Cinéma

Gabriela Carneiro da Cunha et Eryk Rocha : « Là où le cinéma et le chamanisme se rencontrent »

Journaliste

Inspiré du grand livre d’anthropologie éponyme, le film La Chute du ciel se place à l’écoute d’un chaman devenu leader politique pour partager la relation au monde des Yanomamis et la manière dont ils habitent la forêt amazonienne et résistent aux menaces qui les encerclent.

La Chute du ciel est d’abord un livre paru en 2010 dans la collection « Terre humaine » des éditions Plon, un ouvrage s’inscrivant dans le sillage des textes majeurs de l’anthropologie, à la suite de ceux de Claude Lévi-Strauss (Tristes tropiques), de Victor Segalen (Les Immémoriaux) et, bien sûr, du directeur de la collection, Jean Malaurie, qui en avait publié le premier titre, Les Derniers rois de Thulé[1]. En préambule, Malaurie salue l’importance et la singularité de ce travail cosigné, dans cet ordre, par un chaman yanomami, Davi Kopenawa, et par un anthropologue français, Bruce Albert.

La Chute du ciel est la description détaillée, par Davi Kopenawa, de la cosmogonie de son peuple, le récit de son propre parcours et une réflexion sur les interactions forcées des Yanomamis avec les Blancs et, plus généralement, sur les mutations en cours sur la planète. Ce parcours l’a mené à devenir un chaman particulièrement respecté parmi les siens et le porte-parole, auprès des politiques brésiliens et dans les arènes internationales, des peuples autochtones amazoniens confrontés aux destructions de leur environnement et à la décimation des leurs par les violences commises par les militaires, les prospecteurs et les hommes de main des grands propriétaires.

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Ce récit impressionnant de richesse factuelle et de puissance d’imagination fait du volume publié une extraordinaire rencontre avec un univers réel et spirituel, tout en documentant les violences terrifiantes auxquelles les Yanomamis et les autres peuples de l’Amazone sont soumis. Mais il comporte aussi une passionnante réflexion de Bruce Albert, qui a enregistré, pendant une centaine d’heures, les récits de Davi Kopenawa et a longuement travaillé, avec lui, à la mise en forme écrite, à destination de lecteurs blancs, de ses paroles, de ce qu’elles disent et de ce qu’elles suggèrent sans le dire. La Chute du ciel, le livre, est ainsi une mise en œuvre concrète et réfléchie de processus de traduction qui excèden


[1] Davi Kopenawa et Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, Plon, coll. « Terre humaine », 2010 — Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, coll. « Terre humaine », 1955 — Victor Segalen, Les Immémoriaux (1907), Plon, coll. « Terre humaine », 1956 — Jean Malaurie, Les Derniers rois de Thulé. Avec les Esquimaux polaires face à leur destin, Plon, coll. « Terre humaine », 1955.

[2] Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique (2000), traduit de l’anglais par Olivier Ruchet et Nicolas Vieillescazes, Amsterdam, 2020 [1ère éd. 2009].

[3] Ces usages sont notamment documentés par les travaux de Sophie Gergaud, voir, en particulier, Cinéastes autochtones. La souveraineté culturelle en action, Warm, 2019, ou encore par ceux réunis sous la direction de Nicole Brenez, Jonathan Larcher, Alo Paistik et Skaya Siku, dans Film X Autochtonous Struggles Today, Sternberg Press, 2024.

[4] Eryk Rocha est notamment l’auteur de Cinema Novo (Œil d’or du meilleur documentaire au Festival de Cannes 2016), film reconstituant la grande aventure du cinéma moderne brésilien, dont son père a été la figure de proue.

[5] Initiée par Lula en 2010 et inaugurée par Bolsonaro en 2019, cette immense construction, imposée malgré la mobilisation incarnée par le chef Raoni, a entraîné des catastrophes écologiques et humaines sans avoir tenu aucun de ses engagements en termes de production d’énergie.

[6] Cette œuvre, définie comme « rituel techno-chamanique » ou comme « performance polyphonique qui se transforme en installation immersive », a notamment été présentée au Festival d’automne en septembre 2021 et au Centre Pompidou en mars 2023.

[7] Le film est construit à partir des souvenirs et du journal d’une paysanne ayant joué un rôle central dans la résistance à la déforestation, par les militaires, de l’Amazonie, à l’époque de la dictature.

[8] Bruce Albert, Claudia Andujar et Carlo Zacquini sont les cofondateurs, en 1978, de l

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Davi Kopenawa et Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, Plon, coll. « Terre humaine », 2010 — Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, coll. « Terre humaine », 1955 — Victor Segalen, Les Immémoriaux (1907), Plon, coll. « Terre humaine », 1956 — Jean Malaurie, Les Derniers rois de Thulé. Avec les Esquimaux polaires face à leur destin, Plon, coll. « Terre humaine », 1955.

[2] Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique (2000), traduit de l’anglais par Olivier Ruchet et Nicolas Vieillescazes, Amsterdam, 2020 [1ère éd. 2009].

[3] Ces usages sont notamment documentés par les travaux de Sophie Gergaud, voir, en particulier, Cinéastes autochtones. La souveraineté culturelle en action, Warm, 2019, ou encore par ceux réunis sous la direction de Nicole Brenez, Jonathan Larcher, Alo Paistik et Skaya Siku, dans Film X Autochtonous Struggles Today, Sternberg Press, 2024.

[4] Eryk Rocha est notamment l’auteur de Cinema Novo (Œil d’or du meilleur documentaire au Festival de Cannes 2016), film reconstituant la grande aventure du cinéma moderne brésilien, dont son père a été la figure de proue.

[5] Initiée par Lula en 2010 et inaugurée par Bolsonaro en 2019, cette immense construction, imposée malgré la mobilisation incarnée par le chef Raoni, a entraîné des catastrophes écologiques et humaines sans avoir tenu aucun de ses engagements en termes de production d’énergie.

[6] Cette œuvre, définie comme « rituel techno-chamanique » ou comme « performance polyphonique qui se transforme en installation immersive », a notamment été présentée au Festival d’automne en septembre 2021 et au Centre Pompidou en mars 2023.

[7] Le film est construit à partir des souvenirs et du journal d’une paysanne ayant joué un rôle central dans la résistance à la déforestation, par les militaires, de l’Amazonie, à l’époque de la dictature.

[8] Bruce Albert, Claudia Andujar et Carlo Zacquini sont les cofondateurs, en 1978, de l