Le Serveur
Le Cochon
Le Hills est d’un temps où le cochon était du cochon et le porc du porc, comme aime à dire le Maître d’hôtel – en d’autres termes, le restaurant remonte au milieu du dix-neuvième siècle. Raide dans mon habit de serveur, je me tiens là, comme j’aurais pu le faire il y a cent ans, voire plus. Tous les jours, les gens commettent des actes extravagants. Pas moi.
J’attends. Je me tiens à disposition. Je circule dans la salle et prends les commandes, je sers et je débarrasse. Au Hills, les gens se voient offrir la possibilité de se repaître dans un décor riche en traditions. Il faut qu’ils se sentent les bienvenus, mais pas non plus comme chez eux – au risque d’oublier où ils se trouvent. Exception faite de quelques clients privilégiés, qui peuvent jouir des lieux comme de leur propre salon mondain. Un de ces habitués, surnommé le Cochon à juste titre, a sa table réservée en semaine, la 10, près de la fenêtre, à une heure et demie. Le Cochon est d’ordinaire ponctuel, mais il est treize heures quarante-et-une, et il n’est toujours pas arrivé. Je fais une boucle en passant par l’entrée, pas de Cochon en vue. Pedersen, le préposé au vestiaire, lève les yeux de son journal. Pedersen est distingué et, comme on dit, manifestement, il a du métier. Les clients lui confient leurs effets personnels (vestes, manteaux, sacs, parapluies) contre un ticket qu’ils échangeront plus tard, au moment de partir, et accompagné de quelques pièces, contre ces mêmes effets personnels. Ces transactions, il les exécute depuis toujours avec une émotion et une fierté mesurées ; il fait bien son travail. Au Hills, nous nous appliquons tous. C’est un lieu où l’on fait les choses avec soin. Application et soin vont de pair, j’en suis convaincu.
Le déjeuner bat son plein et la salle principale s’est remplie de clients issus de la classe moyenne supérieure : peau veloutée et voix feutrées. Tenues élégantes. Près de la porte d’entrée se trouve une rangée de petites tables de bistrot classiq