Cinéma

Alice Rohrwacher : « Il est nécessaire de rendre nos yeux étrangers »

Journaliste

Le quatrième long métrage de fiction d’Alice Rohrwacher, La Chimère, qui sort en salle le 6 décembre, confirme l’importance de la cinéaste italienne, porteuse d’un univers à la fois enchanté et très réaliste, où la liberté de récit et de mise en scène résonne avec les enjeux très politiques qui sous-tendent tout son cinéma. Ce dont témoigne également la considérable manifestation que lui consacre le centre Pompidou depuis ce vendredi 1er décembre.

Autour d’un étranger fou d’amour pour une jeune femme disparue, et doué du pouvoir de sentir sous terre des espaces vides où se trouvent des reliques enterrées jadis par les Étrusques, La Chimère invente une fable burlesque et tragique, traversée de mythologies anciennes et de conflits très modernes. Dans cette région aux alentours de Tarquinia, les pilleurs de tombe, la vieille aristocrate, la jeune étrangère aux enfant métis qui se prénomme Italia, des vrais et des faux flics, des vrais et des plus que vrais super riches participent de cette farandole entre monde des vivants et terre des défunts, présent et mémoire. Alice Rohrwacher, qui fait du cinéma comme son père faisait du miel, met en scène avec humour et poésie un espace où circulent les humains et les songes, les chansons et les souvenirs, et où règnent et conspirent ensemble l’oppression sociale, la soumission aux fausses valeurs et les catastrophes qui ne cessent de davantage abimer le monde. À nouveau la cinéaste des Merveilles et de Heureux comme Lazzaro compose une manière de filmer qui semble sans cesse s’inventer, aux côtés de ce personnage de rêveur amoureux et mélancolique, dont le don ressemble à celui d’un(e) grand(e) cinéaste : percevoir où se cachent les trésors invisibles, et y donner accès. JMF

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Que peut-on dire du lieu où se déroule le film, et de ce que raconte cette localisation ?
Le film se passe dans une région proche de là où j’ai tourné mes deux films précédents, Les Merveilles et Heureux comme Lazzaro. C’est une zone de confins entre trois provinces italiennes, la Toscane, l’Ombrie et le Latium, qui est la région où j’ai grandi, et où je vis toujours. Pour moi c’est un lieu incroyable, habité d’un mystère qui a une dimension mystique, où se manifeste de manière évidente le fait que nous ne sommes pas éternels. Le fait que tout passe. Cette sensation, je la ressens comme très belle : être dans l’histoire, dans un continuum qui a existé avant nous et existera après. Cela tient


[1] Le Vrai du faux, Editions de l’Œil, 2023.

[2] In Corpo celeste. La théologie critique d’Alice Rohrwacher, Luc Vancheri, Presses universitaires de Strasbourg, 2021, page 242.

[3] Du 1er décembre 2023 au 1er janvier 2024.

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Le Vrai du faux, Editions de l’Œil, 2023.

[2] In Corpo celeste. La théologie critique d’Alice Rohrwacher, Luc Vancheri, Presses universitaires de Strasbourg, 2021, page 242.

[3] Du 1er décembre 2023 au 1er janvier 2024.