Leslie Kaplan : « La démocratie, c’est arriver à maintenir, à supporter un certain degré d’angoisse »
En 2002, Leslie Kaplan publiait chez P.O.L, son éditeur assidu, Les Outils, un recueil d’articles, textes, entretiens publiés ou prononcés ici et là, lors de conférences, dans des quotidiens (dont son « journal de la semaine » dans Libération), dans la défunte revue Trafic qu’elle a contribué à créer avec Serge Daney… Des outils pour quoi faire ? Pour penser « avec » les œuvres écrivait-elle en préface, pour imaginer « des rapports entre ce que l’on pensait auparavant sans rapport ». Le livre était divisé en sections : « Avec la fiction », « Avec des écrivains », « Avec des cinéastes », …

Les Armes de la fiction, qui vient de paraître, reprend peu ou prou les mêmes sections et le même mélange de genres. On y retrouve Kafka, Maurice Blanchot avec qui elle a entretenu une correspondance (sans jamais le rencontrer, bien sûr), Serge Daney… Pour le cinéma, la critique de Trafic et des Cahiers du cinéma revient sur Rossellini, Godard, Ford, Lang, Chaplin,… Il y est beaucoup question de Mai 68 et de son engagement en usine, assez peu des États-Unis où elle est née de parents américains en 1943, avant d’emménager très jeune à Paris. Chaque texte est aussi l’occasion de revisiter son œuvre fictionnelle et dramatique : par exemple, telle analyse magistrale de Woyzeck (p. 157-171) fait écho à son Millefeuille (2012, prix Wepler), histoire d’un vieil homme qui, comme les fragments de la pièce de Büchner, sillonne « le réel […] dans sa complexité, dans son épaisseur pliée, dépliée, présence “millefeuille” du monde ».
On la rencontre un soir chez elle, pour parcourir les années récentes de son travail et évoquer le monde tel qu’il va mal. Par la fenêtre, on aperçoit heureusement des grappes d’étudiant·es en train d’échanger et de refaire ce monde, pas encore dispersé·es à coups de LBD pour cause d’attroupement terroriste. E. L.
En 22 ans, vous êtes passée des « outils » à quelque chose d’un peu plus offensif : « les armes ». Est-ce parce que la situation politique a emp
