évidemment ; comment collectionner les pratiques co-créées ; sur les œuvres d’usages : des performances réactivables, du mobilier, des œuvres au statut bizarre ; sur la vidéo, que j’adore comme médium, je le trouve très innovant, on n’a pas fini d’explorer toutes les potentialités ; et bien sûr sur le soutien de la création francilienne. J’ai aussi souhaité ouvrir la collection aux candidatures spontanées, pour approfondir la diversité. Je n’aime pas l’idée qu’une direction artistique kidnappe une audience. Je trouve que la question de l’ouverture est fondamentale. Ouvrir : c’est un enjeu éthique. Y compris dans la manière de travailler avec ses équipes. Mon travail se déploie surtout dans les actions quotidiennes. Mais je ne veux pas faire de statement trop appuyé ; je me méfie de l’affichage qui camoufle des réalités pas géniales. Je préfère faire le contraire : ne pas trop afficher et faire des choses.

40 ans du Frac ! Exposition Gunaikeîon
Frac Île-de-France, Les Réserves, jusqu’au 24 février 2024
Fondation Fiminco, jusqu’au 16 décembre 2023


Jean-Marie Durand

Journaliste, Éditeur associé à AOC

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