Taux de change
Désireux de choisir un lieu typiquement britannique, Elliot avait donné rendez-vous à son père dans un pub gastronomique du Cut, une rue de Londres qui incarnait en elle-même tout le charme excentrique des nomenclatures des rues de son pays d’adoption. (Elliot répertoriait les noms de rue loufoques. Un récent voyage d’affaires à Beverley lui avait permis de rapporter dans ses filets les charmants Old Waste et North Bar Within. Cette inclination était économique. A contrario, une collection de théières victoriennes lui aurait coûté des milliers de livres sterling ; les noms de rue étaient gratuits.) L’Anchor & Hope était accessible à pied depuis son appartement de Bermondsey, mais le trajet était juste assez long pour décourager son père de le raccompagner en pensant qu’il pourrait prendre un café chez lui et découvrir que son fils, à l’âge humiliant de quarante-trois ans, habitait avec des colocataires comme un quelconque étudiant sans le sou. Son père ne comprendrait pas que des adultes célibataires avec un emploi à plein temps louant ensemble un appartement étaient monnaie courante dans cette ville, où, dans les propos d’Elliot, les adjectifs abusif, outrancier et exorbitant avaient perdu tout leur impact en raison d’un usage excessif.
Quoi qu’il en soit, tout en plissant les yeux afin de déchiffrer les plats du jour sur l’ardoise, le père d’Elliot, Harold Ivy, bien que professeur d’histoire à la retraite spécialisé dans l’Angleterre du XVIIe siècle, ne discourait pas avec élégance sur les gels historiques de la Tamise qui avaient conduit les commerçants à vendre leurs marchandises à « prix gelé » à la surface du fleuve. Non, il ne cessait de parler du prix des choses. Comme tous les Américains qui, ces dernières années, avaient rendu visite à Elliot à Londres, son père faisait remarquer, indigné, qu’alors que le taux de change était de deux pour un, une livre et un dollar permettaient d’acheter sensiblement la même chose.
— Cette « salade de pousses de betterave