Récit

L’histoire de personne (Questions autour d’un accueil)

Ecrivain

S est arrivé du Sénégal via la Libye, et en France a trouvé l’hospitalité dans une petite ville de province grâce à un réseau d’accueil. Et puis, accusé de viol et objet d’une vengeance populaire, il en est parti du jour au lendemain. Aucune plainte auprès de la police, des on-dit et des SMS, une scène dont la vérité est indéterminable. Loin de juger qui que ce soit, l’important est de poser une question : « seul.e.s avec nos questions d’accueil, puisque les États européens ont renoncé, que risquons-nous et que faisons-nous risquer aux valeurs que nous défendons, aux droits fondamentaux que nous désirons protéger ? » Marie Cosnay, dont on connaît l’engagement dans les réseaux d’accueil, invite à ce retour sur soi, par les moyens d’une langue qui sait suspendre le jugement.

Des petits étaient en route, qui faisaient des pas de géants, pour moi le détroit de Gibraltar, c’est une piscine, les routes étaient empêchées, on mourait au désert et dans la mer, nous avions la certitude que cela ne pouvait pas durer, que nous ne pouvions pas continuer de choisir, de notre côté du monde, la mort de la population qui se déplaçait et se déplacerait, parce qu’elle n’avait pas la possibilité de faire autrement, sans visa.

Nous accueillions dans nos réseaux qui se constituaient ceux et celles qui venaient d’échapper à la mort, dans leurs pays ou sur la route.

Des enfants (ou presque) disaient avoir pris le chemin de l’aventure. Un monde se partageait ainsi : ceux qui ne prenaient plus depuis longtemps le chemin de l’aventure et ceux qui l’avaient pris. Les premiers ne pouvaient que s’incliner. Ceux qui l’avaient pris, le chemin de l’aventure, quelles que soient les raisons de le prendre, étaient en voie de séduire celles et ceux qui ne le prendraient jamais. Certes, les peurs des sédentaires étaient excitées, elles l’étaient depuis de nombreuses années. N’empêche, nous le constations au quotidien, le désir était plus fort que les peurs. Quoi que cache ou accompagne le désir. Là-dessus il nous faudrait travailler.

D’un côté, on aurait dit que les peurs s’emballaient, nous étions horrifiés de voir de plus en plus de votes extrémistes en Europe. De l’autre, autour de nous, ici ou ailleurs, on constatait le contraire : de plus en plus de gens résistaient aux peurs suggérées, ils accueillaient.

Cet été 2019 : réaliser que l’Europe a réellement peur à ses frontières. Qu’elle a fini par s’empoisonner elle-même de la peur qu’elle a voulu insuffler. Que réellement, l’Europe protège son mode de vie. Elle le fait avec des moyens guerriers (technologiques, armés). Elle protège ses frontières ? C’est qu’elle les juge attaquées. Cet été 2019, penser que c’est d’une guerre défensive qu’il s’agit, une guerre qui ne dit pas son nom et essaie même de conserver des appa


[1] Ils y sont partis quand même. Il s’agit de l’Open Arms et de l’Ait Mari, qui naviguent avec à bord les ONG et associations suivantes : Proactiva Open Arms et Maydayterraneo.

Marie Cosnay

Ecrivain, Traductrice

Rayonnages

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Notes

[1] Ils y sont partis quand même. Il s’agit de l’Open Arms et de l’Ait Mari, qui naviguent avec à bord les ONG et associations suivantes : Proactiva Open Arms et Maydayterraneo.