Essai littéraire

Nos cabanes

auteure

Qu’il s’agisse d’essais comme Façons de lire, manières d’être ou Styles, d’un pamphlet-poème comme Sidérer, considérer ou d’un texte littéraire comme cet inédit qu’elle donne ce dimanche à AOC : c’est toujours en lisant que Marielle Macé écrit.

Faire des cabanes : imaginer des façons de vivre dans un monde abîmé.

Trouver où atterrir : sur quel sol rééprouvé, sur quelle terre repensée, prise en pitié et en piété — mais aussi sur quels espaces en lutte, discrets ou voyants, sur quels territoires défendus dans la mesure même où ils sont habités, cultivés, ménagés plutôt qu’aménagés. Pas pour se retirer du monde donc — s’enclore, s’écarter, tourner le dos aux conditions et aux objets du monde présent. Pas pour se faire une petite tanière dans des lieux supposés préservés et des temps d’un autre temps, ni croire renouer avec une innocence, une modestie, une architecture première, des fables d’enfance, des matériaux naïfs, l’ancienneté et la tendresse d’un geste artisanal… Mais pour leur faire face autrement, à ce monde-ci et à ce présent-là, avec leurs ressources et leurs saccages, avec leurs espérances, leurs colères, leurs rebuts, leurs possibilités d’échappées. Loin du cabanon solitaire de Thoreau, qui élaborait près du lac de Walden une réflexion sur les vertus d’une vie conduite à l’écart (même si la solitude d’une aventure rendue à la nature s’y concevait comme une révolte) : faire des cabanes aux bords des villes, dans les campements, sur les landes, mais aussi au cœur des villes, sur les Places, dans les joies et les peurs. Sans ignorer que c’est avec le pire du monde actuel (de ses refus de séjours, de ses rejets, de ses débris) que certaines de ces cabanes ont à se faire, qu’elles sont donc co-construites par ce pire et par les gestes qui lui sont opposés.

Faire des cabanes en tous genres — inventer, jardiner les possibles ; sans craindre d’appeler « cabanes » des huttes de phrases, de papier, de pensée, d’amitié, de nouvelles façons de se représenter l’espace, le temps, l’action, les liens, des modalités de la pratique. Faire des cabanes pour occuper autrement le terrain ; c’est-à-dire toujours, aujourd’hui, pour se mettre à plusieurs.

Pas pour prendre place, se refaire une place là où ça ne gênerait


Je dédie ce texte à Emmelene Landon. Et à Nathalia, Blandine, Nadir, Romain, Elvina, Elsa, Youna…

(1) Bertrand Guest, Révolutions dans le cosmos. Essais de libération géographique : Humboldt, Thoreau, Reclus, Paris, Classiques Garnier, 2017. Thomas Giraud, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Lille, La Contre allée, 2016.

(2) Jean-Marie Gleize, Le Livre des cabanes. Politiques, Paris, Le Seuil, 2015. Et à ce Livre des cabanes répond aujourd’hui, à sa façon, un Livre des places (Paris, Inculte, 2018).

(3) Être fleuve est une œuvre de Giuseppe Penone ; Être pierre une exposition récente au musée Zadkine ; Jane Sautière, Mort d’un cheval dans les bras de sa mère, Paris, Verticales, 2018.

(4) Vinciane Desprets, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte, 2012 ; Penser comme un rat, Éditions Quae, 2009. Eduardo Kohn Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l’humain, Bruxelles, Zones sensibles, 2017. Emanuele Coccia, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Payot & Rivages, 2016.

Marielle Macé

auteure, directrice d'études (EHESS-CNRS)

Rayonnages

FictionsEssai

Notes

Je dédie ce texte à Emmelene Landon. Et à Nathalia, Blandine, Nadir, Romain, Elvina, Elsa, Youna…

(1) Bertrand Guest, Révolutions dans le cosmos. Essais de libération géographique : Humboldt, Thoreau, Reclus, Paris, Classiques Garnier, 2017. Thomas Giraud, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Lille, La Contre allée, 2016.

(2) Jean-Marie Gleize, Le Livre des cabanes. Politiques, Paris, Le Seuil, 2015. Et à ce Livre des cabanes répond aujourd’hui, à sa façon, un Livre des places (Paris, Inculte, 2018).

(3) Être fleuve est une œuvre de Giuseppe Penone ; Être pierre une exposition récente au musée Zadkine ; Jane Sautière, Mort d’un cheval dans les bras de sa mère, Paris, Verticales, 2018.

(4) Vinciane Desprets, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte, 2012 ; Penser comme un rat, Éditions Quae, 2009. Eduardo Kohn Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l’humain, Bruxelles, Zones sensibles, 2017. Emanuele Coccia, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Payot & Rivages, 2016.