La disparition des flâneurs
Je l’appelle le « promeneur des deux rives ». Il a vécu la ville par les pieds, trouvant sur le sol la fermeté qui lui manquait dans sa vie, quand tout branlait et se délitait autour de lui, comme du carton mouillé. C’est une des seules choses dont il est réellement satisfait de ses années à Paris. « J’ai plus marché que dormi ici », se plaît-il souvent à rappeler. Loin de l’horizon large du Nil, il s’est réconforté au maigre bras de la Seine – il cherchait dans les éclats des lampadaires, miroitant sur l’eau dormante, un phare, peut-être. Ou alors la pesanteur épaisse du fleuve, goudronneuse, reflétait son esprit lourd, dense. C’est à Paris que cet Égyptien a trouvé son désert.
Nous n’avons pas été ensemble sur les quais. Probablement parce qu’il trouvait avec moi, justement, un peu de légèreté, et que l’eau le rendait mélancolique. Durant ces dernières semaines en France, on se retrouve de façon préméditée ou, plus rarement, en suivant la pente du hasard. Dans ces cas-là, lorsque nos yeux se croisent en un échange inattendu, on les écarquille, on s’embrasse avec plus de vivacité, on ne peut s’empêcher de répéter oh c’est incroyable et de lire cela, ce clinamen produisant la rencontre joliment fortuite de nos trajectoires, comme un signe de quelque destin secret. Paris est tout petit, on le sait, mais tout de même.
Le plus souvent cependant, il passe me chercher. Il s’amuse à m’écrire je suis là, mais quand je descends sur la petite place, la tête girouettant gauche-droite, droite-gauche, personne. Il aime à me surprendre : il apparaît subrepticement derrière les platanes, avec son sourire et ses enjambées veloutées de chat. « C’est un de mes coins préférés », me précise-t-il, la première fois. On commence alors notre flânerie, battant le pavé qui ne se plaint pas, sans but précis autre que celui de cheminer côte à côte, profitant de l’élégante compagnie de l’autre. Nous n’alourdissons pas nos pensées du poids de nos chaussures, et la conversation va souple comme