Récit

Tueurs

Ecrivain

Le poète et musicien Jean-Michel Espitallier décrit, avec un souci manifeste d’objectivité, des documents visuels témoignant de meurtres collectifs. Restituer ces images avec les mots s’oppose à leur flux massif sur les réseaux sociaux. Un « document poétique » d’une force exceptionnelle.

Quand je vois des hommes, je vois des tueurs.
Claude Lanzmann
Ils portaient des pantalons de cotonnade plissés, ils se reposaient comme il faut,
ils se transportaient en véhicule ou à vélomoteur…
Ces gens bien lettrés étaient calmes et ils ont retroussé 
leurs manches
pour tenir fermement une machette. Alors, pour celui qui, comme moi,
a enseigné les Humanités sa vie durant, ces criminels-là sont un terrible mystère.
Jean-Baptiste Munyankore, instituteur, survivant tutsi
(cité dans Jean Hatzfeld, Une saison de machettes)

 

La scène se passe en Syrie, en Tchétchénie, en ex-Yougoslavie, en France, en Algérie, en Israël, en Irak, en Pologne, en Palestine, au Cambodge, au Rwanda, en Russie, au Vietnam, en Allemagne, au Liberia, c’est-à-dire n’importe où.

 

 

Ça tourne

 

Un jeune soldat a été pendu par les pieds au canon d’un char. Des soldats l’entourent. Ils crient, l’interpellent, parlent entre eux. Certains rient à gorge déployée. Tous ont l’air très excités. Le soldat pendu par les pieds écarte les bras comme s’il allait pouvoir sauter et retomber sur ses mains. Il se balance. Il s’agite. On dirait qu’il fait la brasse. Un soldat brandit un bâton. Il donne quelques coups de bâton dans le dos du soldat pendu par les pieds. La tourelle du char se met à tourner. Tout le monde rit. Le soldat pendu semble se concentrer sur lui-même pour tenter de garder un certain maintien. Son corps se balance comme un quartier de viande. La tourelle tourne encore et le pilote du char se met à pousser le moteur. Aussitôt, les pots d’échappement crachent une épaisse fumée noire. La tourelle tourne maintenant vers l’arrière puis s’immobilise quand le canon se trouve juste au-dessus des pots d’échappement. Et le soldat pendu par les pieds disparaît dans l’épaisse fumée noire qui sort des pots d’échappement.

 

Calcul mental

 

Un soldat : « Il y en a combien ? » Un soldat : « Soixante-trois vivants et onze morts. Ça fait soixante-quatorze. » Un soldat : « Ah bon, soixante-quatorze ? Ça devrait faire soixante-douze. » Un soldat : « Tu crois qu’ils se reproduisent ? » Un soldat, montrant les cadavres qui gisent près du camion : « Bon, apporte un bidon d’essence. » Un homme est allongé à terre. L’une de ses mains est ensanglantée et souillée de boue. Un soldat : « Qu’est-ce que tu veux ? » L’homme : « Aller au paradis… » Le soldat : « Où ça ? » L’homme : « Au paradis… »

 

Les gants

 

Le geôlier qui s’est improvisé geôlier s’est procuré des gants de moto afin de pouvoir frapper plus durement les détenus sans se faire mal aux mains.

 

J’ai crié…

 

« J’ai crié : “Je vais tous vous tuer si tu ne sors pas.” La fille sort. Ses parents étaient là. Je ne les connaissais pas. Je l’entraîne. Je la frappe. Je la gifle. Tandis qu’elle se déshabille, je vise sa tête avec mon fusil. Une fois nue j’appuie le canon de mon fusil sur sa tête. Le fusil descend jusque-là. Je le tiens de ma main droite : je la viole. J’ai violé sept filles. Sur les sept, j’en ai tué deux. J’ai égorgé trois types au couteau. A B***, j’ai tué, nous étions trois à tirer… dix personnes, oui, dix. »

 

Petite histoire du tankiste

 

Une barricade a été dressée sur une route à l’entrée de la ville. Un char est arrêté. Penché sur sa tourelle, le tankiste s’explique avec les gens qui entourent la barricade : « L’armée, moi, je vais tirer sur le premier immeuble. À côté de cette barricade. » Quelqu’un dit : « Tirer, ça n’est jamais la solution. » Le tankiste : « Qu’on enlève cette barricade sinon je tire sur l’immeuble. Je m’en fiche de mourir, mais cette barricade ne doit pas rester là. Vous ne nous faites rien, on ne vous fait rien. Mais ça, c’est une provocation contre l’armée. » Quelqu’un crie. Le tankiste : « Toi, ta gueule ! Ta gueule ou je tourne ma mitrailleuse et je te bute ! »

 

J’ai frappé à la porte…

 

« J’ai frappé à la porte. Le type a ouvert. Je lui ai dit : “Monsieur, nous vous avons condamné à mort. Si vous avez des convictions religieuses, faites votre prière. Vous avez trois minutes pour vous préparer à la mort.” Je tenais d’une main une grosse montre et de l’autre mon pistolet. Quand les trois minutes furent écoulées, j’ai tiré, plusieurs fois. Et j’ai tourné les talons. Je m’étais juré de vider mon chargeur. Une fois dehors, je me suis aperçu qu’il contenait encore une balle. Je suis retourné dans la maison, le type était par terre. J’ai tiré ma dernière balle et je suis reparti. »

 

Un fer à béton ?

 

Deux insurgés gisent sur un trottoir. Leurs corps ensanglantés sont aux trois quarts dénudés. Ils sont frappés à coups de pied par une dizaine de miliciens qui hurlent, rient, s’interpellent. L’un des deux insurgés ne bouge pas. Il a le pantalon baissé. On lui a arraché le sexe. Il porte de nombreuses plaies au torse. L’autre est quasiment nu. On lui a arraché le sexe. Il est couvert de sang. L’un des miliciens qui entourent les deux hommes a pris une longue tringle qui pourrait être un fer à béton. Il la plante dans la bouche de l’insurgé et lui soulève la tête. L’insurgé hurle. Le milicien continue de soulever la tête et finit par faire bouger tout le corps avec sa tringle plantée dans la bouche de l’insurgé.

 

Fous

 

Le général : « Ici le général M. »

Le colonel : « Oui, mon général. »

Le général : « Bombardez la Présidence et le Parlement. Tirez à intervalles espacés jusqu’à ce que je vous donne l’ordre d’arrêter. Bombardez-les jusqu’à les rendre fous. »

 

Une petite route forestière

 

Intérieur camion. Sur le plateau d’un camion bâché. Six corps allongés, entremêlés, mains attachées derrière le dos. La couleur dominante est le bleu. Une paire de jambes munie de rangers monte dans le camion, marche sur les corps entremêlés et va s’asseoir au fond, sur une banquette. La paire de jambes munie de rangers appartient à un milicien. Celui-ci tient une arme automatique à la main. Les six corps entremêlés sont des prisonniers. Le milicien : « Qu’est-ce que tu as à trembler comme ça, enculé de ta mère ! » Il donne un grand coup de pied dans la tête d’un prisonnier. L’un des prisonniers porte une chemise d’un très joli bleu.

Extérieur route forestière. Il fait beau. Une dizaine de miliciens font les cents pas près du camion. Deux d’entre eux mâchent nerveusement un chewing-gum. Ils regardent le paysage, se regardent, regardent le camion. L’un d’eux réajuste sa casquette sur la tête. Ils paraissent attendre quelque chose. Puis un milicien : « Allez, dehors ! Allez, sortez du camion ! Plus vite que ça ! Allez, bougez-vous ! » Puis un milicien : « Plus vite ! Plus vite ! » Puis un milicien : « Allez, par là, allongez-vous sur le côté, là. » Il montre le bas-côté de la route. Le premier prisonnier saute du camion, les mains attachées dans le dos. Un milicien : « Allez, dehors, allez, sortez du camion ! Plus vite que ça ! » Un milicien : « Allez, bougez-vous ! Mets-toi là-bas au bord. » Il montre le bas-côté de la route. Un milicien : « On descend, allez, on descend ! » Le deuxième prisonnier saute du camion, les mains attachées dans le dos. Il est pieds nus. Il a le visage tuméfié. Il s’allonge sur le bas-côté, face contre terre, et doit repousser un gros caillou avec les pieds pour étendre ses jambes. Un milicien : « Va te mettre là-bas contre. » Un milicien : « Attends là-bas ! Allonge-toi, comme quand tu fais ta prière, enculé de ta mère ! » Un milicien : « Plus vite, plus vite, allez ! » Le troisième prisonnier saute du camion, les mains attachées dans le dos. Un milicien : « Plus vite, allez, bougez-vous ! » Le quatrième prisonnier saute du camion, les mains attachées dans le dos. Un milicien : « Allez, va t’allonger là-bas avec les autres ! » Le cinquième prisonnier saute du camion, les mains attachées dans le dos. Un milicien : « Plus vite que ça ! » Un milicien : « Plus loin, fils de pute ! » Le sixième prisonnier saute du camion, les mains attachées dans le dos. Un milicien : « Hop là ! » Un milicien : « Bravo ! » Un milicien : « Allez, dépêche-toi ! Tu étais plus rapide pour nous tirer dessus, hein ! » Un milicien : « La tête contre le sol ! » Un milicien : « Ils vont s’allonger ces deux-là ? Allez, on s’allonge ! » Un milicien : « Pousse-le » Un milicien : « On baisse la tête ! » Un milicien : « Voilà, fais un effort, fiston ! » Un milicien : « C’est bien. » Les six prisonniers sont allongés les uns à côté des autres, face contre terre, au bord de la petite route forestière. Leurs vêtements sont déchirés et souillés. Un camion militaire passe sur la route sans s’arrêter. Les miliciens se sont regroupés autour des prisonniers. Un milicien filme avec une petite caméra. Un prisonnier : « De l’eau. » Un milicien s’accroupit à ses côtés, fusil automatique posé sur ses genoux. Lui et le prisonnier parlementent. Le milicien : « Il n’y a pas, il n’y a pas. » Le prisonnier parle mais on ne comprend pas ce qu’il dit. Le milicien : « De quoi ? » Le milicien : « Rien du tout ! » Le milicien : « Mais de quelle eau tu parles, putain de merde ! » Le milicien : « Tu en donnais de l’eau, toi, à tes prisonniers ? Allez, ferme-la ! » Le milicien : « De toute façon, bientôt tu n’auras plus soif alors maintenant tu baisses la tête ! » Un milicien : « Allez, oust ! Silence ! On ne parle pas ! » Un milicien, s’adressant au prisonnier qui paraît le plus jeune : « Toi là, tu as déjà baisé avec une femme ? » Le prisonnier : « Non, Monsieur. » Le milicien : « Bon, eh bien, tu ne connaîtras jamais ça ! » Les miliciens rient. Les miliciens regardent les six prisonniers allongés, font les cents pas, discutent tranquillement, fument, plaisantent. Un milicien : « Regarde celui-là comme il tremble. » Un milicien : « Et lui, il s’est chié dans le froc. » Un milicien ajuste son fusil d’assaut et tire juste au-dessus de la tête d’un prisonnier. Un milicien : « C’est beau par ici, la nature… » Un milicien : « C’est vrai, on n’a pas à se plaindre. » Puis, un milicien : « Allez, debout ! » Un milicien donne des coups de pied dans les jambes des prisonniers pour qu’ils se lèvent plus vite. Un milicien : « Allez, on y va ! On y va ! » Un milicien : « Allez ! Yala ! Yala ! » Un milicien montre du doigt la direction à prendre. Les six prisonniers marchent sur la route, tête baissée, mains attachées dans le dos, en file indienne. Les miliciens les entourent. L’un des miliciens sifflote en regardant le paysage. L’un des miliciens marche devant, fusil d’assaut tenu par la détente, la crosse appuyée contre la hanche. Il fait beau.

Extérieur clairière. Un milicien : « Couche-toi là ! Couche-toi ! » Le premier prisonnier se met à genoux, les mains toujours attachées dans le dos. Un milicien : « Allez, avance, enculé de ta mère ! » Un milicien tire trois balles dans le dos du prisonnier. Un milicien : « Allez, on avance ! ». Le deuxième prisonnier reste debout et se retourne vers le milicien qui a tiré. Le milicien tire une courte rafale. Puis une seconde. Le prisonnier s’écroule et tombe sur le corps du premier prisonnier. Un milicien : « Allez, on avance, on avance ! » Un milicien : « Attends, attends qu’il filme un peu. » Un milicien : « Les femmes et les enfants d’abord ! » Un milicien tire trois balles dans le dos du troisième prisonnier. Puis deux balles dans son corps qui git désormais au sol. Un milicien : « Allez, on y va ! » Le quatrième prisonnier s’avance. Il tremble, rentre les épaules. Un milicien tire une rafale. Le quatrième prisonnier s’écroule. Puis, les deux prisonniers encore en vie sont contraints de transporter les corps des quatre prisonniers dans une maison en ruine qui se trouve un peu plus loin (un milicien : « On baisse la tête ! » Un milicien : « Allez, chopez-le ! Comme ça ! » Un milicien : « Allez, dépêchez-vous ! »). Puis, les deux derniers prisonniers sont allongés à même le sol dans une pièce de la maison en ruine et plusieurs miliciens leur tirent dessus depuis l’extérieur (un milicien : « Fais gaffe, putain, pas le mur. » Un milicien : « Pousse-toi un peu à droite. » Un milicien : « Attends, celui-là respire encore ! Putain de sa mère ! » Un milicien : « Attends, j’ai encore trois balles. » Un milicien : « Tire-les, bordel ! » Un milicien : « Enfoiré ! »).

 

 

Jeune et jolie

 

Deux soldats en treillis, sourire aux lèvres, encadrent une jolie jeune femme entièrement dénudée qu’ils tiennent fermement chacun par un bras. La femme serre les jambes, tente de dissimuler ses seins avec ses mains et se tortille pour cacher sa nudité.

 

 

On patrouille…

 

« On patrouille dans la rue. On voit un groupe de cinq adolescents qui boivent du thé et jouent tranquillement au backgammon. On passe, on renverse leur table et on se met à les frapper. On savait qu’à peine passés, ils nous auraient traités de pédés, de bâtards, qu’ils allaient nous jeter des pierres et des bouteilles. Alors, on les a tapés avant. Parce qu’après, on n’aurait pas pu les attraper. »

 

 

À droite à gauche

 

Un homme debout, nu, dans une salle faiblement éclairée. Ses bras sont maintenus levés, attachés par un système de courroies. Un membre des forces spéciales lui donne de violents coups de poing au visage : une fois à droite, une fois à gauche, une fois à droite, une fois à gauche, une fois à droite, une fois à gauche. L’homme des forces spéciales reprend son souffle, il se repose quelques instants puis se remet à frapper : une fois à droite, une fois à gauche, une fois à droite, une fois à gauche, une fois à droite, une fois à gauche.

 

 

La femme et l’enfant

 

Un garde, fusil à l’épaule, pousse une femme devant lui. Il lui serre vigoureusement le bras et tente de lui faire rejoindre une file de femmes qui attend devant un baraquement. Soudain, surgit un petit enfant qui court vers la femme. La femme se retourne et tente de se dégager de la poigne du garde. Le garde repousse l’enfant de la main, mais l’enfant revient à la charge et se réfugie dans les jambes de la femme. De nouveau le garde le repousse fermement. Le petit enfant galope de nouveau vers la femme qui de nouveau tente de se dégager pour se précipiter vers l’enfant. Mais l’enfant tombe et reste comme cloué au sol, alors que le garde pousse la femme vers la file des femmes en lui donnant un grand coup de pied aux fesses.

 

 

Planter des clous

 

Quatre soldats entourent deux jeunes hommes assis par terre, dans la rocaille, mains liées derrière le dos. L’un d’eux a la tête dans un sac en plastique noir. Les soldats leur donnent des coups de pied dans le dos, dans le ventre, dans la tête. Un soldat les frappe avec son casque. Puis deux soldats prennent des cailloux et frappent les jeunes hommes sur les bras et les jambes à un rythme régulier, comme s’ils plantaient des clous.

 

 

J’ai décidé…

 

« J’ai décidé de procéder à la torture. Je lui ai révélé ceux qui l’ont dénoncé, sans maîtriser ses points faibles. Je l’ai fait avec violence. Résultat nul. Selon mon analyse, il s’affaiblit mentalement. Sous la torture, il n’a aucune réaction. Je l’ai réinterrogé, toujours rien. Santé : il mange peu de potage, dort peu. Nos médecins le soignent. Le matin du 20 juillet, on lui rentre encore dedans. Cette fois, il réagit. Il dit qu’il n’a pas trahi, que ceux qui l’ont dénoncé sont des traîtres. Santé : affaibli, mais rien à signaler. Le soir, la nuit du 21, nouvelle charge. Électricité, excréments. Il insulte ceux qui le frappent. “Frappez-moi jusqu’à la mort !” On lui fait avaler trois ou quatre cuillers de merde. Tard dans la nuit, on l’électrocute, cette fois plus lourdement. Il divague. Tout va bien. Puis il avoue en partie, comme indiqué ci-dessus. »

 

 

Sur la route

 

Un soldat accompagne un prisonnier sur une route. Il lui dit de filer et attend qu’il soit à quelques mètres pour lui tirer une balle dans le dos. L’homme s’écroule pendant que le soldat réarme tranquillement son fusil.

 

 

Au garage

 

Des soldats battent un jeune homme allongé sur le sol d’un garage, mains liées derrière le dos. Ils frappent avec des cordes, des bâtons, des tringles. Ils lui donnent des coups de pied sur tout le corps, parfois en plein visage. Un soldat lance à plusieurs reprises une roue de voiture sur la tête du jeune homme. Un soldat prend le jeune homme dans les bras et le jette violemment sur le sol. Un soldat saute à pieds joints sur le dos du jeune homme. Un soldat approche son briquet des cheveux du jeune homme. Les cheveux prennent feu. Tout le monde rit et le soldat a du mal à éteindre le feu. Il tente d’étouffer le feu en tapant sur la tête du jeune homme avec son pied. Il jette la roue de voiture sur la tête pour étouffer les flammes. Puis ils continuent de battre le jeune homme. Parfois, un soldat saute sur le jeune homme à pieds joints. Parfois, un soldat lui donne des coups de pied dans le visage.

 

 

Le 22…

 

« Le 22, je suis arrivé au barrage installé devant la maison d’A. Les prisonniers avaient déjà été rassemblés ici. Le chef leur a demandé de s’allonger côte à côte, face contre terre. Il a pris une massue et il les a tués l’un après l’autre. Quand il a commencé à fatiguer, il nous a demandé de l’aider. Il m’a menacé de me tuer si je ne tuais pas la vieille femme. Alors, j’ai pris ma hache, celle pour couper les arbres. Avec ma hache, je l’ai frappée deux fois à la tête. »

 

 

Dans l’herbe

 

Un groupe de soldats entoure un homme allongé dans l’herbe. Ils lui donnent de grands coups de pied sur tout le corps. Puis un soldat le relève et lui ordonne de marcher à quatre pattes. L’homme se met à marcher à quatre pattes. Le soldat s’assoit sur son dos et lui demande de continuer à avancer. Il tient un couteau à la main. L’homme pleure, supplie. Il ne dit pas : « Je ne veux pas mourir », il dit : « Je veux vivre. » Le soldat qui le chevauche le prend par les cheveux, lui tire la tête en arrière et lui enfonce son couteau dans la gorge. Les supplications de l’homme sont noyées dans un gargouillement de gorge.

 

 

Les jeunes hommes

 

Un groupe de jeunes hommes sautent d’un camion. Des soldats en arme leur montrent la direction de la fosse. Au bord de la fosse une quinzaine de soldats attendent, arme au poing. Les jeunes hommes courent vers la fosse, mécaniquement, terrorisés mais très dociles ; ils suivent la direction que leur indique un officier. L’officier n’est pas brutal, il est juste efficace, méticuleux, guide les hommes dans leur course, leur montre la direction de la fosse. Un autre soldat les presse de descendre dans la fosse. Les prisonniers s’allongent contre la paroi de la fosse, dos aux soldats qui se mettent en joue. Quelques secondes d’attente. Puis les soldats tirent sur les hommes qui s’effondrent. Deux ou trois soldats font tomber un peu de terre dans la fosse, sur les corps, avec leurs pieds. Un autre groupe de jeunes hommes sautent d’un camion, courent vers la fosse, mécaniquement, terrorisés mais très dociles ; ils suivent la direction que leur indique un officier. L’officier n’est pas brutal, il est juste efficace, méticuleux, guide les hommes dans leur course, leur montre la direction de la fosse. Un autre soldat les presse de descendre dans la fosse. Les prisonniers marchent sur les corps et s’allongent face à la paroi de la fosse, dos aux soldats qui se mettent en joue. Quelques secondes d’attente. Puis les soldats tirent sur les hommes qui s’effondrent. Deux ou trois soldats font tomber un peu de terre dans la fosse, sur les corps, avec leurs pieds. Un autre groupe de jeunes hommes sautent d’un camion, courent vers la fosse, mécaniquement, terrorisés mais très dociles ; ils suivent la direction que leur indique un officier. L’officier n’est pas brutal, il est juste efficace, méticuleux, guide les hommes dans leur course, leur montre la direction de la fosse. Un autre soldat les presse de descendre dans la fosse. Les prisonniers marchent sur les corps et s’allongent face à la paroi de la fosse, dos aux soldats qui se mettent en joue. Quelques secondes d’attente. Puis les soldats tirent sur les hommes qui s’effondrent. Deux ou trois soldats font tomber un peu de terre dans la fosse, sur les corps, avec leurs pieds. Un autre groupe de jeunes hommes sautent d’un camion, courent vers la fosse.

 

 

Notre objectif…

 

« Notre objectif sera approximativement à soixante kilomètres au sud de C***. Nous formons un groupe de quatre appareils. Chaque appareil emporte trois tonnes de bombes. Remarquable ! Vous allez voir des bombes et du napalm. Deux appareils, les numéros 1 et 2, ont les bombes. Modèle cinq cents livres et deux cent-cinquante livres à usage multiple. Les numéros 3 et 4 ont le napalm. Ça va être chouette. Un peu de tir au sol, beaucoup de napalm et peut-être même des ennemis. Ça va être le moment. Attention à droite. Allez-y ! Napalm ! Regardez comme ça flambe ! Ok, on vole bas pour éviter leurs tirs. Je redresse juste avant les arbres. Un carton superbe ! D’abord les bombes et puis les gens qui courent de partout. Fan-tas-tique ! On ne voit pas souvent les ennemis cavaler comme ça. Là on sait qu’on les tient et quand ils courent, on ne les lâche plus ! Donc on a bombardé, ensuite on a arrosé le secteur et c’est là qu’ils ont cavalé ! Après, le napalm et on, on… on les fixait au sol tout en esquivant la DCA. Vous avez vu les traceuses ? Fan-tas-tique ! C’est quand on les fait sortir de leurs trous qu’on peut vraiment les tirer. C’est ça qu’on aime. C’est pour ça qu’on est là. C’est formidable de les piquer à découvert, ça n’arrive pas tous les jours.
— Objectifs touchés ?
— Absolument.
— Tu es sûr ?
— Et comment ! Tu ne les as pas vu courir ? Je sais qu’on les a eus. J’ai là quatre canons de vingt millimètres, vous voyez. Ils y ont eu droit. C’est le pied. J’adore vraiment faire ça. Cet après-midi les hélicoptères vont venir voir. Ça va sûrement tirer. Parce qu’on ne les sort jamais tous de leurs bunkers. Il va y avoir du sport. J’aimerais pouvoir suivre une opération de nettoyage juste après un de nos raids, juste pour reconnaître leur efficacité. On nous félicite pour nos bombes et particulièrement pour le napalm parce que ceux que le napalm n’a pas brûlés sont quand même sonnés. Ces grosses bombes, ça leur crève les tympans et ça les met KO. »

 

 

Le petit lit

 

Un petit lit en fer au milieu d’une salle de classe vide au sol carrelé. La tête du lit est constituée d’un cadre tubulaire en métal. À l’intérieur de l’espace ménagé par le cadre court une frise ajourée, également métallique, qui dessine le motif d’une double spirale reliée au cadre tubulaire par un faisceau symétrique de fines tiges de fer. Le sommier est un treillis métallique dont l’armature est une cornière en acier. Le treillis est constitué d’une maille 60 ⁄ 60 en lattes d’acier de huit millimètres. Sur le treillis est disposé une boîte de munitions, une barre dans laquelle est glissé un double étrier en forme de U, une chaîne. À quelque distance du lit, sur le sol, sont disposés une truelle, une hache, une corde, une lanière en cuir, un double crochet, deux fils électriques munis de pinces crocodiles, une petite pioche, une tringle, une jarre, une pelle, un bâton, une pince arrache-clou.

 

 

Chacun son travail

 

« Ce document montre que vous déportiez des personnes de 80 ans.
— Peut-être, peut-être…
— Vous avez dit que ces gens allaient travailler dans les camps ?
— Je ne sais pas. Je ne pouvais pas passer mes journées à m’inquiéter de ce qui pouvait leur arriver.
— Pourquoi ?
— Parce que ça n’était pas mon travail. »

 

 

Histoire du président qui n’était plus président

 

Le président déchu est assis par terre dans une pièce, entouré de soldats en tenue léopard. Sa chemise est déboutonnée, tirée vers l’arrière. Il est en slip. Il a les mains attachées dans le dos et porte des traces de coups sur les cuisses, le torse, le visage. Le chef des soldats est installé derrière un bureau. Il ne lâche pas son talkie-walkie. Deux grenades quadrillées sont accrochées au revers de sa veste de treillis. Une jeune fille lui éponge le front et l’évente en souriant. Il sirote une canette de bière en parlant calmement au président déchu assis par terre en face de lui. Un homme tend un micro au président déchu. Il tente de l’interroger mais dans le brouhaha, le président déchu a du mal à répondre. Un homme lui tire sa chemise par derrière et parvient à la déchirer. Le président déchu est à présent torse nu. Un soldat lui tient la tête et lui essuie violemment le visage avec un morceau de sa chemise. Deux soldats se disputent, ils crient. Le président déchu regarde les soldats qui l’entourent, il supplie, pleure, bouge la tête de droite à gauche en signe de consternation. Un soldat lui caresse la tête. Un autre soldat rit en mimant le geste de la caresse sur un autre soldat. Le président déchu et le chef discutent. D’autres soldats se mêlent à la conversation. Tout le monde parle. Le président déchu a du mal à se faire entendre. Le chef toujours confortablement installé au bureau ne cesse de parler aux uns aux autres, et aussi au président déchu. Des soldats de plus en plus nombreux se pressent autour du président déchu pour le regarder. Un jeune soldat brandit un pistolet, il le pointe vers la tête du président déchu en souriant. Puis les soldats allongent le dictateur déchu sur le dos, l’un d’eux le maintient au sol en se tenant debout en équilibre sur son torse tandis qu’un autre soldat armé d’un couteau à large lame le prend fermement par la tête et lui coupe les oreilles.

 

 

Quand les premiers…

 

« Quand les premiers sont passés devant moi pour descendre dans la fosse, K. leur a pincé la nuque avec ses mains ou ses doigts. En même temps, il s’est tourné vers moi et m’a dit en substance : “Vous visez là.” »

 

 

Il fait froid

 

Un homme est allongé nu, attaché par des lanières sur une table d’examen. Un membre des forces spéciales verse lentement une bassine d’eau glacée sur tout le corps de l’homme. L’homme grelotte. Ses jambes se tendent, tremblent, se raidissent. Ses muscles abdominaux se contractent. Ses épaules tremblent, se raidissent. Ses bras se tendent, tremblent, se raidissent. Ses genoux s’entrechoquent, se raidissent, se tendent. Son corps est pris de convulsions.

 

 

Le baluchon

 

Une trentaine de corps ont été rassemblés sur le tarmac et entassés sur un grand filet constitué d’un treillis métallique. La nasse ainsi réalisée a été refermée au moyen d’un câble dont l’une des extrémités a été accrochée sous l’hélicoptère. Puis l’hélicoptère a décollé et il a emporté la nasse qui se balance à présent mollement, comme un gros baluchon, sous l’appareil. Et l’hélicoptère disparaît dans le ciel après avoir survolé quelque temps la campagne environnante avec son baluchon.


Jean-Michel Espitallier

Ecrivain, Poète

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