Pourpre
Voyant l’avion glisser sur les vitres de la tour, je m’étais abandonné aux images que mon regard décrivait. La minuscule silhouette de l’appareil progressait sur les derniers étages de l’immeuble, elle se déformait à l’accroche des chambranles et persévérait dans son mouvement rectiligne. Le parement des baies réfléchissait les moindres diffractions de l’engin dont l’image présente évoquait davantage l’ondoiement d’un corps aquatique, avec ses légers remous parmi les tons bleutés d’une façade si sombre qu’elle n’avait d’autres couleurs à porter que celles qui garnissaient le ciel. J’examinais ce cadre sans quitter l’avion des yeux, traquant ses variations les plus infimes et la menace de son mouvement, et c’était une sensation spectaculaire que de constater ma propre impuissance face au tableau vivant de l’avancée du bec drainant après lui la carcasse, les ailes, la dérive et tout le fuselage tapi dans le double-vitrage. Je demeurais immobile au beau milieu de la dalle durant quelques minutes, et détournant soudain les yeux de son reflet, je me mis à chercher la présence flottante en tentant de figurer la géométrie du ciel barré par cet appareil qui traversait mes visions et survolait mes pensées.
La ville s’étendait en contrebas dans une grande impression de calme et d’innocence. Le parvis surélevé permettait d’observer ses motifs répliqués jusqu’à perte de vue et je balayais du regard les enfilades de toits, les fumerolles des usines et les échangeurs torsadés. Je scrutais plus attentivement la forme d’un monument ou d’un parc détachée du paysage puis reprenais ma contemplation de la masse urbaine et endormie. Le décor était baigné d’une légère brume qui stagnait dans l’air matinal et enveloppait la ville de contrastes adoucis et de teintes confuses. Les textures de béton, de fer et d’asphalte s’imbriquaient sous l’éclairage uniforme d’un ciel aux couleurs pâles duquel s’échappaient parfois les premiers rayons du jour, traçant l’ébauche d’un paysage suspendu à la