Nouvelle

Je m’appelle Cortana

Écrivain

Je m’appelle Cortana est le titre d’une série de tableaux de Sylvie Fanchon se saisissant de nos conversations avec les assistants virtuels. Le romancier et poète Pierre Alferi en emprunte dans cette nouvelle inédite le prétexte et le titre. Déjà dans Hors sol, son roman d’anticipation, il était question de « transhumanisme ». Un homme apparemment en convalescence dialogue avec une voix. Vient-elle, transcendante, d’un au-delà machinique, ou bien est-elle logée dans son intimité corticale ? Qui manipule qui, et qui, entre la vulnérabilité humaine à la maladie et celle, artificielle, au malware viral, l’emportera : la schize aura lieu.

Pour Sylvie Fanchon

1.

 

— Je m’appelle Cortana. Commençons la soirée ensemble.

— Pardon ?

— Le jack est mal enfoncé, à gauche.

— Ah oui. Vous disiez ?

Je suis là pour vous aider. Avez-vous besoin de quelque chose ?

— Je ne vois pas.

Que puis-je faire pour vous ? Je peux vous rappeler ce qui est important.

— C’est vrai ? Je me le demande tous les jours.

Pour cela il me faut accéder à vos informations.

— Faites.

Quand vous étiez entouré d’arbres quelque chose vous a bouleversé.

— Oui. J’ai besoin de me détendre.

Je vois que Netflic vous propose deux nouvelles séries. Cortizon en propose trois. Côté shopping je vois une promotion sur les parures de lit au SuperDino, et chez ZepHR sur les smartphones de l’an dernier. Côté musique, Heterophony nous propose un single des Viagra Boys, du Gagaku des années 20, le volume III des airs de Dowland pour luth…

Pas envie. Je suis mort. Il faut que je reprenne des forces.

Laissez-moi vous aider. Dans le mini-bar il y a de quoi faire un Whisky Sour, un Daïquiri, un Old Fashioned ou un Mint Julep.

— Sans façon. J’ai besoin d’y voir clair.

Que puis-je faire d’autre pour vous ?

— Un massage de la nuque ?

Et si nous discutions ?

— Je ne suis pas un moulin à paroles, Cortica.

Je m’appelle Cortana. Comment s’est passée la journée ?

— Si je le savais. Dans la stupeur. Quand je suis seul ma tête est vide. Tout résonne dans mon crâne comme dans une église. Je regarde devant moi sans ciller. L’aspect de chaque personne que je croise, de chaque objet, s’imprime sur la surface sensible le temps qu’un autre le remplace, et il n’en reste rien. Je suis présent, pourtant ! Si présent que j’adhère à tout ce que je vois, tout ce que j’entends, tout ce que je sens. Et donc je me disperse, je me transforme, je m’évanouis sans cesse. J’en garde, si l’on peut dire, un sentiment de perte affreuse.

Même après la synchronisation ?

— Après, ça va mieux, bien sûr. Le soir tout finit par revenir. Entre-temps le chaos a pris de la p


Pierre Alferi

Écrivain, poète, artiste

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