Récit

Max und Moritz, et Ma Mère — und dann kommt der Tod herbei

Écrivaine

La littérature enfantine d’Hélène Cixous, celle que sa mère prend plaisir à lire-jouer à ses enfants, c’est Wilhelm Busch (1832-1908), l’humoriste, dessinateur et inventeur de Max et Moritz. Le français « outrallemant » d’Eve Cixous anime les histoires cruelles de ces deux affreux garnements. « Je dois tout à Wilhelm Bouche. » D’où vient la littérature qu’on porte en soi ? L’auteur d’Homère est morte… a prononcé ce texte magnifique, aux sources de l’art qu’est la littérature, lors d’un colloque qui lui était consacré, et, avant la publication des actes, fait l’honneur d’en donner la primeur à AOC.

Dehors, c’est la guerre. Après l’alerte de la nuit les sirènes ont lancé leurs youyous dans l’air noir percé des feux de Bengale de la DCA, la Ville fait encore l’escargot, il n’y a personne dans les rues, sauf les jeeps. Dedans il fait donc chaud et tendre, comme si on venait de naître, le monde est un gâteau encore tiède, l’enfance c’est le paradis encerclé par la mort, un délice. Désormais il y aura toujours pour mon for intérieur cette terre à deux univers. Hier mon frère a été écrasé par une jeep sur la Place d’Armes, et il n’est pas mort. Il a été couronné petit malade principal de la maison. C’est pour lui que ma mère devient d’un jour à l’autre metteur en scène, auteur de théâtre et Grand Maître du Livre. Alors elle crée. En premier lieu, elle fabrique l’homme. Puis la femme. Ce sont des marionnettes qui ont la dimension de sa main. Le peuplement croît vite. Le théâtre du monde est dans la chambre. Entrent tous les personnages de Shakespeare et des Grecs, parmi lesquels plusieurs paires de Roméo et Juliette, un Hitler complet un seul, deux professeurs avec lunettes et sans, une concierge avec balai pour balayer les débris des personnages, une Bécassine anti-Hitler, et en haut de l’affiche Max et Moritz, sacripants, et désormais nos éternels inséparables. Les tréteaux, c’est le pied du lit du blessé. Le répertoire est bilingue, en vedette l’allemand et le français, compères lurons, joyeux larrons, l’un parlant l’autre, avec l’infime sel d’un accent, l’un tirant la langue à l’autre. Et la voix grave de Maman. Ce fut alors que ma mère nous présenta le Créateur de la Littérature. C’est un Satan pour enfants, un dieu moqueur, un savant, un satyre, un généalogiste de l’amorale, et ce fabuleux philosophe-artiste, chantre de l’art pour lard, ma mère, qui l’a eu pour pédagogue, l’appelle Wilhelm Busch, dans sa langue. Dans notre langue il s’appelle Vilaine Bouche. Qu’est-ce qu’il y a dans un nom ?

Je dois tout à Wilhelm Bouche, tout ce qui fait le brouet enchanté. Dè


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