Nouvelle

Thank you for your time, la vie !

Écrivain

Il apprend qu’il a Alzheimer, mais reste en grande forme. Et même exclame sa dette envers la vie, la vie qui file, avance et recule dans le temps, impunément. « Elle est encombrante, la vie ! Nous ne sommes pas assez grandement logés pour supporter un pareil bestiau ! » Une microfiction inédite, que vous ne trouverez donc pas dans Microfictions 2018 maintenant en poche.

Nous sommes en 2019, tout le monde le dit ! Cependant quand le type m’annonça guilleret que je n’allais pas m’en tirer si facilement – de la vie – et qu’avant de crever je subirais le lavage de cerveau de la maladie des vieux, cependant – à ce moment-là – nous n’étions guère qu’en 1955 ! D’ailleurs, le cabinet du fucking doctor était enfumé comme un bouge ! À cette époque, le corps médical favorisait la tabagie à longueur de réclames, et les pauvres poitrinaires qui – en fin de vie – abandonnaient la cigarette à force de toux, de brûlures et d’étouffements, étaient traînés dans la boue par les infirmiers qui les traitaient de sissy et de poule mouillée ! À la Libération, beaucoup de non-fumeurs ont été fusillés et enterrés dans des boîtes de corned-beef barrées de l’inscription ripolinée Mort en lâche !

 

Anyway ! J’avais pris rendez-vous avec Luminon Manoulier, célèbre neurologue qui avait réussi à occire les punaises de cerveau qui démangeaient Churchill et l’obligeaient à se taper la tête contre les murs !

— Doctor Manoulier, is it really serious ?

— I think so, poor Jaujau !

— But, maybe a diet ? Feet exercises ? Water sports ? Acrobatic blow jobs with my own mouth ? What if I’d became a turtle ?

— You’ve got a fucking huge Alzeimer’s, Régis ! That’s all ! No medicine ! No massages ! No miracles !

Je lui fis part de ma volonté de me suicider pour épargner à mes proches le spectacle de ma déchéance !

— Might I ask you, dearest Dr Manoulier, to prescribe me a significant amount of morphine, so that I can die peacefully of an overdose ?

Il éclata d’un rire métallique comme un soldat de plomb.

— You are considering to commit suicide ! I like it so much ! You are quite a harsh guy !

Le doc sortit d’un tiroir de son bureau un revolver et me demanda d’aller me canarder dans ses toilettes carrelées afin de ne pas endommager la toile de Jouy qui ornementait ses murs !

— Dr Manoulier, it’s too cruel ! I don’t deserve that kind of death ! I prefer living than shooting myself like some kind of Russian traitor !

— You little bitchy slut ! Get out of my office ! I’ve no time to waste !

 

Sortant de son cabinet, j’ai trouvé boulevard Saint-Germain une chaude après-midi de juin 1966 ! En arrivant place Maubert, nous étions déjà en 1982 – à la toute fin d’octobre –, sous une plantureuse averse qui vous mouillait jusqu’à l’âme ! J’ai dû l’arracher de mon poitrail pour l’essorer dans le caniveau ! Elle était noire comme une tomate de Cossebœuf ! Hélas, le teinturier de la rue Saint-Jacques lui refusa le nettoyage à sec ! Avec un mauvais morceau de savon je l’ai lavée sous le pissou d’eau claire d’une fontaine Wallace ! Les taches étaient coriaces ! Il fallait frotter bon train ! Camarade Sylvain ! Mon Dieu, Bourmeau ! Que d’efforts pour un jour dans l’au-delà pouvoir faire le beau ! Quand mon âme fut blanche comme celle de DSK dont les tribunaux français chantent les louanges en condamnant l’écrivassier Geoffrey, dûment assigné par Richard Malka, ancien avocat de Charlie Hebdo et auteur de Rien à branler – source Wikipédia –, à le sponsoriser, afin de récompenser le glorieux animal pour son héroïque conduite dont bénéficia – dans une suite new-yorkaise, un matin de mai – la ressortissante d’une ancienne colonie gauloise à peau d’ébène, à laquelle l’opinion blanche ne pardonna jamais sa couleur ! Je l’ai essorée et séchée au vent de septembre de l’an 2002 qui commençait à souffler sur la place d’Italie que j’atteignais péniblement à cloche-pied pour éviter d’user mes deux mocassins à la fois ! Des souliers sur mesure, offerts par le président Emanuel Maton pour me récompenser de l’aimer, si ce n’est comme un fils, du moins comme un neveu, un vieil ongle, un de ces coussins dont on fait les radassiers, une de ces arrières-petites-frites dont on fait de copieux pot-au-feu quand la barbaque vient à manquer !

— My Gosh, déjà 19 heures ! Déjà le 12 ! Déjà avril ! Déjà 2017 !

 

Le temps est un préjugé, nous pourrions le remplacer par des chevaux ! Tous en selle, pauvres minutes que nous sommes, avec la poignée de secondes qui nous tombe du nez à chaque fois que nous éternuons comme un troupeau de poneys ! Mon mari m’attend au sommet de la tour Fido surmontée d’un chien d’osier dont les oreilles servent d’héliport ! Je prends l’ascenseur ! Voilà 2018 qui se pointe au vingt-sixième étage ! Au trentième, 2060 me tombe dessus ! Trop tard, je suis mort en ce temps-là ! Je ressuscite le 30 août 2019 qui coïncide avec le cinquantième étage où nous habitons, Camomille et moi ! Je l’embrasse, le caresse et lui reproche d’avoir profité de mon absence pour changer de sexe !

— Tu as même une forte poitrine !

Il a tenté de me convaincre que nous étions un couple hétérosexuel !

— Si j’étais un garçon, on m’appellerait Tilleul !

De toute façon, je faisais désormais partie de la tribu des Alzheimer dont fort peu deviennent des sex-symbols une fois la maladie déclarée !

— Tu es toujours sexy, Joujou Régis mon petit loup !

Et voilà que sonne Blanche Neige ! Elle nous demande une tasse de beurre !

— Car je confectionne une tarte aux pruneaux !

Camomille lui signale que le syndic va finir par porter plainte, si elle persiste à fracturer la porte qui donne sur le toit pour se jeter dans le vide dans le but de tester sa virginité ! Je lui propose d’effectuer un saut en binôme ! Elle refuse, de crainte que je ne l’entraîne dans la voie lactée, alors qu’elle a l’habitude de ne pas s’aventurer au-delà du nuage de pollution qui flotte au-dessus de cette ville pourrie qui nous tient chaud malgré tout, comme une de ces vieilles doudounes avec lesquelles on rêve de se faire enterrer afin de moins grelotter dans la tombe ! Pour se faire pardonner ses paroles peu amènes, Camomille propose à Blanche d’emporter notre chat pour en faire le sien ! Neige maugrée, s’en va, oubliant sa tasse vide et le beurre potentiel qu’elle aurait contenu si elle avait patienté !

— 19 heures 23 !

Camomille se déshabille sans pudeur au milieu du salon ! Car il aime à s’exhiber devant les cosmonautes de la station orbitale qui ! À cette heure-là ! Passe devant chez nous ! En retour ces gens lui montrent des photos du Kremlin !

— N’empêche, tu as volé un vagin !

Il prétend que c’est le sien, pourtantleshommesportentsouventàlaplaceunpénisrosepomponaccrochéaupubiscommeunporteclé ! Camomille me reproche de ne pas tenir des propos plus éthérés ! Je lui réponds que la vie est immense ! Qu’il faut ne jamais oublier de la remercier !

— Mercilavie !

— Merci !

— Merci bien !

Et la vie, telle un cobra, de s’élever devant nous en dandinant ses anneaux comme Salomé sa croupe aux lèvres d’Hérode ! Elle est encombrante, la vie ! Nous ne sommes pas assez grandement logés pour supporter un pareil bestiau ! Dieu merci, elle soulève la grille d’un conduit d’aération et s’échappe de l’appartement ! Qu’elle aille au diable mordre !

— Je suisAlzheimermonamour ! Je ne vais plus pouvoir écrire mes fameux romans ! De quoi vivrons-nous, mon gâteau fleuri ? Nous allons en avaler, des océans d’amertume ! En mâcher, du fiel ! L’aigreur donnera à notre épiderme une saveur de pomme à cidre ! Nous ne pourrons malgré tout en tirer aucune boisson ! Que vendrons-nous ? Des anecdotes sur la vie privée du bon Dieu ? Nous n’avons aucune accointance là-haut ! Qui nous dit de surcroît qu’il y a matière à cancan, et qu’au paradis, chaque nuit, triangulairement, la Sainte Trinité en culotte partouze avec le dernier des Mohicans ? Nous sommes hélas trop fanés pour la prostitution ! Adonnons-nous plutôt à la mendicité ! Cousons-nous sans attendre des panoplies de nécessiteux ! Nous poserons notre sébile dans le hall des éditions Gallimard ! Modiano nous jettera des cachous ! Françoise Sagan nous offrira un réfrigérateur ! Albert Camus nous enverra sa mère chargée de bœuf en daube et de purée de riz ! Philippe Sollers priera pour nous ! La direction nous ravitaillera en exemplaires de presse que nous échangerons contredesticketsrestaurant !

— Tu continueras à écrire ! Je t’aiderai ! On appellera tes collègues à la rescousse ! Ils t’offriront des chapitres ! Un paragraphe ! Une poignée de virgules ! S’ils se montrent grigous, nous ferons comme La Bruyère et nous plagierons quelque auteur latin raide comme un clit !

Une larme sur ma joue coula.

— Ce serait honteux ! Certes ! Hélas ! La nuit m’attend ! Nonobstant ! C’est dignement que je tomberai dans le trou noir de la nuit des mots ! Déjà, je ne me souviens plus d’avoir été ! D’avoir écrit ! D’avoir un jour raconté ! Je ne suis plus que le reflet du reflet du sublime Régissounet ! Un enfant d’avant-hier ! Je me sens partir ! Mourir ! Peu à peu je me dépiaute ! Vois ma fourrure à terre ! Pauvre carpette ! Vois mes entrailles étalées ! Je suis un lapin amnésique effondré chez CarrefourMarketdansunebarquettepelliculée !

Camomille me bouscula !

— Alzheimer ! Alzheimer ! Manoulier se sera trompé ! Quelle idée aussi d’aller consulter des médecins habitant le siècle dernier ? Ils sont ignorants ! Ces gens vivent encore en noir et blanc ! Comme Cro-Magnon ! Humphrey Bogart ! Tautavel ! Buster Keaton ! Neandertal ! Ton encéphale est notre unique gagne-pain ! Allons voir un ingénieur agronome ! Ta tête ne doit guère être plus coriace qu’un melon ! Il t’opérera séance tenante ! Il t’arrachera les pépins malfaisants qui te font perdre la boule ! Tu en ressortiras simple courge ! Humble potiron ! Tu cuisineras désormais des livres sur tes sœurs cucurbitacées !

La perspective d’une intervention chirurgicale me terrifiait !

— Camomille ! Enfin ! L’humain ! Diffère ! Du ! Végétal !

— Pourtant ! Le ! Cerveau ! Rappelle ! La ! Noix !

— Mais ! Ce ! N’est ! Pas ! Une ! Noix !

— Peuh !

Nous nous effondrâmes épuisés sur le canapé conjugal que nos fesses écrasaient sans remords depuis une quinzaine d’années ! J’avais contaminé Camomille ! À moins que ce ne soit elle qui m’aie plombé ! En tout cas, nous étions tous deux atteints ! Nous devions prévenir nos anciens partenaires ! Ne plus échanger de fluides corporels avec personne ! Et à chaque fois que nous parlerions, mettre une capote au langage ! C’est ce que préconise le ministre de la Santé dans son livre Crever proprement, baby ! En exergue de son chapitre sur la décrépitude, il a reproduit une phrase de Félix Potin, La maladie d’Alzheimer est le sida des vieux ! Pas de trithérapie ! Sale manière de s’enfoncer dans le néant ! Autant mourir d’une indigestion de cacao !

— Really bad trip for you ! Poor Jaujau d’amour !

— For you too, Camomille ! Poor chilled herbal tea !

J’ai tellement peur de mourir que je préférerais n’être jamais né ! Vous verrez, cette angoisse de corbeau quand elle tombera de la photo, la mort, pour vous donner son coup de bec ! Soudain, l’immortalité ne vous colle plus à la peau ! Vous la voyez accourir, thebigsuckmycockupmyasschewmyheartpeurpaniquedeglisserdanslaboîteswallowmysoul
pourquoipasattendredemaincesoirteatimeatoastbeforeonesingledropofgingeralemylovewhere
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oualorssituaimesjaujauàmourirvienscreveràmaplacejeferaitatoueryournameonmywillyohmonamour
disàlamortquejesuisdouilletcorpsetâmedisluidemoublierdetueràmaplaceunecoccinelleuneétoile
unegargouillemygoshinthemeantimeherecomesthedeath !

— Sale death !

Vous avez vécu ! Vous avez joui aux larmes ! Vous vous êtes imaginé ! Vous vous êtes emberlificoté ! Vous ! Toi ! Oui, toi ! Tes yeux sur moi ! Jesuistextetumevois ! Tu te crois citoyen d’honneur de l’existence ! Les cœurs battront sans le tien plus fort que des volcans ! Plus la mort approche plus elle vous ressemble ! Vous tombez dans ses bras ! Vous vous dites, joyeux, je suis la mort ! Être la mort, c’est être encore ! Vous n’avez pas le temps de dire, de penser, desapoubellelamortadéjàclaquésurvouslecouvercledunéant !

– Ah, oui ! By the way !

Merci quand même ! Merci pour tout ! Thank you for your time, la vie !


Régis Jauffret

Écrivain

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