Nouvelle

The Spy Part of Me

écrivaine

Une écrivaine française fait connaissance dans un bar new yorkais d’un ex-chauffeur de taxi devenu comptable, Mister Brown. Celui-ci lui confie que son voisin est aussi écrivain. Un bien mystérieux écrivain qui habite Central Park West, non loin d’où vivait Edgar Allan Poe. C’est une très belle nouvelle en forme de portrait et d’enquête littéraire que livre ici Hélène Frappat, auteure de six romans et d’essais sur le cinéma.

Mister Brown n’était pas son vrai nom. Il le portait pourtant depuis sa naissance, et sous ce nom avait joué, enfant, dans les rues de Flatbush Avenue, en compagnie de Bernie Sanders, capitaine de l’équipe sportive de son école. Dans les années quarante, ce quartier était surnommé Jewish Brooklyn. Mister Brown, avec un mélange d’ironie et d’effroi, imaginait les commentaires de sa mère si elle avait vécu assez longtemps pour assister à l’arrivée des Chinois qui avaient succédé aux Juifs. Le petit Stuart, qui désirait à tout prix pour sa bar mitsvah un costume vert, s’était rendu compte qu’il était daltonien, en désignant à sa famille tous les costumes gris des vitrines de Flatbush Avenue.

Entre 1973 et 1983, Stuart Brown avait été chauffeur de taxi à Miami, sortant avec des femmes innombrables dont il soulignait les initiales, dans son journal intime, quand il avait couché avec elles. Au Costa Rica il avait tenté d’écrire son journal en espagnol. Mais lorsque sa mère était morte, il avait noté, dans sa langue maternelle : She is dead.

Depuis plusieurs années, il exerçait la profession de comptable dans un immeuble de bureaux proche de Times Square, à l’entrée gardée par un exilé haïtien. Il avait dépassé depuis longtemps l’âge de la retraite, dans un pays où la retraite n’existe pas. Chaque soir, après avoir bu avec ses collègues un verre d’une bouteille de whisky si lourde qu’ils l’appelaient the handle (du nom de la poignée avec laquelle on soulevait ses 1,7 litre), il quittait les avenues de Hell’s Kitchen où le tumulte ne faiblit pas pour remonter vers une rue ombreuse du quartier paisible de Central Park West. Il avait transmis son nom à ses deux chats, LeRoy et Smoky Brown.

Quand je l’ai vu arriver — petite silhouette ventrue, la tête repliée entre les épaules voûtées, qui se redresse soudain pour lancer un regard perçant, méchant presque —, je n’ai pas réussi à associer le nom passe-partout (trop banal, même pour un espion), le nom sans identité, sans âge, a


Hélène Frappat

écrivaine, critique et traductrice

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