Paroles malheureuses
J’ai toujours cru que se croire infaillible, c’était déjà ne plus l’être.
Mais je m’en veux d’écrire cela à présent, au point où nous en sommes, car l’écrire est une façon de me placer au dehors, en surplomb de l’épreuve que nous traversons. Comme si je me croyais plus maligne, prenant des airs de je-l’ai-vu-venir, je recommence à tendre vers l’illusion de ma propre clairvoyance, prête à tomber dans un piège similaire à celui que je dénonce !
Mon père avait l’habitude de dire qu’un homme averti en vaut deux ; et une femme, trois, ajoutait ma mère en riant. Prisonniers de notre sacro-sainte habitude de réduire le réel aux limites de nos imaginaires, nous avons été incapables de déjouer les écueils par anticipation. Nous avons manqué de réactivité, sidérés peut-être ou simplement butés, préférant à la sévérité d’une ligne droite, les circonvolutions d’un aléatoire cache-cache avec le plus élémentaire principe de prudence.
Aujourd’hui, me voilà astreinte à communiquer avec vous uniquement par l’entremise de cette page. Je me suis résolue à accéder à votre requête et à tenter de me faire le tardif témoin de ce qui, croissant à chaque nouveau bilan, nous a d’abord poussés à envisager d’impossibles issues à ce que nous ne pouvions tout à fait concevoir. Nous savions qu’une maladie nouvelle avait fait son apparition sur notre territoire mais nous peinions à en saisir le mode de propagation tant celui-ci contrariait notre entendement.
La prise de conscience fut longue, trop longue, malgré les chiffres, les avis scientifiques, l’accumulation de plus en plus grande de preuves et de récits. Mais dans sa stratégie d’esquive, l’esprit des hommes et des femmes d’aujourd’hui est passé maître dans l’art de prendre la tangente afin d’éviter ce qui, n’ayant pas encore atteint le corps ou entravé les sens, peut l’être. Jusqu’à ce que la menace soit ressentie, elle reste une abstraction contre laquelle il faut se battre pour ne pas en faire un abri. À présent, nous voilà condamnés à av