Roman (extrait)

Le Serveur

Au Hills, on ne joue pas au garçon de café. Le restaurant est d’un autre standing pour notre serveur et narrateur. Un monde aussi soigné que le pli des serviettes. Où s’agite la drôle d’humanité que constituent, certes, les habitués, mais aussi le personnel, parmi lesquels l’apparition de la « demoiselle » ne tardera pas à faire souffler un petit vent de changement. L’artiste norvégien Matias Faldbakken est aussi connu comme écrivain, un écrivain plutôt provocateur signant du nom d’Abo Rasul. Le Serveur, publié sous son vrai nom cette fois, est son tout premier ouvrage traduit en France, par Marie-Pierre Fiquet (à paraître chez Fayard). Premières pages inédites.

 

 

Le Cochon

 

Le Hills est d’un temps où le cochon était du cochon et le porc du porc, comme aime à dire le Maître d’hôtel – en d’autres termes, le restaurant remonte au milieu du dix-neuvième siècle. Raide dans mon habit de serveur, je me tiens là, comme j’aurais pu le faire il y a cent ans, voire plus. Tous les jours, les gens commettent des actes extravagants. Pas moi.

J’attends. Je me tiens à disposition. Je circule dans la salle et prends les commandes, je sers et je débarrasse. Au Hills, les gens se voient offrir la possibilité de se repaître dans un décor riche en traditions. Il faut qu’ils se sentent les bienvenus, mais pas non plus comme chez eux – au risque d’oublier où ils se trouvent. Exception faite de quelques clients privilégiés, qui peuvent jouir des lieux comme de leur propre salon mondain. Un de ces habitués, surnommé le Cochon à juste titre, a sa table réservée en semaine, la 10, près de la fenêtre, à une heure et demie. Le Cochon est d’ordinaire ponctuel, mais il est treize heures quarante-et-une, et il n’est toujours pas arrivé. Je fais une boucle en passant par l’entrée, pas de Cochon en vue. Pedersen, le préposé au vestiaire, lève les yeux de son journal. Pedersen est distingué et, comme on dit, manifestement, il a du métier. Les clients lui confient leurs effets personnels (vestes, manteaux, sacs, parapluies) contre un ticket qu’ils échangeront plus tard, au moment de partir, et accompagné de quelques pièces, contre ces mêmes effets personnels. Ces transactions, il les exécute depuis toujours avec une émotion et une fierté mesurées ; il fait bien son travail. Au Hills, nous nous appliquons tous. C’est un lieu où l’on fait les choses avec soin. Application et soin vont de pair, j’en suis convaincu.

Le déjeuner bat son plein et la salle principale s’est remplie de clients issus de la classe moyenne supérieure : peau veloutée et voix feutrées. Tenues élégantes. Près de la porte d’entrée se trouve une rangée de petites tables de bistrot classiques au plateau de marbre. Dans cette partie de la salle, l’acoustique est stridente. Plus loin, en revanche, les tables sont drapées de nappes, ça cliquette mais les bruits sont atténués. Les couverts vont et viennent sur la porcelaine puis sont portés à la bouche. Les dents broient, les pommes d’Adam montent et descendent, on déglutit. Ici, il s’agit de se nourrir ; et moi, je facilite les choses. Je ne prends jamais part à cette consommation. J’observe. Il existe un écart considérable entre ingérer soi-même un picodon fort – explosion gustative dans la cavité buccale – et regarder les lèvres de quelqu’un en pleine dégustation du picodon. Je dresse les tables aussi profusément que possible, à la mode continentale. Il y a peu de place, mais je trouve toujours une brèche pour intercaler des verres supplémentaires, des petites assiettes, encore une bouteille. Cela fait riche et opulent.

Accroché à la voûte basse au-dessus de la table ronde située au centre de la salle, le lustre lourd, sans être trop imposant, pend telle une sacoche en cristal, guère plus grande qu’une musette à fourrage de taille moyenne. Au sol, la mosaïque de cercles concentriques est érodée. Les sombres boiseries sont solides et usées. Les deux vastes miroirs muraux sont impressionnants. Le tain craquelé ici et là sur la face postérieure du verre leur confère une belle patine. Leurs cadres en chêne, aux lignes art nouveau, ont été assemblés en 1901. C’est la Responsable du bar qui me l’a raconté, en m’assommant de détails sur la façon dont les pièces de bois ont été transportées d’Ekeberg par le cheval de Fritz Thaulow lui-même. La Responsable du bar est la mémoire du lieu ; son visage ressemble à celui d’une universitaire, mais elle est un peu trop joviale pour en être une. Rien ne lui échappe.

Le Hills pourrait faire penser à un café de tradition viennoise, cependant nous ne sommes pas à Vienne. Il pourrait ressembler à un Great European, mais il est trop défraîchi, trop fané pour rivaliser avec le faste qu’on trouve sur le continent. Cela va bientôt faire cent cinquante ans qu’on appelle l’établissement Le Hills. Ce nom vient de la famille Hill, qui y tint un magasin de confection dès 1846. La Responsable du bar connaît toute l’histoire. Chef de famille, dandy légendaire au destin tragique, immigré de Windsor, en Angleterre, Benjamin Hill perdit au jeu les deux tiers de la fortune familiale et fit banqueroute. L’affaire se termina par une tentative de suicide qui le rendit invalide. L’entrepreneur qui reprit les locaux ouvrit un restaurant nommé La Grenade[1], mais l’enseigne d’origine, un vitrail couvrant une partie de la façade, était d’une facture si riche et soignée, et de surcroît si solidement fixé, qu’il la laissa, et, comme on peut l’imaginer, tout le monde continua d’appeler l’endroit Le Hills. Plus tard, l’entreprenant fils de Benjamin Hill racheta l’établissement, en reprit la gestion, et rétablit le nom de famille en son honneur. Aujourd’hui encore, la famille Hill en est propriétaire.

À un arceau en laiton fixé au-dessus de la porte d’entrée pendent deux rideaux d’épaisse feutrine bordée de vachette pour parer à l’usure, destinés à préserver la chaleur. De ce paravent, le portail du Hills, ou, si l’on veut, son rideau de scène, surgit enfin le Cochon, hochant la tête et souriant. Il est presque moins dix, c’est la limite du tolérable. Je n’acquiesce ni ne souris en retour. Les serveurs ont reçu la consigne de s’en abstenir. N’ayant jamais été quelqu’un qui sourit ou acquiesce, nul besoin de beaucoup me forcer pour suivre cette instruction : j’accueille les clients d’un air neutre, mais me montre serviable. Savoir afficher une expression impénétrable fait partie du métier.

« Désolé pour le retard », déclare le Cochon avec un petit rire, pour s’excuser, non pas en grouinant, mais plutôt en hennissant. Comment nomme-t-on le hennissement d’un âne ? Le braiement ? Le Cochon rit en émettant un braiement perçant caractéristique. Je pense souvent que le Cochon est un âne, au sens figuré, tel qu’il est représenté dans les mythologies et la littérature européennes – non pas l’animal « têtu et bête » de la Grèce ancienne, mais celui, « fiable et loyal », de la Bible. Quoique pas vraiment fiable à l’instant présent.

« Combien serons-nous aujourd’hui ?
— Quatre, moi inclus, répond le Cochon.
— Et les autres convives sont en chemin ?
— Je suppose. »

Il existe bien des façons de s’habiller. Le Cochon a choisi la seule qui soit acceptable : il est toujours vêtu impeccablement. Il arbore toujours de nouveaux costumes et, à en juger par la coupe, la fabrication et la qualité du tissu, ils doivent provenir des ateliers de Savile Row ou des environs. Âgé d’une bonne soixantaine d’années et toujours si soigneusement accoutré, il est à tous égards un homme élégant et un client modèle. Le Hills va comme un gant au Cochon. C’est pour cette raison que nous savons nous montrer tolérants face aux variations du nombre de convives, aux retards, aux inepties à table, etc. Non pas que cela se produise souvent. Le Cochon est un nanti, c’est évident, mais aussi un introverti, en quelque sorte. Discrètement et régulièrement, il amène ses nouveaux amis ou connaissances au Hills, de préférence pour le déjeuner, mais parfois pour le dîner, toujours poli et toujours irréprochable dans sa tenue et ses manières.

« Comme à l’accoutumée, nous vous avons gardé la table près de la fenêtre », dis-je avec un geste de la main les invitant à prendre place, tout en attrapant quatre menus avant de lui faire traverser la salle. Avec la précision d’un horloger, je tire la chaise au bon moment en répétant la question habituelle :

« Une eau minérale, pendant que vous regardez la carte ?
— Oui, volontiers. »

Il me tourne le dos et me laisse pousser délicatement la chaise dans ses creux poplités. Le Cochon a une épaisse crinière poivre et sel qu’il maintient coupée court en la faisant tailler chaque semaine. Grisonnant avant d’avoir atteint la trentaine, on lui donna, quand il faisait carrière à Paris, le surnom « Le Gris ». À son retour en Norvège, le sobriquet se transforma aussitôt en Grisen, c’est-à-dire « le Cochon ». Ses sourcils encore bruns lui confèrent un air intelligent, à la Castelli, ou canin, à la Scorsese.

 

 

Blaise

 

Installé au piano à queue de la mezzanine, Johansen, le vieux pianiste de la maison, lève les yeux vers la voûte, à gauche. Ses doigts boudinés d’ecclésiastique glissent sur le clavier dans un tempo léger mais suivant une pesante routine, produisant une musique sans heurt, à peine audible. Est-ce de la musique d’ambiance ? Il choisit de grands compositeurs, Johansen, mais cela n’en reste pas moins de la musique d’ambiance. De temps à autre, ses paupières s’affaissent en cadence avec les notes qui s’égrènent dans toutes les directions et se répandent dans la salle. Ce vieil empâté de Johansen. La tête inclinée sur le côté, il a l’air de s’assoupir une seconde, mais se redresse brusquement et rouvre les yeux. Il joue ainsi pendant des heures sans s’arrêter. Depuis une génération et demie, il est là, tous les jours, sur la mezzanine, ce plafond intermédiaire, à produire des accords agréables pour les hôtes, en valsant de la tête durant d’interminables heures. Nous nous saluons rarement puisque nous n’arrivons pas en même temps, mais il aurait, paraît-il, un humour décapant.

Les serviettes pliées et empilées soigneusement se trouvent sur une étagère basse entre les deux colonnes, au centre de la salle. Elle est surmontée d’un paravent de verre aux lignes pâles dans le style Art nouveau et qui sépare les tables douze et dix-huit. Quand j’ai les mains vides, j’aime aller me poster derrière le paravent et faire un pli supplémentaire aux serviettes pour leur donner plus de tenue. Vanessa, la nouvelle, bâcle un peu son travail sur ce point. Je fais bien attention à ce que l’emblème du Hills soit à l’horizontale dans le coin droit.

« Avez-vous encore de ce bourgogne blanc ? demande le Cochon.
— Bien sûr. »

Je patiente, respectant la pause de courtoisie de mise avant de poser la question suivante, dont je connais la réponse.

« Un verre, ou prendrons-nous une bouteille ? »

Le Cochon réfléchit.

« Ce sera une bouteille. »

Tout à coup il se lève – j’ai à peine eu le temps de tirer sa chaise – les mains tendues vers un couple élégant qui approche en contournant les tables.

« Blaise ! » (prononcé Blés), s’exclame le Cochon avec enthousiasme. Puis, avec délicatesse : « Katharina. »

Blaise Engelbert est l’époux de Katharina, Katharina est l’épouse de Blaise. Ils fréquentent régulièrement le Cochon, surtout Blaise. Blaise et sa femme jouissent mutuellement de leur âge mûr, comme aime à le formuler la Responsable du bar, en ajoutant qu’il serait un peu injuste de parler de vieillesse. C’est après leur grand détour respectif par la bonne société d’Oslo (quoiqu’on veuille dire par là) qu’ils se sont trouvés et sont devenus l’un pour l’autre, poursuit la Responsable du bar, le plus vieux partenaire qu’ils aient jamais eu.

Katarina pose un pied devant l’autre de telle sorte que sa silhouette bien entretenue de femme de quarante-trois à quarante-cinq ans avance d’un pas décidé en direction du Cochon. Blaise la suit du haut de ses sept bonnes années supplémentaires, vêtu d’un costume gris de belle facture semblable à celui du Cochon, voire même un cran au-dessus. Blaise a une superbe cravate autour du cou, et le pas souple. De cet homme-là émane toujours un air de distinction. Je trottine derrière eux, tire leur chaise et, sans que personne n’ait besoin d’ouvrir la bouche, j’obtiens confirmation qu’ils souhaitent être servis en eau et en vin.

La carte se veut à la française, et son texte est délicatement composé en caractères Bodoni légèrement espacés. Voici quelques mots figurant sur les deux pages densément écrites : croustillant de porc, sole, chevreau, bleu, cumin, profiterole, topinambour, tarte, bouillabaisse, calmar, caviar de corégone, datte, épaule, rillettes, baleine. On peut commander tous ces mets et d’autres encore, et se les voir préparer avec art et goût par le chef cuisinier et ses commis, avant que moi-même ou Vanessa les servions, pour que les hôtes les absorbent bouchée par bouchée. On y trouve même de la truffe. La truffe, c’est capital.

Vanessa, la serveuse relativement nouvelle à l’allure délicate, aux cheveux coupés à la garçonne et au talent desservi par l’ambition, ajuste les nappes pendant que je circule dans la salle pour remplir un verre par ci, répondre à un désir par là. Le pauvre acteur récemment convaincu de faux et usage de faux reprend un verre, on voit déjà ses yeux se voiler. Une ou deux minutes, le temps que le Cochon et sa suite parcourent le menu, et je suis à mon poste pour remplir leur verre d’eau. Blaise écarte d’un geste brusque le flacon de bourgogne blanc avant que j’aie eu le temps de lui proposer de lui en verser un verre. Il boit plusieurs gorgées d’eau, et je remplis son verre aussitôt. Puis il me fait signe que je peux lui servir le vin. Une fois versé, je tourne la bouteille dans le sens des aiguilles d’une montre pour retenir les gouttes. Me penchant discrètement près de l’épaule du Cochon, je lui demande avec aménité s’il faut attendre la quatrième et dernière personne. Le Cochon consulte sa montre. « Avez-vous de ses nouvelles ? Il est 14 h 03. Ça fait une demi-heure déjà que nous patientons. »

Blaise et sa femme secouent la tête.

« Et elle a confirmé sa venue ? » demande Blaise.

« Absolument, assure le Cochon. Absolument. »

Vue de derrière, la tête de Blaise apparaît oblongue et juvénile. Il tend le cou pour regarder vers l’entrée. Son implantation capillaire classique et nette rappelle avantageusement la ligne du menton. De même que la pointe du nez, les sourcils et la courbure des pommettes sont en parfaite harmonie avec la ligne du cuir chevelu qui court de la tempe à l’oreille. Malgré son âge, il a une nuque de garçon et le regard vif. Le pli de son col de chemise tombe impeccablement à six ou sept millimètres du cou. Blaise fait du sport sans en faire trop, il est intelligent sans être étriqué. Katharina et le Cochon se penchent vers lui quand il parle – murmure, presque. La voix de Blaise est spéciale. Alors qu’on s’attendrait plutôt à une inflexion recherchée, comme souvent chez les hommes particulièrement beaux, voire affectés, sa voix est certes sûre et autorisée, mais aimable, presque sensuelle en réalité.

« Souhaitez-vous attendre encore un peu ? » demandé-je sans avoir l’air d’insister.

Le Cochon consulte à nouveau sa montre, Blaise aussi lève puis secoue sa main gauche pour faire glisser une splendide A. Lange & Söhne – mais pas une Grand Lange I tout de même ? Il est un tantinet dandy, ce Blaise.

« Vous pouvez prendre notre commande, quant à celle que nous attendons… », dit le Cochon en faisant comprendre d’un geste désinvolte qu’elle passera la sienne quand elle arrivera. Je pose les yeux sur la femme de Blaise pour lui indiquer qu’elle peut commencer. Katharina opte pour une salade composée au chèvre de Monte Enebro, noix, graines et vinaigrette au fruit de la passion.

« Pourrais-je avoir un peu de noix et de graines en supplément ? demande-t-elle.
— Noix et graines en supplément », répété-je.

Blaise se ravise à deux reprises avant de jeter son dévolu sur les risonis aux oignons grelots. Il est évident que cette tergiversation irrite légèrement le Cochon – évident pour moi, pas pour le couple Blaise. Je me tourne vers le Cochon. C’est son tour. Il prend son temps.

« La truite de Valdres, commence-t-il.
— Oui ?
— Avec quel pain plat la servez-vous ?
— Avec du pain de Hemsedal.
— Bien.
— Elle est également accompagnée d’un excellent dip à la crème », ajouté-je en brandissant mon index crochu pour illustrer le terme « dip ». Mais qu’est-ce qui me prend ?

« Non merci. Je ne prendrai pas de dip. Mais j’opte pour la truite.
— Parfait. »

 

 

Les murs

 

Depuis des décennies, les gens apposent des autocollants sur les lambris d’appui qui courent sous la kyrielle de portraits, dessins et peintures ornant les murs du Hills. La maison l’autorise. Il en est ainsi depuis toujours. Ils se font plus rares à présent, mais il en apparaît régulièrement de nouveaux çà et là. L’origine de cette pratique reste incertaine, mais la rumeur l’attribue à un groupe d’« avant-gardistes » des années vingt, habitués du lieu, qui voulaient jouer de vilains tours à un riche financier dont la table attitrée trônait à l’autre extrémité du restaurant. Il est difficile de dire aujourd’hui en quoi consistaient ces tours, mais au bas du mur, près de la plinthe, on trouve les restes jaunis de vieilles coupures de journaux concernant un certain M. Grosch, financier. Les avant-gardistes découpaient des colonnes dans les journaux et les collaient le long du mur, souvent tout en bas, pour faire une bonne farce à Grosch – un pied de nez. Au cours des années trente et quarante, ces collages improvisés se sont propagés plus haut sur le mur – d’abord des tracts, de petits pamphlets et des appels, des écrits principalement politiques, puis, dans les années soixante et soixante-dix, ils furent recouverts d’autocollants de vieilles marques comme STP et Gulf, puis Castrol et RFI, et ensuite des clubs de football et d’aviron. Cet agrégat couvre aujourd’hui tous les lambris. En opérant une coupe transversale, on pourrait entreprendre une étude archéologique, de la vie de bohème jusqu’au sport et au commerce, des couches les plus profondes et les plus encrassées, dont la couleur jaune foncé évoque le parchemin, jusqu’aux autocollants les plus récents. Les lambris eux-mêmes, qu’on entrevoit par petites touches entre les strates de stickers, sont sombres, d’un noir mat, presque aussi noir que le plafond de la cuisine au-dessus du chef. Il y a comme une béance entre les autocollants. On distingue mal où finissent et où commencent les lambris, où le Hills commence, et éventuellement où il finit. Cela dépend si l’on considère un mur comme le commencement ou la fin d’une pièce, d’un établissement, d’un lieu. L’Europe a connu des jours plus fastes. On peut affirmer que ce que cette Europe a produit de mieux, c’est le concept de Grand European.

Au-dessus des lambris d’appui, très serrés les uns contre les autres, des peintures, des dessins et quelques collages sont accrochés aux murs, dont la couleur marronnasse rappelle, excusez-moi du terme, une diarrhée, à cause des couches successives de peinture beige brillante. Ou est-ce de la laque ? Les œuvres d’art s’étant accumulées au fil des ans, la collection du Hills n’est rien moins que considérable à l’échelle nationale. On y trouve un Revold, un Per Krogh et même, au-dessus de la table cinq, une petite esquisse d’Oda Krogh. Dans les années quatre-vingt-dix, la question de la conservation des œuvres et de la qualité de l’air du Hills furent soulevées, mais la famille n’a jamais transigé sur le fait que les œuvres exposées au restaurant devaient y rester. Aujourd’hui, la loi antitabac a atténué les inquiétudes, mais, certains tableaux parmi les plus anciens tirent sur le brun-tabac-à-chiquer.

Vous ne le croirez pas, mais au-dessus de la table six, on peut admirer une huile précubiste de Braque représentant une esquisse de paysage. Et, près du paravent, un remarquable Léger à la craie. Le sobre collage de Schwitters, à droite au-dessus du bar, dans son cadre en tek affreux, a été légué par Schwitters en personne, lorsqu’il quitta Hjertøya pour la capitale en 1934 ou en 1935. Gunnar S. y est représenté par deux belles impressions graphiques sur le mur du fond, et une autre sous la mezzanine. Les œuvres imposantes et petites se côtoient pêle-mêle. Au Hills, il n’a jamais été question de toucher à l’accrochage des œuvres, on se contente d’en rajouter, encore et encore. Toujours plus. L’art contemporain est ainsi représenté au milieu d’œuvres plus anciennes, dans les espaces libres. On trouve côte à côte du vieux et du neuf, du propre et du crasseux. La qualité varie énormément. Un fusain de vingt centimètres sur quinze d’Anders Svor se retrouve coincé entre un cliché polaroïd des débuts d’Ed Rucsha et un frottage atypique de Cosima von Bonin. Une caricature signée Finn Graff représentant Vladimir Poutine en lémurien côtoie une carte postale très moyenne signée Kippenberger. Ainsi en est-il des murs, du haut jusqu’aux lambris couverts d’autocollants. Et oui, j’ai bien dit signée Kippenberger. Nous avons un Kippenberger. Il y a aussi un cliché de Valie Export. Nous possédons également un petit Shearer, tape-à-l’œil mais bon, une metalhead juchée sur un sommet et qui contemple les montagnes environnantes.

 

C’est quand on parle de la collection d’art du Hills que Tom Sellers, un autre habitué de la maison, entre en scène. Tom Sellers est tout le contraire du Cochon. Sellers a habité Düsseldorf et Cologne, au bon endroit, au bon moment, et à ce que l’on dit, il faisait partie de l’entourage de Kippenberger. Sellers l’a toujours nié. Tout lien avec Kippenberger est à double tranchant. Sellers n’a jamais été artiste lui-même, cela ne l’intéresse pas. Mais comme tous ceux qui « faisaient partie » de « l’entourage de Kippenberger », il en conserve une certaine aura, et connaît très certainement plusieurs « figures » de ce milieu-là, ce qui lui permet d’avoir accès à des œuvres inaccessibles pour la plupart des gens. Bon nombre de celles léguées au Hills les quinze ou vingt dernières années sont des dons de Sellers. C’est lui qui, à l’époque, nous a offert ce petit dessin tout simple d’un pied signé Werner Tübke, accroché à l’extrémité du bar. Son joyau reste la minuscule aquarelle de Victor Hugo représentant une pieuvre au-dessus d’un château de la vallée du Rhin, un lavis exécuté à la suie, au café et au charbon, technique caractéristique de Victor Hugo dessinateur. Grâce à sa générosité de donateur, Sellers s’est constitué un important acompte de bienveillance auprès de la maison. Mais, envers de la médaille, écueil, caillot, ses contributions s’accompagnent d’un supplément de négligence, de désordre et d’indiscipline. Pourtant le Hills se doit d’accueillir aussi cela. Nous devons faire preuve de largeur d’esprit, prône Mme Hill, la gérante. Je suis d’accord. Sauf les jours où je ne le suis pas.

Des portraits d’habitués d’antan sont également accrochés aux murs. Pour y avoir sa place, il ne suffit pas d’être une figure notable (intellectuelle, du monde de la finance ou de la culture), il faut aussi passer du temps dans la maison et y laisser des espèces sonnantes et trébuchantes. L’acteur (déchu et désargenté) ne s’est pas qualifié pour l’accrochage, et après l’amende qu’il a reçue suite au scandale de faux et usage de faux, on est en droit de se demander combien d’argent il va désormais pouvoir dépenser ici. Le portrait du Cochon aussi brille par son absence, mais pour d’autres raisons ; le jour où la gérante suggéra qu’il était peut-être temps de faire son portrait, il avait poliment décliné. Le Cochon a bon goût. Il a un véritable intérêt pour l’art. On dit qu’il possède chez lui un très beau Kittelsen. Au dire de la Responsable du bar, le Cochon aurait répondu à Mme Hill : « Vous savez, quand on étudie comme moi les eaux fortes de Carl Larsson depuis des années, il est bien difficile de trouver un portraitiste qui… vous comprenez… de nos jours. Mais je vous remercie de me l’avoir proposé. »

 

 

La demoiselle

 

Au moment de servir les plats au Cochon, la retardataire n’est toujours pas arrivée.

« Auriez-vous la gentillesse de voir si notre amie s’est présentée au vestiaire ? Il s’agit d’une jeune fille… d’une jeune dame, me dit-il à voix basse.
— Bien entendu. »

Le Cochon sort son téléphone pour me montrer une photo de la jeune fille. Quelle incorrection ! Cela ne lui ressemble absolument pas. Dans le vestiaire, une petite file d’attente s’est formée. Tous des hommes, et des hommes d’un âge avancé. Je ne sais pas qui je cherche, mais puisque le signalement est « jeune » et « fille… dame », cela ne correspond pas vraiment. Le vieux Pedersen prend les vestes que ces messieurs lui confient, des vestes, encore des vestes.

« Quelqu’un est-il attendu par Monsieur Graham ? » demandé-je à haute voix. Quatre d’entre eux ne réagissent pas et un autre secoue légèrement la tête. J’interroge Pedersen : il n’a vu personne. Je sors dans la rue jeter un œil, d’abord vers l’arrêt de tramway, puis en direction du Parlement. Mon regard effleure ce qu’on appelle le nid de poule danseuse : une petite ornière dans l’asphalte où la veuve Knipschild se prit un jour le pied. Lorsqu’elle trébucha, les gigantesques enjambées qu’elle dut faire pour éviter de tomber, ainsi que le balancement de ses bras firent une sorte de razzle-dazzle. Tous les serveurs assistèrent au spectacle. C’est de là que vient le nom de nid de poule danseuse. Nous sommes à la fin du mois de novembre, et bien que la journée soit magnifique, je ne parviens pas à m’en imprégner. L’habitude est un tapis qui recouvre la nature des choses, dit-on. Malgré un soleil d’automne éclatant, la ville reste toujours la même, pâle et banale.

« Je ne la vois pas.
— Hmm. »

Le Cochon s’accorde une petite gorgée de bourgogne blanc qu’il savoure. Blaise a toujours le regard posé sur lui.

« Faites-moi savoir s’il y a du nouveau », dis-je. Depuis treize ans que je travaille ici, je n’ai jamais vu personne de brusque ni de désagréable en compagnie du Cochon, mais là, Blaise le réprimande d’un ton ferme.

Et le Cochon, qu’on ne peut certainement pas qualifier de complaisant ni de mou, entreprend une série de gestes d’excuse. Finalement, à 14 heures 22, Blaise se lève en faisant racler sa chaise sur le sol, pose résolument sa serviette en lin et se dirige vers la sortie d’un pas volontaire d’administrateur commercial. Je regarde en direction de la Responsable du bar pour m’assurer qu’elle voit la scène – c’est bien le cas, comme toujours – avant de m’avancer de quelques pas et de franchir la ligne rouge en posant la main entre les omoplates d’un Cochon légèrement embarrassé. Restée assise, Katharina chipote de la fourchette ses noix et ses graines, puis fourre mécaniquement ses affaires dans son sac à main et se lève sans bruit.

« Tout se passe bien ?
— Oui, oui, assure le Cochon.
— Désirez-vous autre chose ?
— Non merci. L’addition, s’il vous plaît. »

Le Cochon pioche dans sa liasse de billets pendant que Vanessa débarrasse la table, un peu trop tôt et un peu trop fougueusement. Personne n’a terminé son assiette, et le bourgogne blanc sera jeté alors que la bouteille est encore à moitié pleine du coûteux breuvage. Je m’en occupe, j’aime ça, vider le bourgogne blanc dans l’évier. Voilà le jus de raisin d’Aloxe-Corton qui disparaît dans les égouts. Ses deux mains douces posées l’une sur l’autre, le Cochon attend que je revienne avec la monnaie qu’il me retournera immanquablement, mais je le laisse exécuter le petit rituel consistant à repousser la coupelle vers moi en disant : « Voilà pour vous. » Je le remercie très cordialement pour ce pourboire, Trinkgeld, traditionnellement l’argent que le serveur pouvait dépenser en boisson une fois son service terminé. Mais moi, je ne bois pas beaucoup, et mon service s’éternise. Le Cochon rajuste la jambe de son pantalon en la secouant, et sort le dos légèrement de travers, comme à son habitude.

« Ce n’est pas tous les jours que le Cochon se fait plaquer, commente la Responsable du bar.
— Tu peux le dire. »

Le Maître d’hôtel arrive à point nommé. Il est là dès qu’il renifle du conflit dans l’air. « Que se passe-t-il ? » s’enquiert-il. Il vient fourrer son nez. Il vient contrôler. Il croit que la maison lui appartient, sans doute parce que son père y était déjà Maître d’hôtel, et son grand-père avant lui. Je lui réponds sincèrement et d’un air neutre que je ne sais pas. Il m’observe longuement et, à son habitude, il approche lentement son visage du mien. Un visage d’enfant est généralement une surface ronde et pure, où apparaissent de façon saillante les traits caractéristiques que sont les yeux et la bouche. Ce sont ces traits-là qui priment dans un visage d’enfant. Les yeux et la bouche sont la source d’une beauté fascinante, ils sont l’interface de la communication, on peut y lire l’incertitude, la joie et la peine. Avec l’âge, le visage est de plus en plus dominé par la physionomie elle-même. Les yeux et la bouche passent à l’arrière-plan du visage en soi. Le visage du Maître d’hôtel est un exemple saisissant de ce « triomphe de la physionomie ». Ses yeux, certainement limpides et étincelants autrefois, sont non seulement caves et blafards, mais étrangement petits rapportés à la surface du visage. Les poches qu’il a sous les yeux sont aussi expressives que son regard. Alors que les yeux et la bouche formaient l’essentiel de son expression quand il était enfant, ils ne représentent maintenant qu’une infime partie de ce qui « se déroule » sur son visage. Sa bouche, naguère pulpeuse, puissante et souple, est aujourd’hui pincée, sans lèvres et cernée de lignes verticales, lui donnant en permanence l’air de souffler dans une flûte traversière. Ce qui lui reste de « lèvres » n’est tout au plus qu’une sorte de volet occultant ses dents jaunies. Les joues, les mâchoires et le front sont prédominants et parcourus de creux, de pores, de sillons, de zones rugueuses et lisses, de surfaces luisantes. Son visage abonde en teintes et nuances variées, en petits réseaux capillaires éclatés, et présente une usure due à des années de rasage et d’après-rasage, ainsi qu’à la consommation d’alcool. Certaines expressions et grimaces s’y sont imprimées. Il n’est pas bien sorcier de lire sur ses traits ce qui se passe en son for intérieur, aussi « fermé » soit-il.

« Bonheur et malheur font bon voisinage », commente-t-il.

Ceci dit, je n’ai vraiment rien à dire en matière de visage. Il suffit que je me regarde dans un miroir pour prendre mes tourments en pleine figure, si je peux m’exprimer ainsi. À croire que mon visage est l’empreinte des soucis accumulés au fil des ans et que les soucis modèlent mon visage. J’éprouve souvent des tensions et je sais quels traits elles confèrent à ma physionomie, les tracas brûlent les tissus et la graisse sous-cutanée. Je sens le coin de mes lèvres s’affaisser. J’ai le visage marqué, voilà tout. Je sens que les émotions m’écorchent la figure. Comment est-ce possible ? On peut comprendre que l’ivrognerie mine et ruine un visage, tout comme il est logique que l’alcool dilate les pores et les vaisseaux sanguins – c’est d’ailleurs le drame qui se joue sur la figure du Maître d’hôtel. Mais que les émotions puissent miner un visage ? Cela me semble injuste. Quand on est émotif, on se voit affublé d’un faciès d’émotif. À quoi ça sert ? Le visage est-il la marionnette des émotions ? Il est évident que l’on communique par le visage, mais si on finit par avoir un faciès d’émotif, même quand on essaie de cacher son émotivité sous une mine impénétrable, où va-t-on ? Cela ne mène-t-il pas à une impasse en matière d’évolution ? On vole volontiers au secours d’un enfant qui pleure, mais on fuit dès qu’on voit surgir un faciès d’émotif. Personne ne vole à la rescousse d’un faciès d’émotif.

Parfois, raconte la Responsable du bar, le Maître d’hôtel se passe de la lotion sur le visage, là-bas, au coin. D’où sa luisance. J’en ris à chaque fois. Il se cache bien, mais je le devine à l’oreille, ajoute-t-elle. Ça nous fait glousser, elle et moi.

Une ablution sonore. Mais, poursuit-elle, Sellers et compagnie ne doivent pas le savoir. Ils seraient capables d’élaborer tout un maillage de sarcasmes à partir d’un détail de ce genre.

À trois heures passées, une demoiselle surgit du rideau de feutrine. Se dirigeant tout droit vers moi, elle demande Graham, c’est-à-dire le Cochon. De sa voix à la fois plaisante et tranchante, elle réussit à m’extorquer une série de confirmations. Graham est-il parti ? Oui. Était-il accompagné ? Oui. Y avait-il un homme d’âge moyen avec lui ? Oui, effectivement.

La jeune fille ressemble à la photo du Cochon, et j’éprouve une vague sensation de déjà-vu. Elle est aussi épaisse, ou plutôt aussi mince, qu’un magazine d’art de vivre. L’assurance et le naturel qu’elle affiche peuvent facilement se confondre avec l’intelligence, et peut-être en est-ce. Elle évoque le dévergondage déguisé en ascèse. Pardonnez-moi, c’est sans doute choquant, mais j’ai le sentiment qu’une personne comme elle est le produit de la misogynie – dans un sens positif.

Je ne voudrais pas paraître pédant, mais si on connaît le portrait signé Mathias Stoltenberg d’Elise Tvede à Tvedestrand, celle qui a la tête bien faite à l’âge de quinze ans, il y a quelque chose de ressemblant. La jeune fille que j’ai devant moi pourrait être une version de Tvede en plus gaie. Moins affectée par les soucis tangibles de la vie. Et auréolée d’une modernité assourdissante, pourrait-on dire, avec tout le fatras que cela implique. Elle porte un remarquable Dries von Noten avec éclat, ce qui est réservé au plus petit nombre. Elle est chaussée d’une paire d’Aquazurra impeccables, dont les bouts de lacet sont ornés de pompons de couleur vive. Mais je pense que, derrière toute cette élégance, se cache une « undethronable tackiness », comme on dit, une vulgarité immanente. Je crois qu’on peut décrire cette demoiselle comme un bien, sans savoir exactement ce que cela signifie. À quel personnage avons-nous affaire ? Est-elle la nouvelle image de marque du Cochon ?

Le Cochon est très tatillon sur ce qu’on appelle le mauvais goût, y compris pour ce qui touche au sexe opposé. Autour de lui gravitent de bonnes femmes bien conservées, mais appartenant toutes à la catégorie des bien établies. Elles ne sont pas de celles qui arborent une avidité tape-à-l’œil, ni de celles qui se poussent du col, habitées par une ambition cupide. Une bonne femme qui fréquente le Cochon est une bonne femme qui maîtrise les règles du jeu, une femme qui en apparence n’a pas « besoin » du Cochon, et que le Cochon ne peut aucunement « exploiter ». Une femme qui est donc l’égale du Cochon.

Mais le spécimen que j’ai devant moi n’est-il pas un peu jeune ? Se peut-il qu’elle soit un membre de sa famille ?

« Y a-t-il autre chose ? » demandé-je.

La jeune fille fixe du regard la mosaïque au sol. À l’intérieur de chaque cercle carrelé on peut voir trois pivoines stylisées d’un rose très pâle. Elle relève les yeux et paraît tout à coup dix ans de plus.

« Non, je reviendrai. Vous pouvez lui dire que je suis passée.
— Graham ne reviendra pas avant demain. Êtes-vous une Graham ?
— Pardon ?
— Je vous prie de bien vouloir m’excuser. »

La demoiselle dégage un éclat froid et, une fois partie, après m’avoir remercié, elle laisse derrière elle ce qu’on appelle un vide, donc une absence palpable. Quand elle disparaît derrière la feutrine, le Hills perd un peu en clarté. Comme aime à le dire mon ami Edgar : une cambrure comme celle-ci incarne le dernier bastion de la valeur d’usage. Le Maître d’hôtel vient me prendre par le bras, et c’est plutôt embarrassant car je suis toujours très réservé sur mon lieu de travail. Il ne faut pas sauter au point de se prendre les pieds dans sa barbe, dit-il en me suggérant d’un signe de la main de m’occuper de mon travail. Je me tourne vers la Responsable du bar. Elle a un air interrogateur. Elle ne sait donc pas qui est cette jeune fille ? Il est rare que la Responsable du bar fasse preuve d’ignorance s’agissant des clients. Elle dispose d’une carte mentale complète des cafés et restaurants d’Oslo. Elle est une encyclopédie. Elle s’intéresse à la clientèle du Hills et s’adonne à des recherches comme s’il s’agissait d’un domaine universitaire, accessoirement d’un passe-temps. Elle connaît la clientèle de A à Z, comme on dit. En matière d’allées et venues, elle est l’égale d’une collectionneuse de vinyles. Ce savoir peut s’avérer énervant, comme sont énervants les collectionneurs de vinyles, ou comme sont énervants les hommes ayant une connaissance approfondie des équipements de vélo, par exemple, les hommes dans les magasins de photo, les hommes qui « nerdent totalement ». Mais, pour être honnête, il faut dire que de temps à autre, la Responsable du bar me ravit en partageant ces informations. Je n’en tire aucun bénéfice, mais une sorte de satisfaction sournoise. Pourtant, là, derrière son bar, elle n’a qu’un haussement d’épaule à m’offrir.

Matias Faldbakken, « Le Serveur », traduit du norvégien par Marie-Pierre Fiquet, © Librairie Arthème Fayard, 2020.

En librairie le 15 janvier.


[1] Tous les termes suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original (N.d.T.).

Notes

[1] Tous les termes suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original (N.d.T.).